Mémoires, t.
Du moins ne nous reste-t-il pas de mauvaise prose de Virgile, de laquelle ses ennemis aient pu se prévaloir ; au lieu que nous avons de Cicéron des vers qui font honte à sa mémoire.
Et si un tel livre, qui à toute page fait oublier qu’il en est un, n’est au fond qu’un bouquet d’histoires recueillies dans le pays de cette Luçotte, qui est, par le langage, un chef-d’œuvre de vieille paysanne bas-bretonne, il faut féliciter sincèrement la femme qui les a réunies de tous les bonheurs de sa mémoire, et d’avoir gardé si fidèlement l’âme de son pays dans son âme.
Alonso n’obtint nulle récompense du succès de son expédition : son orgueil entreprit, en la consacrant par les vers à la mémoire, de se payer les périls que sa valeur y avait courus. […] Celle qui paya de sa vie la délivrance de son pays, méritait-elle qu’une maligne satire immolât sa mémoire ? […] On voit que cette énonciation du sujet est exacte et concise ; et qu’elle n’a de hardi que le commandement impérieux qu’adresse Homère à l’une des filles de Mémoire. […] quel aiguillon pour réveiller les génies industrieux à consacrer dans la mémoire les objets qui mériteront une éternelle célébrité ! […] En ce point, ont excellé Homère, Virgile, et Flaccus, en invoquant leurs filles de mémoire, nymphes de leur temps héroïque ; et depuis, le Tasse et Milton, en appelant à leur aide l’auguste muse des cantiques d’Israël, et l’esprit qui enflamma les prophètes.
Barrière, cette verve violente et misanthropique s’exprime par des mots et des tirades ; elle ne s’est pas incarnée dans des types vivants, et qui restent dans la mémoire du spectateur. […] Dumas fils, dans d’autres qu’il a lu Molière et les anciens auteurs comiques, dans la plupart que sa mémoire est hantée par les souvenirs dramatiques du boulevard. […] Cependant il a composé plutôt deux mémoires physiologiques sur la folie et les effets physiques du remords que deux contes fantastiques. […] Tous les détails observés par vous trouveront leur emploi à leur heure, et la mémoire vous les rendra fidèlement lorsque vous en aurez besoin. […] Le souvenir est permis lorsque les matériaux empruntés à la mémoire sont ainsi transformés.
L’Exil rend plus vivace en moi votre mémoire, Oiseaux ! […] -V… et la presse a été généralement respectueuse envers cette grande mémoire — et cet illustre nom en train de devenir plus glorieux encore, — et si joliment ! […] Qu’ajouterai-je de plus sur ce sympathique vieillard, lorsque j’aurai dit qu’il était fort cultivé et qu’il avait été l’ami, et je crois bien le contemporain à Eton, et à Oxford, ou à Cambridge, de lord Tennyson ;) J’aurai d’ailleurs l’occasion de rappeler sa mémoire. […] La sœur a disparu de ma mémoire, mais le frère, ordonné prêtre depuis, fut mon élève pendant quelque temps. […] Racine, par contre, pour tracasser ses maîtres, apprit un jour par cœur, et écrivit de mémoire une nouvelle grecque, « Théogène et Chariclée » !
Les Mémoires d’un Saint-Cyrien. — 1880. […] Mais lorsqu’après trois jours d’anéantissement, elle retrouva toute sa mémoire pour souffrir, ce fut une crise de larmes, un flot amer que rien ne pouvait arrêter ni tarir. […] Il se disait alors : « C’est ma destinée, donc c’est mon devoir. » Et rien ne comptait plus dans sa conscience ni dans sa mémoire. […] Quant à Gustave Planche, un des premiers habitués et bientôt le critique en titre, je ne le cite que pour mémoire. […] Tu as donc veillé auprès de ton père cette nuit-là, pauvre cher ami, elle ne sortira pas de ta mémoire.
Il manquait d’air, de liberté, d’espace ; il manquait de mémoire. […] Ces braves gens ont gardé la mémoire de Rosambeau ; de cette vie abandonnée à l’heure présente, ils n’ont pas été étonnés que je sache. […] « Souvent (c’est Diderot qui parle), j’ai vu rire un comédien hors de la scène, je n’ai pas mémoire d’en avoir jamais vu pleurer un. […] (et encore on lui a fait écrire des Mémoires à ce pauvre Fleury !) […] Il l’appelle du plus grand nom que sa mémoire lui fournisse. — Lady Capulet, c’est le nom de la dame.
Il consiste à enregistrer simplement les documents dans sa mémoire, sans en prendre note par écrit. […] Des historiens, doués d’une mémoire excellente et, d’ailleurs, paresseux, se sont passé cette fantaisie : le résultat a été que la plupart de leurs citations et de leurs références sont inexactes. La mémoire est un appareil d’enregistrement très délicat, mais si peu précis, qu’une pareille audace est sans excuse. […] Les Mémoires, écrits plusieurs années après les faits, souvent même à la fin de la carrière de l’auteur, ont introduit dans l’histoire des erreurs innombrables. Il faut se faire une règle de traiter les Mémoires avec une défiance spéciale, comme des documents de seconde main, malgré leur apparence de témoignages contemporains.
Alors la mémoire des héros était confiée à des orateurs dont le génie donnait l’immortalité. […] Je ne m’écarte point de mon sujet, en rappelant la mémoire de ces fondateurs des anciennes républiques, auprès de qui la postérité placera Washington. […] Ses premiers regards tombaient sur les restes du grand homme dont la mémoire lui était confiée par la reconnaissance publique. […] Sa mémoire obtiendra toujours des hommages. […] Fontanes fit encore un rapport à l’Institut national sur les manuscrits de Gresset ; il y lut un petit mémoire sur quelques notes écrites par Voltaire à la marge d’un exemplaire de Virgile.
Ainsi surtout doit-on faire s’il s’agit d’un lieu de quelque renom, d’une fondation destinée précisément à perpétuer la mémoire des hommes et des choses. […] La reprise moderne des vieux systèmes lui remet en mémoire ces deux cent quatre-vingts sectes de l’antiquité toutes fondées sur la recherche et la définition du souverain Bien. […] De toutes ces productions de Naudé composées durant le séjour d’Italie et couvées, pour ainsi dire, sous le manteau et sous la pourpre, on ne lit plus maintenant, on ne cite plus guère à l’occasion que ses Coups d’État ; et, par leur renom de machiavélisme, ils ont presque entaché sa mémoire. […] Ruiné et criblé de dettes, on lui conseillait d’écrire ses Mémoires et de raconter tant de choses curieuses qu’il savait sur la haute société, dans laquelle il avait passé sa vie ; un libraire de Londres lui promettait bien des guinées pour cela ; quelques amis même le pressaient : « Non, c’est impossible, répondit le comte : je ne trahirai jamais des gens avec qui j’ai diné. » — Le comte d’Orsay et Gabriel Naudé !
Ravaisson dans une de ses pages les plus souvent citées : « des profondeurs de la mémoire sort aussitôt tout ce qui peut y servir des trésors qu’elle contient. […] Maintenant, supposez que la représentation de la brûlure subsiste dans ma mémoire et y subsiste avec la représentation du feu qui l’a causée ; voilà un état mental beaucoup moins simple et beaucoup plus riche en relations que la simple sensation d’odeur. […] Si je recommence un grand nombre de fois à toucher la flamme qui m’a brûlé ou tout au moins à en sentir la chaleur croissante à mesure que j’en approche le doigt, si j’additionne grosso modo dans ma mémoire tous les cas positifs, si j’ai conscience, au contraire, de l’absence d’aucun cas négatif, si je vois ainsi les raisons pour (égales à un nombre indéfini) et les raisons contre (égales à zéro), si enfin j’ai le langage qui me permet de traduire la direction d’esprit résultant de cette comparaison, j’arriverai à cette proposition générale : le feu brûle. […] L’imagination reproductrice ne se distingue pas de la mémoire ; elle reproduit l’image des objets en l’absence des objets mêmes.
Si Béranger avait eu à émouvoir l’âme aventureuse et voluptueuse du peuple qui gémit, de souvenirs et de tristesse, au bord des quais de Venise, il aurait écrit des stances d’Arioste et du Tasse, en vers dignes d’être soupirés sous ce beau ciel, et il les aurait jetés, comme réminiscence classique, dans la mémoire des gondoliers. […] L’air musical est nécessaire aussi pour graver le couplet dans la mémoire du peuple par l’obsession d’un écho qui redit un million de fois le même refrain. […] Je ne sais de cette histoire que ce que Béranger m’en a souvent raconté épisodiquement à propos de lui ou des autres ; j’en ai entendu assez cependant pour savoir que ce jeune homme, devenu une grande mémoire, n’était nullement dépourvu d’éducation, ni même d’instruction classique. […] Quand l’homme a fait le tour de sa vie et qu’il se rapproche par la mémoire du foyer d’où il est parti enfant, il revoit par la pensée les sœurs qui jouaient dans des berceaux à côté du sien, et, s’il en existe une encore, fût-ce derrière les grilles d’un monastère, toute son âme y reflue : les feuilles en automne tombent sur les racines.
On trouvera quelques-unes de ses Odes mises en françois par l’Abbé Massieu & par l’Abbé Sallier dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres. […] Eux seuls ont épargné à sa mémoire la honte dont elle devoit être couverte. […] Resserrées dans de vers énergiques, elles se gravent profondément dans la mémoire de quiconque a assez d’esprit pour en connoître tout le mérite. […] Dans un sujet consigné partout, soit dans les monumens publics, soit dans la mémoire des Romains par une tradition presqu’orale, Lucain ne pouvoit plus faire usage des grandes machines de l’Epopée, & faire intervenir à son gré les Dieux ; mais la fiction qu’il n’avoit pas la liberté de répandre dans l’économie de son poëme, il l’a fait entrer dans les détails.
Un étranger a fait un livre intitulé, de la charlatanerie des savants ; ce titre promet beaucoup ; si par malheur l’ouvrage n’était pas bon, ce ne seraient point les mémoires qui auraient manqué à l’auteur, ce serait l’auteur qui aurait manqué aux mémoires ; mais s’il n’a pas voyagé en France, il a privé son livre d’un excellent chapitre2. […] Dans leurs mémoires périodiques, qu’on peut appeler, comme M. de Voltaire appelle l’histoire, d’immenses archives de mensonge et d’un peu de vérité, presque tout est loué, excepté ce qui mérite de l’être. […] Je vous présente donc ces Recherches comme à un géomètre profond, qui a su » joindre aux agréments de l’esprit les plus sublimes connaissances, et dont je distingue le suffrage parmi le petit nombre de ceux qui peuvent véritablement me flatter. » S’il est permis de joindre à l’éloge des étrangers celui des morts, qui ne saurait blesser les vivants, l’auteur oserait encore rappeler ici, comme un témoignage des sentiments de son cœur, ce qu’il écrivait en 1752 à un homme dont la mémoire doit être précieuse à tous les gens de lettres qui l’ont connu, à feu M. le marquis d’Argenson, en lui dédiant (après sa retraite du ministère) l’Essai d’une nouvelle théorie de la résistance des fluides.
Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) […] Le recueil des Mémoires de l’Académie de Caen en particulier est rempli de recherches sur nos vieux poètes dont un si grand nombre sont normands.
mais le pieux registre que garde ma mémoire de toutes tes tendresses en ce lieu, survit toujours à bien des orages qui ont effacé mille autres sujets moins profondément gravés. Les visites de nuit que tu faisais dans ma chambre pour savoir si j’étais sain et sauf et chaudement couché ; tes largesses du matin avant le départ pour l’école, le biscuit ou la prune confite ; l’eau odorante que ta main prodiguait à mes joues jusqu’à ce qu’elles fussent brillantes de fraîcheur et luisantes, tout cela, et ce qui fait plus chérir que tout encore, ce courant continu d’amour que rien en toi n’interrompait, que ne troublèrent jamais ces débordements et ces sécheresses que crée une humeur inégale ; tous ces souvenirs, toujours lisibles dans les pages de ma mémoire et qui le seront jusqu’à mon dernier âge, ajoutent le plaisir au devoir, me font une joie de te rendre de tels honneurs que le peuvent mes vers ; un bien fragile témoignage peut-être, mais sincère, et qui ne sera point méprisé au ciel, quand il passerait inaperçu ici-bas… Si le Temps pouvait, retournant son vol, ramener les heures où jouant avec les fleurs brodées sur ta robe, — violette, œillet et jasmin, — je les dessinais sur le papier avec des piqûres d’épingle (et toi, pendant ce temps-là, tu étais encore plus heureuse que moi, tu me parlais d’une voix douce et tu me passais la main dans les cheveux, et tu me souriais) ; si ces jours rares et fortunés pouvaient renaître, s’il suffisait d’un souhait pour les ramener, en souhaiterais-je le retour ?
— L’année suivante en refaisant son mémoire autrefois couronné à l’Académie de Copenhague, il éprouvait de nouveau quelque chose de la même joie intellectuelle, tant il est vrai que ce n’est que le travail régulier et un cours tracé de production qui lui manque pour retrouver toute la conscience de lui-même et son équilibre : « Ce travail, dit-il, a duré un mois. […] On a l’aperçu de ce livre, qui est moins un livre de philosophie qu’une peinture morale, livre de naïveté et de bonne foi, nullement d’orgueil, d’où il résulte qu’un homme de plus, et de ceux qui sont le plus dignes de mémoire, est bien connu ; livre à mettre dans une bibliothèque intérieure à côté et à la suite des Pensées de Pascal, des Lettres spirituelles de Fénelon, de L’Homme de désir par Saint-Martin, et de quelques autres élixirs de l’âme.
Il y a un côté par où M. de Mirabeau tomba dans la secte et fut un dévot au docteur Quesnay ; mais, en laissant ce côté particulier et ce coin de paradoxe économique, que d’idées fines et justes dans ses écrits, que de vues justifiées par l’expérience et que ne désavouerait pas le bon sens politique, soit qu’on le prenne dans son mémoire de début sur L’Utilité des États provinciaux (1750), soit dans maint chapitre de L’Ami des hommes (1756), soit dans la Théorie de l’impôt (1760) qui le fit mettre cinq jours au donjon de Vincennes, par un simulacre de châtiment et une concession faite aux puissances financières du temps ! […] Toutefois, sur cette protestation de son peu d’étude et de lecture, Mirabeau n’est pas dupe et n’est crédule qu’à demi : « Vous ne lisez point, me dites-vous, et vous me citez tous les mots remarquables de nos maîtres ; cela me rappelle Montaigne qui soutient partout qu’il craint d’oublier son nom tant il a peu de mémoire, et nous cite dans son livre toutes les sentences des anciens. » — S’il convie son ami à s’ouvrir à lui, il lui donne largement l’exemple et ne se fait pas faute de se déclarer.
Mais auparavant j’ai à donner, à ceux de nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas, une première idée de la personne distinguée dont il s’agit et dont le nom a quelque effort à faire, ce semble, pour courir aisément sur des lèvres françaises, — pour se loger dans les mémoires françaises. […] Où serait la personnalité, sans laquelle on dit que l’immortalité ne serait qu’un vain don, si la mémoire ne s’y joignait, si le moi cessait d’être ?