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535. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Il a confiance en son rythme au point d’y enclore, de mille ingénieuses correspondances, son âme tout entière, telle qu’elle s’éveille aux souffles de la nature et de l’amour. […] Chez la plupart, un dédain de la Nature se montra visiblement, dédain justifié, il est vrai, par la décadence réaliste, mais dédain quand même. […] Signoret sont toutes pénétrées de cet amour intense de la nature qui fait qu’on s’identifie avec elle, qu’on la sent vivante et qu’on prête une âme, comme les anciens, aux vieux chênes, aux sources, aux rochers… Les divinités mythologiques sont ici bien chez elles, dans leurs paysages familiers ; on les y attend, et l’on serait étonné de ne pas les y voir. […] Les notes qu’il nous communique nous le révèlent comme une nature ardente et passionnée, mêlant le lyrisme méridional à je ne sais quel fatalisme exaspéré.

536. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Sujet de ce livre § I Nous avons dit dans les axiomes que toutes les histoires des Gentils ont eu des commencements fabuleux, que chez les Grecs qui nous ont transmis tout ce qui nous reste de l’antiquité païenne, les premiers sages furent les poètes théologiens, enfin que la nature veut qu’en toute chose les commencements soient grossiers : d’après ces données, nous pouvons présumer que tels furent aussi les commencements de la sagesse poétique. […] La sagesse commença chez les Gentils par la muse, définie par Homère dans un passage très remarquable de l’Odyssée, la science du bien et du mal  ; cette science fut ensuite appelée divination, et c’est sur la défense de cette divination, de cette science du bien et du mal refusée à l’homme par la nature, que Dieu fonda la religion des Hébreux, d’où est sortie la nôtre. […] Toutes se réunissent dans la contemplation de la Providence divine ; cette Providence qui conduit la marche de l’humanité, voulut qu’elle partît de la théologie poétique qui réglait les actions des hommes d’après certains signes sensibles, pris pour des avertissements du ciel ; et que la théologie naturelle, qui démontre la Providence par des raisons d’une nature immuable et au-dessus des sens, préparât les hommes à recevoir la théologie révélée, par l’effet d’une foi surnaturelle et supérieure aux sens et à tous les raisonnements. […] De cette triple source nous verrons sortir les principes de l’histoire de la nature humaine, principes identiques avec ceux de l’histoire universelle qui semblent manquer jusqu’ici.

537. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ces émotions, qui n’étaient que les émotions de la nature et du cœur pour nous, auraient été les émotions de l’art pour un grand poète primitif. […] On voyait que cette belle nature rustique, dont nous n’apercevions que la face extérieure, lui apparaissait double à elle, d’abord dans cette nature elle-même, et ensuite dans un miroir écrit de cette nature qui la reflétait à son âme. […] C’est que le génie a deux natures : flamme dans la tête de l’homme, chaleur dans le cœur de la femme. […] c’est l’évangile de la vie rurale : l’esclave et le maître y sont égaux devant la poésie et devant la nature. […] Il n’a reçu de Dieu ni le sens de la nature, ni le sens de la famille, ni le sens de la vertu.

538. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

C’est le signe de l’étude, donné par la nature ou par l’habitude, à tous ceux dont la vocation est de penser ; malheur à ceux dont le menton manque ou fuit en arrière ! […] Ce jeune homme, aussi heureusement doué des dons de la famille et de la fortune que des dons de la nature, s’appelait Alexandre. […] L’antiquité disait, au contraire, comme dit la nature : Timeo hominem unius libri ! […] Mais la nature en sait plus long que la fortune et la France : l’une est aveugle, l’autre est jalouse. […] Voici comment ce miracle de la nature nous fut révélé, comme il le sera à tout ce qui lit.

539. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Elle est arrivée, de plus en plus riche, à l’harmonie de sa nature propre, à la science d’elle-même, à l’art d’elle-même. […] Vous devinez que ce premier chant est un hymne panthéiste à la nature. […] Le soleil se lève et toute la nature chante à celui qui va mourir un hymne de vie. […] Pas plus que le grand méditatif de La Maison du Berger, l’auteur d’Eternité ne vient rêver seul devant la nature. […] Il semble parfois, darwinien éperdu, appeler Nature l’histoire elle-même.

540. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Vous savez que l’on a beaucoup parlé du sentiment de la nature chez les littérateurs du dix-septième siècle, et en général pour nier qu’ils en eussent. […] Il fallait que nos prédécesseurs eussent lu très superficiellement les auteurs du dix-septième siècle pour ne pas s’être aperçus que depuis Malherbe lui-même, et Racan, jusqu’à Fénelon, en passant par Théophile de Viau, par Cyrano, par Saint-Amand, par Voiture même, par La Fontaine, par Mme de Sévigné, et enfin j’arrive à Fénelon, la plupart, presque tous les auteurs du dix-septième siècle ont parlé de la nature avec un sentiment de la nature tout à fait vit, profond   avec un sentiment philosophique, métaphysique, symbolique, non, je le reconnais et je leur en fais mon compliment ; mais avec un sentiment de la nature tout à fait pénétrant et fort. […] Il aime les beaux jardins du temps et voilà tout ; et non pas la grande nature. » Oui mais il faut faire attention au sens des mots et savoir ce que La Fontaine appelle un jardin. […] Il semble que ceci est la première impression de grande nature qu’il ait eue. […] Vous savez ce que Stendhal a dit bien joliment de nos auteurs classiques : s’ils n’ont pas eu le sentiment de la nature, il ne faut pas s’en étonner beaucoup parce qu’ils vivaient tous ou presque tous à Paris, et que les environs de Paris ne sont pas pour donner un sentiment très profond et très grandiose de la nature ; le sentiment d’une nature aimable, gracieuse, infiniment charmante même, oui, mais le sentiment du grand pittoresque, ils ne pouvaient le trouver autour d’eux.

541. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rameau, Jean (1859-1942) »

. — Nature (1891). — Simple roman (1891). — Mademoiselle Azur (1893). — La Mascarade (1893) […] Rameau a une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle. […] Doué d’une réelle originalité, il a, comme l’a fort bien dit un critique, une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle.

542. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre premier. Caractères naturels »

Le christianisme est une religion pour ainsi dire double : s’il s’occupe de la nature de l’être intellectuel, il s’occupe aussi de notre propre nature : il fait marcher de front les mystères de la Divinité et les mystères du cœur humain : en dévoilant le véritable Dieu, il dévoile le véritable homme. […] L’Écriture nous apprend notre origine, nous instruit de notre nature ; les mystères chrétiens nous regardent : c’est nous qu’on voit de toutes parts ; c’est pour nous que le Fils de Dieu s’est immolé.

543. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

En France elle aimait particulièrement le séjour de Saint-Cloud, où elle jouissait avec plus de liberté de la nature. […] Madame raconte très gaiement comme quoi dans sa jeunesse, sentant sa vocation de cavalier si forte, elle espérait toujours un miracle de la nature en sa faveur. […] Elle prouve surtout combien il y a peu de la nature de la femme en elle par le peu de délicatesse, et, pour tout dire, par le peu de pudeur qu’elle a dans les propos. […] En général, et je l’ai déjà remarqué, Mme de Sévigné comprend peu Madame et ne se donne pas la peine d’entrer dans le sens de cette nature si peu française. […] Mais il n’est pas besoin de ce genre d’explication avec une nature si aisée à prévenir, si difficile à ramener, et que tout mettait en opposition et en contraste avec le point de départ et le procédé de Mme de Maintenon.

544. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

C’est un bon esprit plus qu’un esprit supérieur, un écrivain laborieux autant qu’éclairé, d’une vaste lecture, d’une sincérité parfaite, sans un recoin obscur ni une arrière-pensée ; c’est surtout une riche nature morale, sympathique, communicative, qui se teint des milieux où elle vit, qui emprunte et qui rend aussitôt. […] Sismondi, sans copier personne, n’obéissant qu’à son instinct et à sa nature candide, ouverte aux impressions d’alentour, a trouvé ainsi et a fait entrer, dans ce premier ouvrage d’apparence tout agricole, ce qu’on n’irait certes pas y chercher. […] Cette nature fortement consciencieuse de Sismondi avait des scrupules et de la moralité, même en songe. […] Mme d’Albany, qui est un caractère ferme, tranquille, et une nature désabusée, s’étonne que Mme de Staël, forcément éloignée de Paris, ne se résigne pas mieux et n’accepte pas, une bonne fois, une vie indépendante et fermée dans sa noble retraite. […] Celui-ci, comme toute nature individuelle et franche, avait, dans le cercle habituel où il vivait, ses choix et ses préférences ; il avait aussi ses contraires et ses antipathies instinctives.

545. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Fromentin est évidemment un talent aussi souple que complexe ; il peut s’appliquer à tout, nous rendre les aspects de nature les plus opposés, et pénétrer aussi dans les replis du cœur humain avec la dernière finesse, ainsi que l’a prouvé son roman de Dominique. […] qui me fera penser et parler d’honnêtes gens, des natures non gâtées, comme elles ont l’habitude de sentir et comme elles s’expriment ? […] Il aimait à courir la campagne, moins encore pour tendre les pièges aux oiseaux, que pour prêter l’oreille à la nature, qui déjà lui murmurait je ne sais quoi de secret, et pour converser avec l’esprit voilé de ces verts et doux paysages. […] Ce charme d’un amour adolescent se mêle et se confond pour lui avec l’amour de la nature au printemps, et avec une vague inspiration poétique qui depuis longtemps couvait et qui éclate enfin. […] Il y a donc chez lui, même dans la passion, un partage entre l’amour et la muse ; la nature aussi y intervient un peu plus que comme cadre ou accompagnement : c’est un amant des choses agrestes et des harmonies naturelles à qui l’on a véritablement affaire.

546. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Il paraît donc impossible de raisonner d’après une donnée certaine sur la nature de l’infortune. […] « D’abord, la nature du malheur n’étant pas parfaitement connue, cette question reste pour ainsi dire insoluble. […] La vie est douce avec la nature. […] Heureux ceux qui aiment la nature ; ils la trouveront, et trouveront seulement elle, au jour de l’adversité. […] « Des hommes adroits, s’apercevant de ce penchant de la nature humaine à la superstition, en profitèrent.

547. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Les vives qualités de son talent, de son cœur, de sa riche nature intellectuelle, y sont appréciées ; ses écarts y sont réprouvés, expliqués, et l’explication, à quelques égards, les atténue. […] Il fallait se faire avec lui à ces éclats de nature, et s’il se les était interdits, il eût paru un peu affecté. […] dira-t-il ; qu’ils connaissent peu la nature ! […] Ne quitte ton atelier que pour aller consulter la nature… » On se demande ce que vient faire là cette compagne du jeune Loutherbourg. […] Il est plein de reflets de nature et de verdure ; il en offre même infiniment plus que le style de Buffon et celui de Jean-Jacques.

548. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

M. de Bonald avait pris pour épigraphe cette phrase de Rousseau dans le Contrat social : « Si le Législateur, se trompant dans son objet, établit un principe différent de celui qui naît de la nature des choses, l’État ne cessera d’être agité jusqu’à ce que ce principe soit détruit ou changé, et que l’invincible nature ait repris son empire. » — M. de Bonald se réservait de prouver qu’ici la nature n’était autre chose que la société même la plus étroitement liée et la plus forte, la religion et la monarchie. […] Il y avait longtemps qu’il s’était dit : « C’est par l’état social des femmes qu’on peut toujours déterminer la nature des institutions politiques d’une société. » On peut regretter seulement que, là comme ailleurs, il ait compliqué les excellentes raisons de tout genre qu’il produisait, par d’autres trop absolues, trop abstruses et trop particulières. […] Elle en souffre surtout quant au mode de talent et de nature. […] Peu à peu les antipathies d’esprit et de nature pourtant se déclarèrent ; et la politique les fit éclater après 1815. […] Quand on lui parlait de la différence de succès qu’il y avait eu entre la Législation primitive et le Génie du christianisme publiés dans le même temps, il disait : « C’est tout simple : j’ai donné ma drogue en nature, et lui, il l’a donnée avec du sucre. » 58.

549. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

C’est une nature moderne, une de ces natures de nos derniers temps, malades, tant elles sont spirituelles ! […] Comme ce doux Hylas, aimé d’Hercule, dont il avait alors spirituellement la beauté vierge, s’il eût été entraîné au sein du torrent amer, il fût tombé au moins dans une onde que le soleil aurait tiédie, et la Nature, glorifiée par Schelling, l’aurait reçu dans ses bras de déesse, comme les nymphes y reçurent Hylas. […] L’auteur de l’Allemagne reviendra-t-il à la vérité de sa nature naïve et profonde, à cette inspiration primitive et pure qu’il a travestie avec puissance, mais enfin qu’il a travestie ? […] Et quand il écrit tant devers divins, qui ont la beauté des plus cruelles amertumes humaines, n’a-t-il pas encore, pour nids, son propre cœur saignant, et la nature radieuse et immortelle, à travers laquelle il va semant les gouttes de sang de ce cœur déchiré ? […] » Nature et cœur, est-ce assez inconnu à Voltaire ?

550. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Quand on est critique soi-même, il est bien clair que si l’on adopte une méthode plutôt qu’une autre, c’est qu’on y est conduit par sa nature et par ses réflexions ; l’on est bien près, dès lors, d’avoir des objections à adresser à n’importe quelle autre méthode, et tout en se disant que, quand même on le voudrait, on serait peu capable d’en changer, on est fort tenté d’ajouter qu’il n’y a pas grand mal à cela, puisque la méthode qu’on suit est la meilleure et la plus vraie de toutes : sans quoi elle ne serait pas nôtre. […] Nisard, ne ressemble nullement à ces relevés étendus, épars, qui se conforment, avant tout, à la nature des productions qu’ils rencontrent : rien du copiste en lui, rien du faiseur d’extraits et d’analyses. […] La nature est pleine de variétés et de moules divers : il y a une infinité de formes de talents. […] Le critique-historien ne s’abandonne jamais au courant de chaque nature d’écrivain qu’il rencontre ; il la ramène d’autorité à lui, à son modèle ; il force plus d’un fleuve qui s’égarait à rentrer dans ce canal artificiel dont il a creusé le lit à l’avance : il y a des branches rebelles ; elles sont sacrifiées. […] Il en est de même des peuples célèbres : la plupart ont vu naître dans leur sein des hommes profondément empreints de la physionomie nationale, comme si la nature les eût destinés à en offrir le modèle. — Et c’est ainsi, ajoute-t-il, que la nature produisit dans Voltaire l’homme le plus éminemment doué de toutes les qualités qui caractérisent et honorent sa nation, et le chargea de représenter la France à l’univers. » Et il énumère les qualités nombreuses et les quelques défauts essentiels qui font de lui l’image brillante du Français accompli.

551. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Dans l’enseignement public, elle n’était guère de nature à être ouvertement et franchement professée. […] Mais l’esprit humain ne se comporte pas ainsi ; il est impatient et même un peu séditieux de sa nature, il ne sait pas se tenir tranquille au gré des régnants. […] Cousin, en effet, est aussi empressé par nature à s’étendre, que celui de M.  […] Dès le premier jour, et lors même que la jeune parole n’aspire encore qu’à continuer celle du grave prédécesseur, on y sent courir un principe d’ardeur et de zèle qui était de nature à se communiquer aussitôt et à électriser les esprits. […] J’ai paru regretter précédemment que ce nom ait prévalu au point d’éclipser celui de spiritualisme qui s’appliquait mieux au fond et à la nature des idées.

552. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

De l’émulation Parmi les moyens de perfectionner les productions de l’esprit humain, il faut compter pour beaucoup la nature et la grandeur du but que peuvent se promettre ceux qui se consacrent aux études intellectuelles. La vie paresseuse ou la vie active sont plus dans la nature de l’homme que la méditation ; et pour consacrer toutes les forces de sa pensée à la recherche des vérités philosophiques, il faut que l’émulation soit encouragée par l’espoir de servir son pays et d’influer sur la destinée de ses concitoyens. […] Plus les hommes sont médiocres, plus ils mettent de soin à s’assortir ; ils repoussent loin d’eux la raison éclairée, comme quelque chose d’hétérogène avec leur nature, et qui doit être éminemment nuisible à leur empire. […] Une faculté quelconque qui serait en disproportion avec toutes les autres, paraîtrait une bizarrerie de la nature, tandis que la réunion de plusieurs facultés tranquillise la pensée, et attire l’affection. […] La nature a tout animé ; l’homme voudrait-il tout changer en abstraction ?

553. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Mais sa manière de comprendre le combattant donne la manière dont il comprend la nature humaine, et qui la comprend comprend tout. […] Il a toute sa vie trop touché à l’homme ; il l’a trop manié, trop commandé, surtout dans ces terribles moments où, sous la foudre du danger, il se déchire, s’entrouvre et se montre jusqu’aux racines de son être, pour ne pas le connaître à fond et pour ne pas appuyer sur cette connaissance impitoyable de la nature humaine un système de discipline qui doive la rendre héroïque, de lâche qu’elle est ordinairement devant la mort. […] Seulement, dans un temps où la philosophie émet sur la nature humaine les notions les plus orgueilleusement fausses et la pousse à toutes les indépendances et à toutes les révoltes, et où la philanthropie, à son tour, bave d’attendrissement sur l’homme et sur le bonheur qui lui a toujours manqué, à ce pauvre homme ! […] comme un outrage à cette magnifique nature humaine, qui est en train de remplacer Dieu, et, dans un siècle où toutes les législations s’énervent et où l’homme veut échapper à toutes les contraintes, paraîtra peut-être, aux ignorants contempteurs de l’histoire, quelque chose comme un stupide esclavage et comme un radotage affreux de la barbarie du passé ! […] Il l’est de nature.

554. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Saint-Bonnet ne serait pas chrétien que de nature et de physiologie intellectuelle il irait au fond des choses et creuserait les questions jusqu’au tuf. […] Il a traversé rapidement les faits d’expérience que de part et d’autre on s’opposait ; puis, enfonçant la griffe de sa toute-puissante analyse dans les flancs mêmes de la question psychologique, il a substitué une question de nature humaine et d’inévitabilité logique à un rapprochement décevant dont on pourrait également dire : Cela est-il ou cela n’est-il pas ? […] Comme la Sensation est en l’homme le représentant et la voix de la nature, la Raison est dans sa conscience le représentant et la voix de Dieu. […] Oui, cet observateur si fort sur la nature morale de l’homme, sur tout ce qui la trouble et l’altère, nous fait l’effet d’un grand médecin. […] Saint-Bonnet paraît seul avoir saisi la question là où elle est réellement, c’est-à-dire dans l’état effrayant de la pensée européenne et dans la nature de l’esprit humain.

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