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393. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Dans le présent recueil notre poésie reprend son cours naturel historique, trop souvent brisé ; car elle a eu sa perte du Rhône ; elle l’a eue, par malheur, plus d’une fois et sans jamais en sortir tout entière. […] Ainsi s’est étendue indéfiniment la prairie des Muses ; on n’a rien tiré au cordeau ; quelques herbes folles ont pu, comme dans un champ naturel, se mêler agréablement aux fleurs. […] Mais si l’on se reporte au fond de la situation, que de pathétique, que de passions et d’émotions naturelles en présence, dans ce déchirant spectacle ! […] L’ingénieux et le concerté remplacent la verve naturelle et brisent la bonne veine en des milliers de petits canaux artificiels et de compartiments scolastiques. […] Grâce à ces qualités complexes et naturelles, Régnier nous représente l’un des moments, une époque de notre poésie.

394. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Mais au milieu de ces oublis trop naturels à la jeunesse de tous les temps, ils avaient une pensée, un culte, l’amour de l’art, la curiosité passionnée d’une expression vive, d’un tour neuf, d’une image choisie, d’une rime brillante ; ils voulaient à chacun de leurs cadres un clou d’or : enfants si vous le voulez, mais enfants des muses, et qui ne sacrifièrent jamais à la grâce vulgaire. […] Alfred de Vigny et à qui il a, le premier, donné d’en haut le signal, cherchaient, un peu systématiquement eux-mêmes, à relever l’esprit pur, les tendances spiritualistes, à traduire les symboles naturels, à satisfaire les vagues élancements de l’être humain vers un idéal rêvé, de l’autre côté on s’est trop tenu sans doute à ce qui se voit, à ce qui se touche, à ce qui brille, palpite et végète sous le soleil. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ? […] L’indécision et le vague même de cette fin contribuent au charme ; la rêverie du lecteur achève le reste. — Une fois, contre son ordinaire, le poète a faibli sur la rime (abattu, chenu), et je lui sais gré d’avoir préféré l’expression plus naturelle à une autre qui eût été amenée de plus loin et de force.

395. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

La révolution politique de 1830 a donné le signal naturel à ce revirement littéraire. […] D’ailleurs, il était paisible, confiant et bon ; il se jetait dans l’imprévu avec cette insouciance naturelle aux êtres qui ne croient pas que le mal puisse exister ; il ne se plaignait pas de la fortune, qui l’avait exposé aux chances les plus dures, et il remerciait la nature des instincts qu’elle lui avait donnés et des trésors de jouissances inconnues qu’elle avait renfermés dans son âme. […] Mais ici, quand le roi, en hâte de partir, et dont le danger redouble à chaque minute, demande et commande à Steven des chevaux, et de lui rendre son compagnon de voyage, qu’on lui retient parce que c’est le fiancé de Mina ; quand Steven, non content de résister par piété domestique, étale cette piété, la discute, l’oppose avec faste au rôle du conquérant, quand il s’écrie : « L’homme que vous venez d’appeler un enfant se lève du sein de son obscurité pour se placer devant vous, et pour se mesurer à vous, sans orgueil comme sans crainte… Ce n’est pas parce que je commande que j’ose me comparer à vous, mais parce que j’obéis… J’ai vaincu un ennemi plus redoutable que vous…, je me suis vaincu moi-même » alors le drame cesse en ce qu’il avait de naturel et d’entraînant ; le système reparaît, se traduit de nouveau à la barre sous forme de plaidoyer. […] Qu’il veuille s’inquiéter moins de la démonstration et plutôt de la vie, du naturel, du pathétique de son sujet, comme il en est si capable.

396. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Dans les tragédies de Shakespeare, l’enfance et la vieillesse, le crime et la vertu, reçoivent la mort, et expriment tous les mouvements naturels à cette situation. […] Lors même que Shakespeare représente des personnages dont la destinée a été illustre, il intéresse ses spectateurs à eux par des sentiments purement naturels. […] Une des beautés de la tragédie de Richard III, à la lecture, c’est ce qu’il dit lui-même de sa difformité naturelle. […] L’art lui manque pour se soutenir, c’est-à-dire, pour être aussi naturel dans les scènes de transition, que dans les beaux mouvements de l’âme.

397. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

De temps en temps, surtout dans les épîtres, dans les élégies, deux ou trois vers naturels se détachent ; c’est un geste vrai qui s’est montré en dépit des broderies roides et des longues manches. […] Encore aujourd’hui nous souffrons de cette discipline ; le vers naturel nous manque ; celui d’Alfred de Musset16 est un tapageur ; celui de Victor Hugo un épileptique. […] C’est ici que le franc naturel gaulois éclate. […] Mais aussi nulle part on n’est resserré dans les convenances de la littérature noble ; le ton est naturel ainsi que dans Homère.

398. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

Il me laisse en un coin Sans herbe… Ce dernier mot rejeté à l’autre vers, et ce vœu si naturel, V. 43…. […] Le discours du bœuf a un autre genre de beauté : c’est celui d’un ton noble et poétique, quoique naturel et vrai. […] Les meilleures fables sont celles où les animaux sont peints dans leur naturel, avec les goûts et les habitudes qui naissent de leur organisation. […] Rien de si naturel que ce sentiment et la réflexion qui le suit.

399. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

L’enfant naturel, fût-il même adultérin, est absolument innocent. […] Comme il est naturel, ce qu’il ne comprend pas il le nie. […] Mais il a un don naturel de tout grandir et de tout enfler. […] Voy. préface du Fils naturel et lettre à. […] Préface du Fils naturel.

400. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Il n’y a rien de si facile, de si naturel que, la cigale ayant chanté tout l’été, &, maitre corbeau sur un arbre perché. […] La Fontaine dans ses opéra employe ce même genre qui lui est si naturel dans ses contes & dans ses fables. […] Quoi de plus naturel dans des hommes ignorans, que d’imaginer des êtres qui président à ces élémens ! Quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisoit luire aux yeux le soleil & les étoiles ? Et dès qu’on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l’homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d’une maniere sensible ?

401. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Cela est naturel. […] Ce serait très naturel. […] Il n’y a rien de plus logique et de plus naturel, quand on y réfléchit, que cette absurdité. […] Il y avait incompatibilité naturelle entre le droit d’association et le droit d’enseigner. […] C’est un fait pourtant, parfaitement indiscutable, et c’est tout naturel.

402. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

L’heureux naturel y embellit tout, & sans ce naturel on doit renoncer à ces sortes de Productions.

403. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Penchant naturel des hommes à l’imitation dérisoire. […] Le ridicule, les mœurs, le vraisemblable, le nécessaire, le style, et le dialogue naturel ou satirique, sont les seules conditions du comique de cette espèce : elles ne vont qu’à six. […] Thalie ne la corrige malicieusement que pour lui faire reprendre sa simplicité naturelle et sa patience indulgente. […] Le ridicule que je nomme éternel tient aux passions naturelles du genre humain, telles que l’envie, la jalousie conjugale, l’intérêt, la vanité, la peur, et les appétits grossiers. […] L’absence du naturel ôte au marquis de Regnard tout l’esprit dont Molière relève les discours du sien.

404. (1909) De la poésie scientifique

… Nous avons, en conclusion dernière, exprimé le Rythme, comme « le mouvement de la Pensée consciente et représentative des naturelles et harmonieuses Forces »26. […] En sont possédées les vies des peuples et des empires  et nos propres vies, naturelles et intellectuelles, et nos énergies quotidiennes elles-mêmes. […] Cet Altruisme, nous ne le séparons pas de l’Egoïsme, qui n’est qu’un mode de l’instinct de conservation, avons-nous dit, naturel et nécessaire. […] Le détail se réfère continuellement à l’ensemble, et tout phénomène naturel ou humain, de rapports en rapports, se rattache, d’élargissement en le sens universel, aux diverses séries évolutives. […] Nous n’en sommes plus aux heures où des ignare, ou des plaisantins de plus ou moins de probité, demandaient ingénument si nous mettions en vers l’histoire naturelle I S’il s’en trouve encore, c’est au dam de leur intelligence.

405. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

L’un de ces voyageurs, et qui était plus homme d’esprit qu’autre chose, nous l’a très bien peinte dans ces dernières années de sa vie ; on a par lui cet intérieur au naturel : Cette princesse, dit le baron de Poellnitz, était très affable, accordant cependant assez difficilement sa protection. Elle parlait beaucoup et parlait bien : elle aimait surtout à parler sa langue naturelle que près de cinquante années de séjour en France n’ont pu lui taire oublier ; ce qui était cause qu’elle était charmée de voir des seigneurs de sa nation et d’entretenir commerce de lettres avec eux. […] Je l’en ai souvent grondé ; il m’a répondu que ce n’était pas sa faute ; qu’il prenait du plaisir à s’instruire de tout, mais que, dès qu’il savait une chose, elle ne lui faisait plus de plaisir. » Elle cite de lui une preuve de bon naturel, et « qui m’a tellement émue, dit-elle en vraie mère, que les larmes m’en sont venues aux yeux ». […] Elle s’était prise de grande amitié pour un fils naturel du Régent, et qu’il avait eu d’une danseuse de l’Opéra nommée Florence : il lui rappelait feu Monsieur, avec une plus belle taille. […] Arrivée à Versailles au moment où l’astre de La Vallière déclinait et s’éclipsait, ayant vu les dernières années brillantes, elle entre peu dans cet ordre délicat et qui était fait pour flatter l’imagination : mais sans y entendre finesse, et tout uniment par sa franchise, elle nous découvre à nu la seconde partie du règne sous son aspect humain et très humain, naturel, et, pour tout dire, matériel.

406. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Son défaut principal dans cette réponse où il entre tant de bonnes raisons de détail, c’est de pencher tout entière d’un côté, de ne voir que l’Antiquité et rien de plus, de crier sur cette fin de Louis XIV à la décadence des lettres et à l’invasion de l’ignorance parce que la forme du savoir est près de changer, de croire « que c’est l’imitation seule qui a introduit le bon goût parmi nous », et de ne tenir aucun compte du génie naturel qui a mille façons de se produire dans la suite des âges et qui recommence toujours. […] L’abbé Terrasson croit déjà à son siècle comme plus tard y croira Condorcet : Les sciences naturelles, dit-il, ont prêté leur justesse aux belles-lettres et les belles-lettres ont prêté leur élégance aux sciences naturelles ; mais, pour étendre et fortifier cette union heureuse qui peut seule porter la littérature à sa dernière perfection, il faut nécessairement rappeler les unes et les autres à un principe commun, et ce principe n’est autre que l’esprit de philosophie. Dès l’abord, il avait défini cet esprit de philosophie comme il l’entendait, « une supériorité de raison qui nous fait rapporter chaque chose à ses principes propres et naturels, indépendamment de l’opinion qu’en ont eue les autres hommes ». […] Pour elle, qui se mêle à ces illustres ombres, elle est accueillie aussi par les femmes célèbres dont la renommée peut faire envie aux plus grands hommes ; mais, jusqu’en cette demeure dernière et parmi ces naturelles compagnes, « ce n’est ni Sapho ni la docte Corinne qui lui plaisent le plus, c’est plutôt Andromaque et Pénélope ».

407. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il voulait qu’on osât voir et sentir, qu’on se permît toutes les grandes et naturelles impressions, et qu’on ne résistât point à les exprimer. […] Ramond en appelait volontiers de Buffon jugeant des glaciers à Montbard, à Buffon s’il avait lui-même vu les montagnes ; mais là où il s’écartait de ses idées, il le définissait encore avec respect « ce grand homme par qui, tous tant que nous sommes, nous raisonnons bien ou mal d’histoire naturelle et de géologie ». […] Nommé associé de l’Institut en 1796 et professeur d’histoire naturelle à l’école centrale de Tarbes, il eut quelques années favorables durant lesquelles il fut tout à la science et aux contrées de sa prédilection. […] Les séances de l’Institut le partageaient également ; il les animait de ses vifs récits et de sa parole pittoresque ; il fut nommé membre résident (section d’histoire naturelle et de minéralogie) en 1802. […] Elle nous le montre aussi au naturel dans sa conversation et dans sa personne : « On aurait dit que l’âge accroissait encore le feu de ses discours et de ses regards ; et jusqu’à ses derniers moments, ses proportions légères, son tempérament sec, la vivacité de ses mouvements, ont rappelé le peintre des montagnes. » En ce qui était des hommes, des personnages en scène, il les jugeait bien et les marquait en les jugeant ; sa conversation était gaie, piquante ; il avait de ces mots qui restent, du caustique, le trait prompt et continuel4.

408. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Je sais bien que Fontenelle a dit : « Les mouvements les plus naturels et les plus ordinaires sont ceux qui se font le moins sentir : cela est vrai jusque dans la morale. Le mouvement de l’amour-propre nous est si naturel, que le plus souvent nous ne le sentons pas, et que nous croyons agir par d’autres principes. » La Rochefoucauld, de même, a dit avec plus de grandeur : « L’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre avec un visage naturel, et se découvre par sa fierté ; de sorte qu’à proprement parler, la fierté est l’éclat et la déclaration de l’orgueil. » Un des hommes qui ont le mieux connu les hommes et qui ont su le mieux démêler leur fibre secrète pour les gouverner, Napoléon, a fait un jour de La Rochefoucauld un vif et effrayant commentaire. […] Quand on y réfléchit, il est d’ailleurs tout naturel que, de même que M. de Lamartine n’aime pas La Fontaine, M.  […] vii, verset 7.) — Et dans son langage tout naturel, Homère, introduisant Ulysse déguisé sous le toit d’Eumée, lui fait dire : « J’aimais de tout temps les vaisseaux garnis de rames ; j’aimais les combats, les javelots acérés et les flèches, tout ce qui paraît triste et terrible à beaucoup d’autres.

409. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Cela ne l’empêche pas d’être plus naturel que Corneille qui prend ses beautés hors de la nature, au-dessus de la nature, tandis que Racine prend les siennes dans la nature et dans le cœur, mais en choisissant. Racine est naturel, si on le compare à Corneille, tandis qu’en face de Shakespeare, qui est la nature même, il ne paraît qu’élégant (eligit). […] Bornons-nous à dire, comme tout le monde, que Racine est le prince de l’école qui a cherché à être naturelle en restant noble, élégante, harmonieuse. […] On s’explique difficilement que l’Académie française, qui devait être, ce semble, « l’asile naturel d’un Racine », l’ait repoussé vers le même temps, ou du moins lui ait fait un petit signe de tête négatif et très-significatif, et cela pour la seconde fois : il dut renoncer à l’idée de s’y voir admis. […] De même, au point de vue de l’esprit humain, le digne successeur de Racine, c’est Voltaire qui adorait Racine et le proclamait poète naturel et divin, une merveille de goût, en ayant, lui, bien autre chose encore que du goût.

410. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Il y a des moments où le cours général des choses amène de certains aspects naturels, et où il se dispose de certains retours, de certaines inclinaisons, vagues sans doute, mais que l’activité humaine bien dirigée et agissant avec quelque concert peut saisir, déterminer et achever. […] Qu’il aille donc ce talent à la plume si sûre, qu’il épuise çà et là ses fougues d’essor, mais que surtout il revienne encore souvent au naturel et charmant récit. […] Qu’elle consente à se relâcher un peu de l’absolu de la forme et de la rigueur affirmative, à s’interdire envers les adversaires une chaleur de réfutation trop facile, et qui déplace toujours les questions ; qu’elle permette autour d’elle à bien des faits de détail de courir plus librement sous le contrôle naturel d’un empirisme éclairé, et elle aura permis qu’on s’appuie souvent avec avantage sur elle sans s’y ranger nécessairement ; elle aura fourni un contingent utile à une œuvre pratique d’intelligence et d’indépendance qu’elle est digne d’apprécier ; car chez elle aussi, si je ne me trompe, et derrière ces grands développements de croyances, la maturité personnelle et l’expérience secrète sont dès longtemps venues142. […] c’est le radeau après le navire), la critique, par épuration graduelle et contradiction commune des erreurs, tend à se reformer et à fournir un lieu naturel de rendez-vous. […] Une critique nouvelle, et sans prétention de l’être, faisant digue au mal, refaisant appui aux monuments, peut naître de là ; elle est toute née par la force des choses ; elle existe déjà de formation naturelle plutôt que de propos délibéré ; c’est la meilleure : on en voit déjà les caractères.

411. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

C’est l’intérêt philosophique des idées qui a donné accès à quelques écrits scientifiques auprès des hommes que la chimie ou l’histoire naturelle n’intéressent pas par elles-mêmes ; telles pages924, par exemple, qui précisent sur certains points la conception qu’un homme de notre âge peut se former de l’univers, ou telles discussions sur le darwinisme925, d’où nous sortons mieux renseignés sur la valeur générale de la doctrine. […] Un bon nombre de Mémoires ont été publiés en notre siècle, se rapportant, en général, comme il est naturel, aux deux ou trois siècles précédents. […] Trois de ces Mémoires me paraissent se distinguer dans la foule : ceux de Mme de Rémusat943, qui a pour ainsi dire donné le branle, une femme intelligente, curieuse, un peu commère ; ceux de Marbot944, un soldat, très brave et pas du tout paladin, qui nous donne la note très juste et très réelle de l’héroïsme militaire du temps, mélange curieux de naturelle énergie, d’amour-propre excité et d’ambition d’avancer ; ceux enfin de Pasquier945, un honnête homme sans raideur, excellent serviteur de tous les régimes pour des motifs légitimes, fidèle à ses maîtres sans servilité, à sa fortune sans cynisme, et très clairvoyant spectateur de toute l’intrigue politique ou policière qui se machinait derrière le majestueux tapage des batailles946. […] Charles Darwin (1800-1882) ; De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle (Londres, 1858 ; trad. […] Büchner : Force et matière. — Hæckel : Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles ; Anthropogénie. — Schopenhauer : le Monde comme Volonté et comme Représentation (trad.

412. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Car d’un côté vous avez eu sous les yeux les objets les plus singuliers, vous en avez reçu les impressions les plus neuves, les plus rares, les plus aiguës ; et d’autre part vous avez éprouvé les sentiments les plus naturels, les plus largement humains, les plus accessibles à tous. […] Une extrême sensibilité artistique exercée par les objets les plus extraordinaires et qui se repose enfin dans la traduction des sentiments les plus ingénus ; ce qu’on a appelé « l’impressionnisme » aboutissant à une poésie purement naturelle : tel est à peu près le cas de l’auteur d’Aziyadé et de Pêcheur d’Islande. […] Par les longues traversées, dans la solitude infinie des mers, l’idée persistante et le sentiment de l’immensité de l’univers et de la fatalité des forces naturelles doit vous remplir lentement d’une indéfinissable tristesse. […] Tous les devoirs n’y sont que de charité naturelle, de bienveillance et de pitié. […] Enfin cette habitude des vastes spectacles naturels et des mélancolies où ils nous jettent traîne forcément après soi un certain dédain de ce qui tente et occupe les écrivains sédentaires, des civilisations étroites et de la vie des cités d’Europe, si déprimée et si factice.

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