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544. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

En ce pays de raison raisonnante, elle ne rencontre plus les rivales qui l’étouffaient de l’autre côté de la Manche, et tout de suite elle acquiert, non seulement la force de sève, mais encore l’organe de propagation qui lui manquait. […] Aucun des dons par lesquels on peut frapper et retenir l’attention ne manque à ce style, ni l’imagination grandiose, ni le sentiment profond, ni la vivacité du trait, ni la délicatesse des nuances, ni la précision vigoureuse, ni la grâce enjouée, ni le burlesque imprévu, ni la variété de la mise en scène. […] Mais quel attrait pour des Français, pour des gens du monde, et quel lecteur s’abstiendra d’un livre où tout le savoir humain est rassemblé en mots piquants   Car c’est bien tout le savoir humain, et je ne vois pas quelle idée importante manquerait à un homme qui aurait pour bréviaire les Dialogues, le Dictionnaire et les Romans. […] Enfin, ce qui manque à La Bruyère, ses morceaux s’enchaînent ; il écrit, non seulement des pages, mais encore des livres ; il n’y a pas de logicien plus serré. […] Leur expérience complétait le livre, et, par la collaboration de ses lecteurs, l’auteur avait la puissance qui lui manque aujourd’hui.

545. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Il assista, après le projet de descente manqué, à la soudaine évolution du plan militaire et à l’enfantement de l’immortelle campagne de 1805. […] Ne manquez pas de m’écrire de Londres. […] Et pour terminer ce petit épisode de Picard que j’ai introduit ici avec plaisir : on le voit donc, l’effort qu’au milieu de sa carrière tenta ce spirituel auteur pour atteindre à la haute comédie, fut manqué ; il livra sa grande bataille en cinq actes et en vers, comme je l’ai appelée, et il la perdit. […] au moment où je vais commencer une scène, une danseuse vient me demander un pantalon, des souliers brodés ou une jupe de crêpe, quoique nos règlements proscrivent le crêpe ; un chanteur me fait dire qu’il est enrhumé, et il faut aller le flatter ou le menacer, si je ne veux pas que Paris manque d’opéra.

546. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Je suis sur les lieux ; je vois les choses avec application, et c’est mon métier que de les connaître ; je sais mon devoir, aux règles duquel je m’attache inviolablement, mais encore plus que j’ai l’honneur d’être votre créature, que je vous dois tout ce que je suis, et que je n’espère que par vous ; ce qui étant de la sorte, et n’ayant pour but que très-humble et très parfaite reconnaissance, ce serait bien y manquer et me rendre indigne de vos bonnes grâces, si, crainte d’une rebuffade ou par l’appréhension de la peine, je manquais à vous proposer les véritables expédiants qui peuvent faciliter le ménage et avancement de cet ouvrage-ci, et de tous ceux que vous me ferez l’honneur de me commettre. […] Je vous supplie donc de vous laisser persuader, et de vous souvenir que, la citadelle de Lille ayant l’honneur d’être votre fille aînée dans la fortification, il est juste que vous lui fassiez quelque prérogative. — Rien, disait-il encore en ouvrier amoureux de son ouvrage, rien n’est mieux conduit ni plus beau que toute cette maçonnerie ; l’on n’y voit pas le moindre défaut. » La maçonnerie était belle, mais on menait les maçons un peu rudement : « Pour empêcher la désertion des maçons, qui me faisait enrager, j’ai pris, sous votre bon plaisir, deux gardes de M. le maréchal (d’Humières), des plus honnêtes gens, qui auront leurs chevaux toujours sellés dans la citadelle, avec chacun un ordre en poche et un nerf de bœuf à la main ; les soirs, on verra ceux qui manqueront ; après quoi, dès le matin, ils les iront chercher au fond de leur village, et les amèneront par les oreilles sur l’ouvrage. » Est-il besoin d’avertir qu’il y a quelque plaisanterie dans cette rudesse un peu grossière ? […] Ils échangent leurs cadeaux d’amitié : Vauban aura le portrait de Louvois, peint par Mignard ; Louvois recevra de Vauban « un Plan de Lille bien rectifié, avec la description de tout son paysage à la portée du canon à la ronde, où toutes choses, jusqu’au moindre fossé, sont mises dans leur place juste, et où il ne manque pas la moindre chose du monde » ; présent sévère et de main de maître aussi.

547. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Mais l’exposé et le début triomphant de l’entreprise manquaient ; on n’a rien à désirer maintenant, grâce au Mémoire publié par M.  […] Aussitôt après le passage du Rhin, le prince d’Orange se retire et n’estime pas de la prudence d’attendre dans ses retranchements de l’Yssel Louis XIV qui comptait se porter à sa rencontre : « Cette nouvelle de la retraite prompte du prince d’Orange, quoique avantageuse pour le bien de mon service, me donna d’abord quelque mortification pour ce qui regardait ma propre gloire, parce que, s’il fût resté sur l’Yssel, j’espérais le combattre et peut-être défaire entièrement son armée ; mais, ayant toujours préféré l’intérêt de l’État à celui de ma réputation, je ne songeai qu’à profiter des avantages que la retraite des ennemis me fournissait. » Ce ne fut pas la seule fois que Louis XIV regretta d’avoir manqué l’occasion de se mesurer avec le prince d’Orange : une autre fois, dans la suite de cette guerre (1676), il la manqua encore, proche de Valenciennes, mais par sa faute ce jour-là et par trop de prudence : il ne tenait qu’à lui d’attaquer. […] Louvois n’y manqua point.

548. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ?  […] Pour me rafraîchir et me raviver les impressions à son sujet, je viens de relire sa Correspondance24 si vive, si amusante, à laquelle il ne manque, pour être tout à fait agréable, qu’une clef, l’indication possible et facile à donner (mais qu’on se hâte !) […] Elle a trop souvent manqué depuis à des écrivains énervés par le désir d’entrer un jour à l’Académie française. » Beyle ne savait pas très exactement l’histoire littéraire, et il n’appréciait pas la qualité essentielle, solide et grave, de la langue sous Louis XIV ; mais là où il ne se trompait pas, c’était sur l’abus qu’on avait fait depuis lors des fausses imitations et des prétendues conformités avec cette langue et surtout avec la poésie racinienne. […] Étienne n’y manque jamais.

549. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

L’affaire de Casai, sourdement menée jusqu’alors, qui passait pour manquée, et qui s’était renouée très secrètement avec le duc de Mantoue et ses ministres après la trahison de Mattioli, éclata sur ce temps. […] Lorsque le jeune duc reparut dans sa capitale pour la première fois depuis cette terrible maladie, vraie ou feinte, depuis ce mariage impopulaire qui avait manqué, et le lendemain de la chute d’un ministre odieux, la population tout entière le salua avec transport. […] Les dernières réformes de ce grand organisateur ; comme quoi elles manquèrent et furent la plupart neutralisées ou révoquées après lui ; — comment lui-même, par sa brusque et foudroyante disparition, manqua tout à fait à la guerre qui était en plein cours et à celles qui suivirent ; — ce qu’était la guerre avec Louvois, et la guerre sans lui ; — comment il était trop nécessaire et indispensable quand il disparut, pour être à la veille d’une chute, ainsi qu’on l’a tant dit et répété : — tous ces points et bien d’autres, dans l’ouvrage de M. 

550. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Ce qui manque, c’est du calme et de la fraîcheur, c’est quelque belle eau pure qui guérisse nos palais échauffés. » Cette qualité de fraîcheur et de délicatesse, cette limpidité dans l’émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d’imagination qui s’y produisent, deviennent d’autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. […] En attendant, l’on sent ce qui manque, et parfois l’on en souffre ; on se reprend, dans certaines heures d’ennui, à quelques parfums du passé, d’un passé d’hier encore, mais qui ne se retrouvera plus ; et voilà comment je me suis remis l’autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j’en parle aujourd’hui. […] La maréchale tient dans l’action toute la partie moralisante, et elle en use avec un à-propos qui ne manque jamais son but ; Athénaïs et Eugène sont le caprice et la poésie, qui ont quelque peine à se laisser régler, mais qui finissent par obéir, tout en sachant attendrir leur maître. […] Nous ne dirons rien des autres écrits de Mme de Souza, de Mademoiselle de Tournon, de la Duchesse de Guise, non qu’ils manquent aucunement de grâce et de finesse, mais parce que l’observation morale s’y complique de la question historique, laquelle se place entre nous, lecteur, et le livre, et nous en gâte l’effet.

551. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Que de fois on passe dans la vie, sans le deviner, à côté de ce qui en ferait le charme, comme le navigateur franchit les eaux d’une terre aimée du ciel qu’il n’a manquée que d’un horizon et d’un jour de voile26 !  […] L idée d’Ourika, d’Édouard, et probablement celle qui anime les autres écrits de Mme de Duras, c’est une idée d’inégalité, soit de nature, soit de position sociale, une idée d’empêchement, d’obstacle entre le désir de l’âme et l’objet mortel ; c’est quelque chose qui manque et qui dévore, et qui crée une sorte d’envie sur la tendresse ; c’est la laideur et la couleur d’Ourika, la naissance d’Edouard ; mais, dans ces victimes dévorées et jalouses, toujours la générosité triomphe. […] Entre toutes les scènes si finement assorties et enchaînées, la principale, la plus saillante, celle du milieu, quand, un soir d’été, à Faverange, pendant une conversation de commerce des grains, Édouard aperçoit Mme de Nevers au balcon, le profil détaché sur le bleu du ciel, et dans la vapeur d’un jasmin avec laquelle elle se confond, cette scène de fleurs données, reprises, de pleurs étouffés et de chaste aveu, réalise un rêve adolescent qui se reproduit à chaque génération successive ; il n’y manque rien ; c’est bien dans ce cadre choisi que tout jeune homme invente et désire le premier aveu : sentiment, dessin, langue, il y a là une page adoptée d’avance par des milliers d’imaginations et de cœurs, une page qui, venue au temps de la Princesse de Clèves, en une littérature moins encombrée, aurait certitude d’être immortelle. […] » Plus loin elle implore la crainte de Dieu comme un aiguillon de la paresse et de la langueur ; elle demande la force, car, dit-elle, ce manque de force est un des grands dangers des conversions tardives.

552. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Pensez-vous que les raisons manquent pour cela ? Elles ne manquent jamais pour rien, les raisons. […] Au contraire, ce qui manque à son roman, je serais presque capable de l’y mettre, et le père Astier-Réhu lui-même saurait nous le dire et nous le développer… Le seul don de l’expression pittoresque, à un pareil degré, me fait passer aisément sur une psychologie peut-être sommaire et sur un certain manque de renanisme… Et puis, je ne sais plus.

553. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Il est très exigeant pour l’extérieur, qui seul lui importe et, si l’agitation romantique et le tremblement énorme du panache le font sourire, la raison classique lui semble manquer un peu de relief. […] Comme Banville, Tailhade est un parnassien fantaisiste parce qu’il est un romantique impuissant : il remplace par de l’étrangeté qui s’amuse et qui veut étonner, la couleur et l’abondance spontanée qui lui manquent. […] Le parnassien condamnerait un geste qui manqua de mesure et il méprise « ces meurtres conjugaux dont l’abomination démodée fit les beaux jours des palabres romantiques ». […] Je soupçonne Dante, en effet de n’avoir rien de parnassien et Polyeucte, renversant les idoles, manque vraiment de tenue.

554. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

., l’argumentation souvent est faible, la logique en paraît pleine de lacunes, et, en pareille matière, à cette date où nous sommes, il n’est pas surprenant qu’il manque dans la chaîne du raisonnement quelques anneaux. […] Ce qui manque à l’éloquence de l’abbé Lacordaire, c’est précisément ce que celle de Bourdaloue a de trop. […] Il reprenait aussi le sien ; mais la lampe infidèle, éteinte avant le jour, ne tardait pas à lui manquer de nouveau ; alors il s’approchait du four ouvert et enflammé, et continuait, à ce rude soleil, la lecture de Tite-Live ou de César. […] Ces humbles instructions ont du naturel, de la grâce, et avec lui elles ne manquent jamais d’élévation.

555. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Chasles l’a très bien dit : « On a répété à outrance que M. de Balzac était un observateur, un analyste ; c’était mieux ou pis, c’était un voyant. » Ce qu’il n’avait pas vu du premier coup, il le manquait d’ordinaire ; la réflexion ne le lui rendait pas. […] Charles de Bernard, mort depuis peu, manquait de ce mobile ; il doutait de tout avec ironie et avec goût, et son œuvre si distinguée s’en est ressentie. […] Tout l’édifice de la civilisation raffinée, telle qu’il l’avait rêvée toujours, semblait s’écrouler ; l’Europe un moment, son Europe à lui, allait lui manquer comme la France. […] En admirant le parti qu’ont su tirer souvent d’eux-mêmes des hommes dont le talent a manqué des conditions nécessaires à un développement meilleur, souhaitons à l’avenir de notre société des tableaux non moins vastes, mais plus apaisés, plus consolants, et à ceux qui les peindront une vie plus calmante et des inspirations non pas plus fines, mais plus adoucies, plus sainement naturelles et plus sereines.

556. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Dans son éducation domestique à Bonnefons, le jeune d’Antin n’avait pas manqué d’apprendre par les gens de la maison, surtout par les femmes de chambre, l’aventure de sa mère : Comme elles comptaient que j’en profiterais, dit-il, et, par conséquent, qu’elles en auraient leur part, elles me parlaient toujours, à l’insu de mon père, du roi, de la Cour, des grands biens et fortunes qui m’attendaient. […] Il ne lui manquait qu’une vertu pour faire un guerrier, c’était, assure-t-on, la bravoure personnelle, et encore il dissimulait si bien, il prenait tellement sur lui, qu’on fut assez longtemps avant de voir à nu le défaut. […] Au retour des campagnes, il ne bougeait de Meudon où était Monseigneur, et il réalisait le miracle d’être vu en plusieurs lieux à la fois ; car on ne rencontrait que lui à Versailles : « Je ne manquais à rien, à l’égard du roi, de tout ce que l’envie de plaire peut suggérer à un courtisan éveillé. » Pour mieux gagner dans l’estime du roi, il mettait sa délicatesse à ne lui rien demander, et visait, par une sorte de platonisme courtisanesque, à n’acquérir que la considération de son maître : c’était le but de toutes ses espérances. […] Cherchant à rassembler dans sa raison toutes ses forces et tous ses motifs de renoncement, il se dit qu’il n’a guère plus de quarante ans ; qu’il y a moyen, après avoir consacré sa jeunesse au service du roi et de sa patrie, de vivre chez soi en honnête homme ; il se trace le plan d’une vie heureuse et privée : « Avoir du bien honnêtement, n’avoir rien à se reprocher (et, pour cela, commencer par payer toutes ses dettes), avoir mérité d’avoir des amis, et savoir s’amuser des choses simples. » Toutes ces conditions pourtant ne laissent pas d’être difficiles à rencontrer dans le même homme, et il suffit d’une seule qui échappe, ou d’un goût étranger qui se réveille, pour faire tout manquer, et pour corrompre ce tranquille bonheur.

557. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Au retour, et n’étant plus si pressé, le prince ne manquait pas de s’arrêter en oraison dans l’église du cloître : Car, dit-elle, « néanmoins qu’il menât la vie que je vous dis, si était-il prince craignant et aimant Dieu ». […] Du temps de Marguerite, il ne manqua point de gens qui l’accusèrent pour la protection qu’elle accordait aux lettrés amis de la Réforme ; elle trouva des dénonciateurs en Sorbonne ; elle en trouva également à la Cour. […] De tout temps, les honnêtes femmes ont dû écouter et entendre plus de choses qu’elles n’en disent ; mais le moment décisif et qui est à noter, c’est celui où elles ont cessé de dire elles-mêmes ces choses inconvenantes, et de les dire au point de les fixer ensuite par écrit sans songer qu’elles manquaient à une vertu. […] Telle que je viens de la montrer dans l’ensemble, en fâchant de ne pas forcer les traits et en évitant toute exagération, elle a mérité ce nom de gentil esprit, qui lui a été si universellement accordé ; elle a été la digne sœur de François Ier, la digne patronne de la Renaissance, la digne aïeule de Henri IV par la clémence comme par l’enjouement, et, dans l’auréole qui l’entoure, on aime à lui adresser ce couplet que son souvenir appelle et qui se marie bien avec sa pensée : Esprits charmants et légers qui fûtes de tout temps la grâce et l’honneur de la terre de France ; qui avez commencé de naître et de vous jouer dès les âges de fer, au sortir des horreurs sauvages ; qui passiez à côté des cloîtres et qu’on y accueillait quelquefois ; qui étiez l’âme joyeuse de la veillée bourgeoise, et la fête délicate des châteaux ; qui fleurissiez souvent tout auprès du trône ; qui dissipiez l’ennui dans les pompes, donniez de la politesse à la victoire, et qui rappreniez vite à sourire au lendemain des revers ; qui avez pris bien des formes badines, railleuses, élégantes ou tendres, faciles toujours, et qui n’avez jamais manqué de renaître au moment où l’on vous disait disparus !

558. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

La voix qui se fait entendre est celle de toutes peut-être qui a le moins de force et d’autorité ; mais il ne lui sera pas reproché de manquer de zèle pour la bonne cause et de respect pour la vérité. […] Il y a plus ; au sein du schisme même, naissent sourdement de petits schismes secondaires, à qui peut-être il ne manque qu’une occasion pour éclater. […] Si l’audace manque pour tenter de si périlleux essais, on se borne à dénaturer tous les caractères de la pensée, à exagérer tous les moyens de la parole. […] Il en est quelques autres encore qui sont dignes de marcher à leur suite, et à qui, pour se placer au premier rang, il ne manque que de se défier davantage des séductions de la flatterie, des suggestions de l’amour-propre et des illusions d’un triomphe de coterie.

559. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Inversement, que dans une société, même très centralisée, manquent la plupart des autres conditions favorables à l’égalitarisme, et nous trouverons naturel qu’elle soit peu égalitaire. […] On répète depuis Tocqueville que la centralisation manque aux États-Unis. Mais, d’abord, de l’aveu de Tocqueville lui-même, si elle manque à leur fédération, on la retrouverait en chacun d’eux ; et d’ailleurs c’est surtout la centralisation « administrative » qui leur fait défaut : la centralisation « gouvernementale » y est aussi forte que dans bien des monarchies d’Europe208. […] Un homme qui n’appartient qu’à une société s’appartient difficilement ; il manque des secours précieux qu’apporte aux individus, comme nous l’avons montré, la multiplicité des sociétés auxquelles ils participent.

560. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Ainsi Fontenelle a dit de Saint Thomas, que, dans d’autres circonstances, il eût peut-être été Descartes ; et il n’a manqué à Roger Bacon, moine au treizième siècle, que d’être le contemporain des Leibnitz et des Newton, pour être leur égal. […] Il y a des sujets qui ne peuvent manquer de réussir. […] Celle d’Auguste fut la bonté d’un politique qui n’a plus d’intérêts à commettre des crimes ; celle de Vespasien fut souillée par l’avarice et par des meurtres ; celle de Titus est plus connue par un mot à jamais célèbre, que par des actions ; celle des Antonins fut sublime et tendre, mais une certaine austérité de philosophie qui s’y mêlait, lui ôta peut-être ces grâces si douces auxquelles on aime à la reconnaître ; parmi nous, celle de Louis XII, à jamais respectée, manque pourtant un peu de la dignité des talents et des grandes actions : car, il faut en convenir, nous sommes bien plus touchés de la bonté d’un grand homme que de celle d’un prince qui a de mauvais succès et des fautes à se faire pardonner. […] Enfin, on écrivit son histoire, et l’on ne manqua point d’observer qu’il était né le même jour que François Ier perdit la bataille de Pavie, comme si apparemment la nature eût voulu consoler la France.

561. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Comment ce qui semblait manquer aux beaux jours de la république, à l’époque où elle avait produit de si grands hommes, lui fut-il donné sous le joug d’un maître habile mais sans grandeur, indigne par ses premiers crimes des éloges qu’à mérités la modération prudente de ses dernières années ? […] Car nous, durant les maux de la patrie, nous ne pouvons achever notre œuvre avec un esprit assez libre ; et l’illustre descendant de Memmius ne pourrait non plus, pour être attentif à pareille chose, manquer au salut public. » Mais ce magnifique essor du poëte, à l’ouverture de ses chants, est à la fois son premier salut et son adieu à l’enthousiasme lyrique. […] Cette condition seule peut-être a manqué pour donner dès-lors au Latium, dans un autre ordre de génie, une gloire égale à celle d’Homère. […] Ce qui manquait si fort, nous le voyons, au premier grand poëte de Rome, ce qui glaçait pour lui l’enthousiasme lyrique, pouvons-nous le trouver dans d’autres génies du même temps, nourris au milieu des mêmes corruptions, et n’ayant pas peut-être cette mélancolie mêlée de pitié qui rend si éloquent même le scepticisme de Lucrèce ?

562. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Que lui avait-il manqué, même d’enthousiasme lyrique, du moins par instants et par éclairs ? […] Mais, dira-t-on, malgré ces rares exemples, la flamme manquait au foyer. […] « Je te cherche, lorsque sur le vaste sein du fleuve je dirige ma course dans le crépuscule ; mais plus encore, sous le pâle rayon de la lune, je m’aperçois que tu manques à mon côté. « Je dispose mes livres, j’essaye mon pinceau, pour charmer les heures languissantes du midi : mais il me manque ton œil doucement approbateur, ton oreille attentive avec indulgence.

563. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Le poëte, par manque de ce tact que j’appellerai grec ou attique, et qui n’est pas moins français, ne recule jamais devant le choquant de l’expression, quand il doit en résulter quelque similitude matérielle plus rigoureuse qu’il pousse à outrance. […] Le même manque de tact littéraire (au milieu de tant d’éclat et de puissance !) […] Au résumé, et malgré nos critiques, qui se réduisent presque toutes à une seule, à un certain manque d’harmonie parfaite et de délicate convenance, les Chants du Crépuscule non-seulement soutiennent à l’examen le renom lyrique de M.

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