Mais cette goutte de sang, qui y est restée, faisait, aux yeux des démocrates, des purs, des absolus, des vrais citoyens, qui l’y voient toujours, tache dans son rubis, à cette Rouge23 ! […] Elle a, dans ses livres, l’œil baissé, la contenance pudique… quelque chose d’opiniâtrement subsistant et de ressemblant à, la décence romaine ; mais le fuseau de la Matrone est tombé dans l’encre moderne et elle l’a taché de cette encre.
Ce que nous appelons avec respect l’éducation militaire, cette forte éducation des choses qui l’emporte tant sur celle des livres et qui fait entrer les notions dans le cerveau par l’œil et la main, l’éducation militaire avait pu lui donner ce regard rectangulaire qui voit avec précision les objets, et la fermeté du dessin qui sait les reproduire, mais la maîtresse faculté de Daumas était le sentiment du pittoresque, et son livre de la Grande Kabylie le prouvait. […] À nos yeux, l’Armée n’est pas seulement le fourreau d’où sortent les empires : Saliens in æternum !
L’ancien Régime et la Révolution28 I Il faut être terriblement fort, à ses propres yeux ou à ceux des autres, pour se permettre d’écrire un volume — ou plusieurs — de simples généralités sur l’histoire. […] Il a fermé volontairement les yeux à un état des choses qui a reçu son accomplissement absolu de la main d’un homme qu’il lui coûte de louer à cette heure, et il a tout attribué de l’ordre administratif à l’ancien Régime : la justice, la tutelle, et jusqu’à la garantie des fonctionnaires !
Tel il est, et tout cela est assez vulgaire ; mais, pourtant, rendons-lui justice en une chose qui prouve, à nos yeux, l’indépendance de son esprit, ou du moins de sa volonté. […] Il aurait alors, avec cette mesure, avec cette règle d’or de la civilisation chrétienne, vu à quoi se bornaient ces civilisations américaines qui lui font ouvrir les yeux si grands.
Le point d’honneur devint tout l’honneur ; — et, pour peu qu’un homme mit bravement sa vie au bout d’une épée, il avait assez d’honneur comme cela… Ce n’était pourtant pas assez, en réalité, pour qui pense ; mais c’était l’illusion d’une race si profondément militaire qu’à ses yeux la magie du combat et d’un duel brillant couvre tout encore, fait trembler le châtiment sur la tête du coupable et empêche le mépris, même mérité ! […] on se battra comme eux longtemps encore, malgré les progrès, philosophique, philanthropique et patriotique, et, ce qui est une meilleure raison pour ne plus se battre que le dévouement de tout son être à la République, malgré l’affaiblissement de l’esprit militaire, depuis si longtemps insulté, et la décadence même physique de la race, visible maintenant à tous les yeux.
Plus tard, sans doute, la Postérité aux yeux secs ne se gêne pas infiniment avec les faire part de gloire qu’on lui adresse, et tranquillement elle les déchire ; mais la postérité ne commence pas le lendemain de la mort d’un homme, et c’est ce lendemain — ce bienheureux lendemain d’une épitaphe neuve — dont il semble que l’on puisse toujours profiter. […] il lui mettait un œil de poudre d’or, comme ils faisaient, au xviiie siècle, lorsque les flatteurs voulaient imiter la couleur des cheveux de la Reine.
Il est redoutable, en effet, car il voit juste, et la justesse d’esprit mène à la terrible justice… mais il n’est pas cruel, comme la plupart des moralistes, et même comme ceux-là qui passent aux yeux des hommes pour les plus grands. […] Il prendrait à leurs yeux des proportions incontestables, et ils en vanteraient les qualités, délicieusement goûtées par eux.
n’a pas vu, en raison de sa science ; car il n’est donné qu’à l’idée fixe d’une science quelconque de passer les yeux ouverts auprès des plus grosses vérités sans les voir, et seule, peut-être, une intelligence d’économiste ou de philosophe, émoussée par la préoccupation de la matière et de ses vaines combinaisons, devait attendre uniquement d’un peu de poussière : de la production matérielle, le soulagement de cette souffrance organisée et infinie qui constitue l’âme humaine, et à laquelle les hommes, par leurs institutions ou par leurs vices, ont trouvé moyen d’ajouter. […] Il a parfaitement compris que, pour la France, la meilleure source de prospérité était dans le développement de sa production agricole : « L’agriculture, — dit-il, — cet atelier inépuisable de toutes les productions essentielles, se détache sur le fond assombri de nos misères, et quand une fois on a sondé le gouffre des souffrances humaines, c’est en reportant les yeux sur la terre que l’on voit poindre l’espérance. » Brutus embrassa la terre et l’appela sa mère.
Rien de plus, mais c’est tout à ses yeux. […] La gloire et la force du peuple américain, c’est la bâtardise : « La transplantation des races européennes — dit-il, l’anti-Européen, — a eu pour premier effet sinon de dissoudre entièrement, au moins d’affaiblir le principe de la famille. » Et plus bas, devenant plus explicite, il ajoute : « Le passage de l’Européen outre-mer a toujours eu pour cause une protestation contre l’autorité paternelle, une déclaration d’indépendance individuelle, une sorte d’assimilation à l’état de bâtardise. » Et le singulier penseur, qui lit l’histoire les yeux retournés, non seulement ne voit pas les conséquences éloignées du vice originel de l’Amérique, mais, lui qui parle tant de réalité, il ne voit pas même les réalités présentes ; car, à l’heure qu’il est, tout le monde sait, sans avoir eu besoin d’aller en Amérique, que le peuple américain est un peu gêné en ce moment par son heureuse bâtardise ; que la question de l’indigénat est une des plus grosses questions qui aient jamais été agitées dans les États de l’Union, et que cette question n’est pas autre chose que la nécessité — sous peine de dissolution complète — de se faire une espèce de légitimité contre l’envahissement croissant de toutes les bâtardises de l’Europe, contre le flot montant des immondices qu’elle rejette !
L’hôtel de Rambouillet, cette caserne du bel esprit que Molière fit crouler, Jéricho ridicule, sous le son vif de son sifflet, était de fondation féminine ; et la Fronde, cette bataille de dames, cette guerre où les femmes tiraient le canon comme on l’a vu tirer à des serins et à des colombes, était une guerre enrubannée et galante où les villes se prenaient pour les beaux yeux des belles, comme disait le maréchal d’Hocquincourt. […] Seulement, si l’ardente sympathie qu’il éprouve pour madame de Montmorency lui donne le courage de regarder, les yeux bien ouverts, cette robe rouge qui les fait ordinairement baisser, tant elle est rouge, trempée du sang des Montmorency !
Toujours poète, c’est là son défaut, comme Μ. des Mazures : « Je me penche sur ses yeux profonds, — dit-il (les yeux de la chatte), — et il me semble voir là-bas, — tout au fond, — je ne sais quoi qui se débat, comme un malheureux tombé dans un puits et qui s’efforce de remonter, et qui appelle à l’aide, et qui se raccroche aux parois, et qui retombe toujours, — une âme, je le crois.
Resté un enfant dans la vie, comme, du reste, cette promptitude à la colère le prouve bien, car il n’y a d’hommes forts que les sangs-froids ou les sangs-froidis, — à qui le monde appartient, disait Machiavel, — resté un enfant, comme un poète de métaphysique, par l’esprit, et un prêtre par le cœur et les habitudes (les prêtres sont toujours des enfants quand ils sont descendus de l’autel), Lamennais n’avait pas grand goût pour la réalité qui le blessait souvent, qui le faisait bondir de souffrance, cette sauvage hermine de Bretagne, et il s’en détournait, se retirant violemment en lui-même, les yeux retournés en dedans et attachés sur une idée, — une idée qui fut la vérité pendant une moitié de sa vie et une erreur pendant l’autre moitié, — mais qui, dans tous les temps, a suffi aux ardeurs et aux aspirations de cette âme désintéressée ! […] Lamennais, en disant pareille chose, se mettait son clocher dans l’œil.
Il possédera des âmes qui, aux yeux du fisc, existent tout le temps que la révision des listes n’est pas faite ; et, muni de ses titres de vente, il empruntera sur ces âmes fictives au Lombard (le Mont-de-Piété en Russie), des sommes parfaitement réelles. […] Même à ses yeux, la Russie n’a de personnalité que quand elle est absente.
Jean Reynaud, ce livre au titre colossal, n’est pas, à nos yeux, un colosse. […] Dans tout cela, il faut en convenir, il n’y a rien de bien éblouissant et de bien formidable, rien qui force le plus modeste des esprits philosophiques à se croire petit et à baisser les yeux.
L’enseignement du prêtre qu’on pouvait craindre y est remplacé par la sentimentalité d’un philosophe, chrétien encore, mais d’un christianisme qui n’est point farouche, d’un christianisme humanisé ; et le moine, le moine qui inquiète toujours les yeux purs et délicats de la Philosophie, s’y est enfin suffisamment décrassé dans les idées modernes, pour qu’il n’en reste rien absolument sur l’académicien, reluisant neuf ! […] Mais sur ces pages qui restent là, qu’on peut reprendre et qu’on peut relire pour les juger, ce traître style écrit, qui n’a ni la voix, ni le geste, ni l’émotion de la chaire qu’on a sous les pieds, ni les mille yeux attentifs du public qu’on a devant soi, ce traître style écrit dénonce la médiocrité, ou le néant, ou les défauts de l’écrivain.
Et d’autant plus qu’en philosophie, et surtout en philosophie allemande, on s’entend si peu que, souvent, l’interprète le plus fidèle d’une philosophie passe, même aux yeux des adeptes de cette philosophie, pour un déformateur et un calomniateur d’idées. […] Dans leur inanité laborieuse, les métaphysiciens ressemblent à ces prisonniers chez les Scythes, auxquels on crevait les yeux pour leur faire battre du lait dans les ténèbres.
Du moins, je ne vois pas la trace du contraire dans le livre que j’ai là sous les yeux. […] Aux yeux d’Aristophane (nous dit-il quelque part), Socrate était un sophiste (et cela se pourrait bien), le plus dangereux des sophistes, et les juges le condamnèrent justement à boire la ciguë : « parce qu’il ne reconnaissait pas les dieux de la Cité ».
Malgré l’intuition fulgurante de son génie, qui allait à fond en métaphysique comme la balle bien ajustée par un œil et un poignet fermes, De Maistre n’a rien construit. […] « À nos yeux, — écrit-il, et qui pourrait le contester ?
Je suis des yeux cette immortelle vie qui s’enferme un moment, des siècles, des myriades de siècles, dans une forme, pour briser cette forme. […] Armé de cette puissance qui est la somme de vie de tous les êtres apparus sur le globe, je défie la mort, je brave le néant… Lorsque je vois cette lente progression, depuis le tribolite, premier témoin effaré du monde naissant, jusqu’à la race humaine, et tous les degrés vivants de l’universelle vie s’étayer l’un sur l’autre, et tous ces yeux ouverts, ces pupilles d’un pied de diamètre qui cherchent la lumière, toutes ces formes qui s’étagent l’une sur l’autre, tous ces êtres qui rampent, nagent, marchent, courent, bondissent, volent au-devant de l’esprit, comment puis-je croire que cette ascension soit arrêtée à moi, que ce travail infini ne s’étende pas au-delà de l’horizon que j’embrasse ?
Au moins, dans tous les autres poètes qui chantent les angoisses familières aux âmes passionnées, ou même dans Baudelaire, le Vampire, ce pourlécheur des pourritures devant lesquelles, vivantes, le malheureux se prosternait, il y a, au milieu des ruines et des désolations de la créature qui se sent mourir et qui croit que tout va finir avec elle, des pages éclairées, des tableaux qui passent accentués plus ou moins de fraîcheur et de mélancolie, des souvenirs qui attirent et retiennent comme des yeux fascinateurs rouverts, des caresses qui se reprennent aux beaux cadavres pressés autrefois sur le cœur. […] Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient, et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne !