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18. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VI »

Chapitre VI Réforme des mots grecs-français. — Les lettres parasites et les groupes arbitraires (ph, ch). — Liste de mots grecs réformés. — La Cité verbale et les mots insolites. — Dernier mot sur le « fonétisme ». — La liberté de l’orthographe. Il n’y a à cette heure que deux réformes à faire dans l’orthographe : l’une concerne les mots grecs ; l’autre, les mots étrangers. […] Je parlerai des mots étrangers dans un autre chapitre. […] Je considère comme intangibles la forme et la beauté de la langue française, et si je livre à la serpe la plupart des mots grecs et des mots étrangers, c’est précisément pour leur donner la beauté qui leur manque. […] Les phonétistes emploient le mot grafie.

19. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

. — Répétition des mots. — Synonymes […] Ainsi il ne faut pas craindre de répéter un mot, quand le sens le rend deux fois ou plusieurs fois nécessaire. […] Mais ces mots mêmes ne sont synonymes que par rencontre : ils n’en ont pas moins, en réalité, des significations différentes et des énergies inégales. […] Les mots ne diffèrent pas par le sens, mais par la dignité. […] Un certain nombre de mots, réservés à l’usage familier, avaient des équivalents nobles : ainsi se forma la catégorie de synonymes dont je m’occupe.

20. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

La langue française est pleine de tels mots : quelques-uns des plus utiles, des plus usuels, sont italiens, espagnols ou allemands. […] Ni un Français ne peut prononcer un mot anglais, ni un Anglais un mot français, et souvent les déformations sont extraordinaires. Lorsque le mot entre par l’écriture, il se francise à la fois de forme et de prononciation, ou de prononciation seulement. […] Il est inadmissible qu’on me demande de prononcer prouffe un mot écrit proof. […] Ces mots auraient donné au français d’il y a deux siècles Noute et chacot.

21. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Mais surtout la question des nouveaux mots à introduire ne sera pas la moins grosse. […] Émotionner est assurément un vilain mot. […] » Donc il y a des cas où le mot est juste, où il est plus à sa place que tout autre. […] Le mot énormément encore s’emploie sans cesse. […] Didot et dont il faut qu’il fasse son deuil, l’un des plus vifs est sur ce mot même d’orthographe : en effet il n’y eut jamais de mot plus mal formé.

22. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Du sens et de la valeur des mots Il n’y a point d’idée à laquelle ne corresponde un mot où elle s’incorpore et s’incarne. […] Par les mots, l’intelligence a prise sur l’inintelligible, et définit l’infini. […] Le dictionnaire donne le sens des mots. […] Tantôt le mot s’atténue ou s’efface, tantôt il s’enfle ou reluit. […] Le mot, dans ces trois cas, fait-il voir trois fois la même lampe à notre esprit ?

23. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Victor Hugo se vantait d’avoir libéré tous les mots du dictionnaire. Il songeait aux mots anciens qui sont beaux comme des plantes sauvages et de même origine naturelle et spontanée. […] Qui entendit jamais prononcer le mot stère ? […] Ce mot n’est-il pas un peu trop gai pour sa signification ? […] Francis Wey s’est amusé à substituer, en des phrases de conversation, certains de ces mots aux mots traditionnels, décagramme, par exemple, à once : « Elle ne pèse pas un décagramme ! 

24. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Le mot précède l’idée ou la suit. […] Un mot un peu long, s’il est entré dans nos habitudes, est compris avant d’être terminé ; si le mot est court ou peu connu, nous nous le répétons faiblement jusqu’à ce qu’il soit bien compris. […] Quels qu’ils soient, les mots qui nous viennent alors à l’esprit ont un sens ; par leur usage et par leur rapprochement, ils éveillent une pensée, et cette pensée venue avec les mots et par eux coexiste un instant dans la conscience avec la pensée qui a suscité les mots. […] le mot qui l’exprime, et pas autre chose. […] Fournié, p. 326 et 336 : « Nous ne trouvons dans le mot que ce que nous y avons mis », etc.

25. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

— Cette locution, ce mot était récent et avait réussi. […] Vaugelas, qui préférait les mots anciens restés dans l’usage, n’était nullement ennemi des mots nouveaux quand il les jugeait nécessaires. […] Le public était mûr pour le mot. […] Le mot Gracieux, chose étrange ! […] Singulière fortune des mots !

26. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Les idées, sous les mots, sont des états très faibles et peu distincts. […] Ce n’est pas qu’ils se trompent sur le sens de ces morceaux ; ils ne peuvent plus leur en voir aucun ; les mots succèdent aux mots sans être accompagnés de leurs idées. […] Ce qui prouve bien que les mots n’éclairent pas les idées, mais les éveillent seulement, c’est l’existence des mots homonymes et synonymes : il n’y a pas rigoureusement un mot pour une idée, mais souvent plusieurs mots pour une même idée, et, plus souvent encore, un seul mot pour plusieurs idées ; il n’en résulte aucune difficulté pour comprendre aisément la parole soit extérieure, soit intérieure. […] Brachet range avec raison parmi les mots dérivés du latin les onomatopées latines qui se sont transformées en mots français. […] VIII) voit les choses plus simplement ; selon son habitude, il substitue des antithèses à une analyse exacte : « Un enfant qui fait un thème a des idées dont il cherche les mots, et celui qui fait une version a des mots dont il cherche les idées ; le premier va de l’idée connue au mot inconnu, le second du mot connu ou du son à l’idée inconnue… ; le dictionnaire est pour l’un un recueil d’idées et pour l’autre un recueil de mots.

27. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Presque tous les mots, même isolés, sont des métaphores  : tout groupe de mots détermine nécessairement une image : elle est neuve et concrète, si les mots n’ont pas encore été groupés selon ces rapports ; elle est abstraite ou parvenue à l’état de cliché, si ce groupement des mots a lieu selon des rapports usuels ou connus. […] Il en est de même des mots, et cette rencontre est un argument de plus pour démontrer que les clichés sont de véritables mots à sens complexe. […] Ce malheur échoit principalement aux mots « poétiques », à ces mots dont abusent les mauvais vers et que telle rime annonce avec une redoutable certitude. […] Passé en anglais, le mot « beau » prit le sens de « fat », et, passé en français, le mot « dandy (élégant) » se trouva très vite chargé d’une acception ironique. […] Quant à l’idée historique, une et complexe, qu’évoque ce mot — succédané du mot royaume, dans les hommes de race, elle n’a pas produit de clichés.

28. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

& les mêmes regles appliquées à chacun des mots. […] Ils prennent pour synonymes des mots qui ne le sont nullement. […] Il y a beaucoup de mots dont on ne donne point les différentes acceptions. […] veut soumettre toutes les origines des mots à ses rêveries. […] La connoissance de l’origine d’un mot en fait mieux sentir toute la force & sert à donner quelquefois plus d’énergie à une phrase en y faisant entrer ce mot à propos.

29. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VIII. De la clarté et des termes techniques »

Il y a une autre sorte de propriété du langage qui consiste non plus dans le rapport en quelque sorte théorique de l’idée et du mot, mais dans le rapport du mot à l’intelligence des gens auxquels on s’adresse. […] Alors, de quoi que l’on parle, science, art, industrie, il faut employer les mots de tout le monde. […] Et de fait, que peuvent nous faire, à nous, lecteurs ignorants, des mots que nous ne connaissons pas, que nous n’avons jamais vus ? […] Au lieu que ces bons vieux mots qu’on connaît depuis l’enfance, et qui font encore leur service tous les jours, ces mots nous vont au cœur, trouvent de l’écho dans notre plus intime expérience. « Connaissant tous ces mots, dit très bien M. 

30. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Faits de répétition de mots, d’actes. […] 2° Par le caractère absolu des mots, c’est-à-dire par le fait que le mot comprend un abstrait d’images absolument tranché : L’antithétisme général (des mots seulement pouvant être opposés). […] 4° Par le caractère signe du mot, c’est-à-dire par le fait qu’un grand nombre de mots sont de purs signes, auxquels aucune image ne correspond : Abondance de mots indéfinis. […] 5° Par le caractère exagérant des mots, c’est-à-dire par le fait que le mot contient les caractères principaux d’une classe de choses portés à leur plus haut degré : L’effet exaltant. […] Hugo à ces moyens et ces effets, soit : verbalisme par surabondance de mots, caractère absolu des mots, leur caractère borné, exagérant, etc.

31. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre V »

Chapitre V Les mots gréco-français jugés d’après leur forme et leur sonorité. — Comment le peuple s’assimile ces mots. — Rejet des principes étymologiques. — L’orthographe et le « fonétisme ». […] Sur l’analogie de vitriol nous avons vu naître aristol, formol, menthol, goménol, mots très acceptables et d’une bonne sonorité. […] Un mot étranger ne peut devenir entièrement français que si rien ne rappelle plus son origine ; on devra, autant que possible, en effacer toutes les traces. […] Au xviie  siècle, le français tendait à s’assimiler même certains mots maniés par les seuls lettrés. […] Le mot n’a, contrairement à l’opinion populaire, aucun rapport avec moine (du latin monachus).

32. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Au lieu du mot bara, mettez le mot tree ; pour un homme qui ne sait pas l’anglais, les deux se valent et aboutissent au même effet nul ; pour un Anglais, le mot tree a justement les propriétés que nous venons de trouver dans le mot arbre. — Un nom que l’on comprend est donc un nom lié à tous les individus que nous pouvons percevoir ou imaginer d’une certaine classe et seulement aux individus de cette classe. […] Vous prononcez devant un bambin dans son berceau le mot papa, en lui montrant son père ; au bout de quelque temps, à son tour, il bredouille le même mot, et vous croyez qu’il l’entend au même sens que vous, c’est-à-dire que ce mot ne se réveillera en lui qu’en présence de son père. […] Un autre instrument fort désagréable aux enfants (pardon du détail et du mot, il s’agit d’un clysopompe) avait laissé en lui, comme de juste, une impression très forte. […] » Ta est pris dans un sens trop vaste, vil faut que désormais ce mot désigne seulement la tête de celui à qui l’on parle. — L’endiguement va se faire ; de nouvelles expériences compléteront la tendance qui produisait le mot blanc, et, désormais achevée, elle correspondra non seulement à la présence de l’éclat, mais encore à la présence d’une certaine couleur. […] Les deux mots de chaque couple représentent deux objets différents et sentis différemment chez les deux peuples.

33. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

. — La race fait la beauté d’un mot. — Le patois européen et la langue de l’avenir. […] Que ces changements atteignent la signification des mots ou leur apparence syllabique, ils sont pareillement légitimes et inoffensifs. Si beaucoup de mots latins n’ont pas gardé en français leur sens originaire, bien des mots du vieux français n’ont plus exactement en français moderne leur signification ancienne. […] Il y a transformation de sens ; il n’y a pas déformation, puisque le mot reste identique à lui-même et n’a rien perdu de sa beauté plastique. […] Déjà il n’est pas très rare de rencontrer une phrase qui se croit française et dont plus de la moitié des mots ne sont pas français.

34. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Le déchet est du moins aussi grand pour le poëme, quand son traducteur en veut rendre les figures mot pour mot. En premier lieu le traducteur ne sçauroit rendre les mots avec précision, sans être obligé de coudre souvent à un mot qu’il traduit des épithetes pour en restraindre ou pour en étendre la signification. […] On traduit ordinairement en françois le mot d’ herus par celui de maître, quoique le mot françois n’ait pas le sens précis du mot latin, qui signifie proprement le maître par rapport à son esclave. […] Les mots traduits d’une langue en une autre langue peuvent encore y devenir moins nobles et y souffrir, pour ainsi dire, du déchet par rapport à l’idée attachée au mot. […] Il en est des mots comme des hommes.

35. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Ensuite, par certains arrangements de mots qui ne sont pas conformes aux rigoureuses prescriptions de la grammaire, on peut ajouter au sens où la construction régulière des mêmes mots atteindrait, ou lui donner la nuance précise que la pensée exige : c’est ce qu’on appelle les figures de construction. […] Un bon nombre de mots de la langue française ne sont que des métaphores, quand on les rapporte à leur origine latine. […] Mieux vaut appeler la chose par son nom, qui évoquera mieux les idées et les images qui s’y sont associées : à cet égard, le mot mer est plus expressif, traîne un plus riche cortège d’impressions, que le mot Thétis. […] Le mot propre surpasse donc ici la métaphore. […] Au lieu de remplacer le mot propre par un autre mot qu’on détourne de son sens habituel, on peut lui donner pour équivalent un groupe de mots dont l’ensemble éveille l’idée que le mot propre exprime.

36. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

La phrase, le mot auront ici une force comique indépendante. […] Voilà un mot d’esprit. […] D’un côté, en effet, nous voyons qu’il n’y a pas de différence essentielle entre un mot comique et un mot d’esprit, et d’autre part le mot d’esprit, quoique lié à une figure de langage, évoque l’image confuse ou nette d’une scène comique. […] C’est le mot bien connu, attribué encore à M.  […] Nous allons voir qu’il en est de même des séries de mots.

37. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Le mot quelquefois ne signifie pas la chose, mais la chose oblige le mot à être vrai ; car il est dans sa nature d’être une expression vraie, ou destinée à devenir vraie. […] Ensuite ce mot a signifié, selon les progrès de l’ordre social, étranger, hôte, ennemi. […] L’histoire d’un grand nombre de mots serait aussi féconde en enseignements. […] Lévesque, en le comparant avec des mots de l’ancien slavon et de l’ancien grec, soit MM.  […] Il a été un temps ou le mot faisait le sens, et un autre temps où le sens faisait le mot : voilà tout le problème de l’institution et de la génération du langage.

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