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712. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Les toits de chaume, tapés à cru du jaune d’or de la lumière de midi, avaient des tons de poissons rissolés dans le beurre28. […] Attiré par tout ce qui se fane et disparaît, Rodenbach craint la lumière, le mouvement, la vie. […] Mais tout apparaîtra peu à peu dans une lumière de rêve ; les nuages se joindront pour se prêter une mutuelle force et les idées vont naître avec elle dans une tremblante clarté. […] Maeterlinck ne fut-il pas certain matin projeté brusquement en lumière par Octave Mirbeau ? […] Monté à Paris, en 1911, avec Mme Georgette Leblanc dans le rôle de La Lumière.

713. (1914) Une année de critique

Qui donc, en effet, prétendrait mettre des œillères au citoyen libre, et l’empêcher de décider de tout par ses propres lumières ? […] Par l’étroit passage, avec la rapidité d’un regard, coule un rais de lumière. […] Mais la lumière qui va éclairer un aspect un peu pervers de cette âme, je voudrais qu’elle fût projetée par un de ces anarchistes auxquels M.  […] Il répand une lumière vive sur l’esprit du narrateur, et ne nous apprend rien sur les autres personnages, que ne puisse savoir celui-là. […] Quelle lumière sur une âme !

714. (1921) Esquisses critiques. Première série

Si le grand jour de la réputation, si la lumière crue de la notoriété se posent sur eux, leurs traits s’effacent comme il arrive sous un soleil trop blanc. […] S’acharnant contre eux en ennemi, il étale en pleine lumière leur hideur morale. […] Les arômes, les couleurs, la lumière, s’amalgament par l’artifice de ce devin. […] D’autres, Stendhal Flaubert, concentrent une lumière intense sur des figures isolées ou peu nombreuses : Mme Bovary, la Sanseverina. […] L’eau comme vaporisée par l’intime pénétration de la lumière, ne réfléchit plus les objets qui s’y posent : elle simule un amas de brumes splendides, calmes, etc.

715. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Avec le renouvellement universel de la pensée et de l’imagination humaine, la profonde source poétique qui avait coulé au seizième siècle s’épanche de nouveau au dix-neuvième, et une nouvelle littérature jaillit à la lumière ; la philosophie et l’histoire infiltrent leurs doctrines dans le vieil établissement ; le plus grand poëte du temps le heurte incessamment de ses malédictions et de ses sarcasmes ; de toutes parts, aujourd’hui encore, dans les sciences et dans les lettres, dans la pratique et la théorie, dans la vie privée et dans la vie publique, les plus puissants esprits essayent d’ouvrir une entrée au flot des idées continentales. […] La lumière s’abat par nappes éblouissantes ; les pétales lustrés, dorés, éclatent avec un coloris trop fort ; les plus magnifiques broderies, le velours constellé de diamants, la soie chatoyante couturée de perles n’approchent pas de cette teinte profonde ; la joie déborde comme d’une coupe trop pleine. […] Une fumée brumeuse, pénétrée du soleil, les enveloppe de son voile roussâtre ; c’est l’air lourd et charbonneux d’une grosse serre ; depuis le sol et l’homme jusqu’à la lumière et l’air, tout est transformé par le travail. […] Poëmes sérieux et grandioses qui, ouvrant une échappée sur l’infini, laissent entrer un rayon de lumière dans l’obscurité sans limites et contentent les profonds instincts poétiques, le vague besoin de sublimité et de mélancolie que cette race a manifestés dès l’origine et qu’elle a conservés jusqu’au bout.

716. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

L’habit noir ou la jaquette des hommes, les chiffons des femmes, l’asphalte du boulevard, le petit journalisme, le bec de gaz et demain la lumière électrique, et une infinité d’autres choses en font partie. […] L’observateur regarde les objets l’un après l’autre, y poursuit la fuite lente du jour, note où en est sur chacun d’eux l’effacement de la lumière au moment où son regard s’y porte. […] Voici un paysage de MM. de Goncourt : La lune pleine, rayonnante, victorieuse, s’était tout à fait levée dans le ciel irradié d’une lumière de nacre et de neige, inondé d’une sérénité argentée, irisé, plein de nuages d’écume qui faisaient comme une mer profonde et claire d’eau de perles ; et sur cette splendeur laiteuse, suspendue partout, les mille aiguilles des arbres dépouillés mettaient comme des arborisations d’agate sur un fond d’opale… Anatole prit à gauche… Il était dans une petite clairière. […] L’épithète étant toujours, dans cette manière d’écrire, le mot le plus important, voici des tournures qui mettent l’épithète au premier plan en la transformant en substantif neutre (à la façon des Grecs) : «… Mais c’était le ciel surtout qui donnait à tout une apparence éteinte avec une lumière grise et terne d’éclipsé, empoussiérant le mousseux des toits, le fruste des murs…37 » — «… Des voix fragiles et poignantes attaquant les nerfs avec l’imprévu et l’antinaturel du son38. » — « Et il mit une note presque dure dans le bénin de sa parole inlassable et coulante39. » Les mots abstraits surabondent dans cette prose si vivante : ce qui semble contradictoire, mais s’explique avec un très petit effort de réflexion.

717. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Ces connaissances, sous leur forme abstraite et philosophique, à cette hauteur où mon œil les aperçoit à peine, pareilles à ces lumières qui brillent dans les espaces infinis et qui ne percent pas l’ombre où nous sommes, de quel usage me sont-elles dans les détails de mes actions ? […] Il dut lui paraître étrange que la lumière de la révélation eût été refusée au monde ancien, et qu’à deux âges différents du genre humain, la morale eût eu deux principes contradictoires. […] Où est le philosophe qui s’estime assez éclairé sur sa nature, par les seules lumières de sa raison, pour s’étonner que Pascal ait senti l’insuffisance de la sienne, et qu’il l’ait employée à croire à une lumière venue d’en haut, qui découvre aux plus humbles esprits ce qui se dérobe à la curiosité des plus superbes ?

718. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Pour coïncider avec le moi, il faudrait au moins que le caractère devint tout entier conscient, diaphane, de toutes parts à jour et pénétré de lumière. Et ce n’est pas encore assez : pour constituer la liberté véritable, il faut que ce soit la lumière même qui agisse, il faut que ce soit le moi conscient et réfléchi. […] Si nous pouvions n’agir qu’en vertu de motifs tous parfaitement éclairés, si nous pouvions être pour nous-mêmes comme une sphère de pure lumière, nous nous rapprocherions davantage de l’idéal. […] La liberté, terme du développement volontaire, est ainsi la motivation par excellence, la motivation complète, s’étendant aussi loin qu’il est possible, embrassant dans la pleine lumière un ensemble de fins aussi vaste qu’il est possible, pour les ramener à l’unité du moi.

719. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

J’ai essayé de montrer quelle lumière le principe de perfectionnement graduel jette sur l’admirable talent constructeur de l’Abeille domestique. […] On ne peut tirer une objection valable de ce que la science, en son état actuel, ne jette encore aucune lumière sur le problème bien plus élevé de l’essence ou de l’origine de la vie. […] Lorsque nous serons certains que tous les individus de la même espèce, et toutes les espèces alliées de la plupart des genres, sont descendus d’un commun ancêtre à une époque relativement peu éloignée et qu’ils ont émigré d’un berceau unique ; lorsque aussi nous connaîtrons mieux leurs divers moyens de migration ; alors, à la lumière que la géologie jette dès aujourd’hui et jettera plus encore à l’avenir sur les changements survenus dans les climats ou dans le niveau des terres, nous pourrons sûrement suivre et retracer avec une grande exactitude les anciennes migrations des habitants du monde entier. […] Une vive lumière éclairera alors l’origine de l’homme et son histoire.

720. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Il est certain que tout tient à tout dans l’univers : il existe par conséquent entre toutes les sciences humaines certains rapports qui ne permettent à aucune de refuser les lumières que peuvent lui offrir celles qui s’en éloignent le plus dans l’ordre de parenté. […] Lorsque Pinel et Esquirol déterminèrent les états et les causes physiologiques de la folie par un ensemble aussi complet d’observations et d’analyses ; lorsque Gall et Spurheim, même en des recherches qui ne devaient aboutir qu’à une doctrine bientôt abandonnée, essayèrent de montrer, à la surface du cerveau, les nombreux organes de nos diverses facultés mentales ; lorsque Magendie et surtout Flourens commencèrent leurs belles expériences sur les êtres vivants, continuées avec tant de succès par les naturalistes et les physiologistes de nos jours, afin d’arriver à déterminer d’une façon précise et sûre les vraies conditions organiques des fonctions de la vie intellectuelle et morale : — tous ces travaux, exécutés par les facultés les plus rares de l’esprit aidées des méthodes les plus ingénieuses et des instruments les plus délicats, ont répandu de telles lumières sur la question des rapports du physique et du moral qu’il en est sorti, non plus une doctrine vague et conjecturale, mais une véritable science. […] Voilà de bien curieuses révélations dues aux récentes méthodes de recherche, et qui éclairent d’une lumière toute nouvelle la question des rapports de l’âme et du corps. […] L’antithèse de la science et de la conscience, qui serait si fatale à la moralité humaine, si elle était réelle, n’est heureusement qu’apparente et destinée à disparaître devant la lumière d’une science plus fidèle à l’expérience que celle qui s’inspire des hypothèses matérialistes.

721. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Dans la nature même, un paysage inondé de lumière le touche moins qu’à demi embrumé. […] Elle tourne en étude, en curiosité, les grandes impressions qui inclinent l’âme du côté de la lumière. […] Sera-ce Dieu avec sa lumière ou l’homme avec ses ténèbres ? […] Est-ce du moins la lumière ? Mais la question est de savoir si c’est la lumière de la foudre ou celle du soleil, et si la lumière sans la grâce est une lumière.

722. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Une fois Saint-Cyr établi, Mme de Maintenon s’y adonne tout entière ; se considérant comme chargée d’une mission par le roi et par l’État, elle y consacre les moindres parcelles de son temps et y dirige toute la lumière et tout l’effort de son esprit. […] L’une après l’autre se sont éteintes toutes les lumières dans mon âme, tous les glorieux songes de mon printemps.

723. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Depuis que ces cinq hommes forts, réduits au silence pour une cause ou pour une autre, nous font défaut, « la nuit est revenue, dit M. du Camp ; chacun se traîne à travers l’obscurité pour chercher la lumière, et nul ne la trouve. […] Ici nous retrouvons des paroles connues et qui ont été proclamées il y a plus de vingt-cinq ans. — L’âge d’or, qu’on place toujours en arrière, est devant nous. — Aimons, travaillons, fécondons l’imprescriptible progrès. — La littérature, dans l’avenir, aura à formuler définitivement le dogme nouveau. — Tout cela encore est bien vague, bien peu défini ; Déroulant devant nous le mouvement scientifique et le mouvement industriel de notre temps, l’auteur essaie de préciser ce rôle qu’il assigne au littérateur, au poète, et qui est, selon lui, d’expliquer la science, de la revêtir de charme et de lumière : « Il se passe parfois, dit-il, de planète à planète, de fer à aimant, de mercure à mercure, de chlore à hydrogène, des romans extraordinaires qu’on dissimule pudiquement derrière des chiffres et des A+B. » L’auteur voudrait que le poète expliquât et rendît sensibles à chacun de nous ces mystères.

724. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Il y a bien des années, et avant qu’une critique investigatrice eût rassemblé autour de cette figure de Bossuet tous les éclaircissements et toutes les lumières, un écrivain de beaucoup d’esprit, s’essayant à définir le grand évêque gallican, disait : « Bossuet, après tout, était un conseiller d’État. » Si par là on ne voulait dire autre chose, sinon qu’il y avait en Bossuet un homme politique, un homme capable d’entrer dans le ménagement des personnes et la considération des circonstances, on avait raison ; mais si l’on prétendait aller plus loin, toucher au fond de sa nature et infirmer l’idée fondamentale du prêtre, on se tromperait : car au fond de cette nature, telle qu’elle ressort aujourd’hui de tous les témoignages et qu’elle nous apparaît dans une continuité manifeste, il y a avant tout et après tout un croyant. […] L’impression que laisse la lecture du journal de Le Dieu, au milieu des particularités oiseuses et quelquefois bien vulgaires qui s’y rencontrent, a cela d’utile qu’elle met cette vérité et cette sincérité de la nature de Bossuet dans une entière et incontestable lumière.

725. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Il avait mis d’ailleurs dans tout son jour et en pleine lumière le côté tendre, affectueux, de Vauvenargues, ce côté le plus connu, la beauté de sa nature morale, et avait parfaitement marqué le trait dominant de son caractère, la sérénité dans la douleur ; et il concluait en disant que l’espèce de gloire réservée à Vauvenargues était celle qui peut sembler le plus désirable aux natures d’élite, l’amitié des bons esprits et des bons cœurs. […] Il fit une maladie grave et qui mit ses jours en danger en 1739 ; les lettres que lui adresse Vauvenargues à ce sujet sont les plus précieuses de cette correspondance, en ce qu’elles jettent quelque lumière sur les vrais sentiments en matière de religion et les croyances de celui qui les écrivait.

726. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Fizeau sur la lumière. […] si les bois, l’ombrage aimé du chêne, Ont trop caché la lumière à mes yeux, Soufflez, ô vents que Dieu sitôt déchaîne, Feuilles, tombez, laissez-moi voir les cieux.

727. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot sur ce parfait isolement et cet aparté de la science, et je ne vois pas pourquoi, arrivés au sommet de leur ordre et à la plénitude de leur vie, les savants ne seraient point légitimement appelés et invités à concourir de leurs lumières à la chose publique, à résoudre tant de questions pratiques et utiles qui intéressent la bonne police des sociétés humaines, et sur lesquelles ils ont qualité, plus que personne, pour décider. […] Biot eut, à son tour, sa découverte : il fit une remarque féconde en conséquences, et à l’aide de laquelle il put indiquer et conseiller l’emploi de la lumière polarisée pour étudier diverses questions de mécanique chimique.

728. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Selon lui, quatre ou cinq faits authentiques et « plus clairs que la lumière du soleil », suffisent pour garantir tout le reste de la tradition. […] On dirait même qu’il a d’avance quelque pressentiment de ce que notre siècle a ressaisi et remis en lumière des mystères ensevelis de l’antique Égypte ; il exhorte Louis XIV à faire fouiller la Thébaïde ; il est très au courant pour son temps, il cite les Voyages publiés par M. 

729. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Les anciens poètes grecs avaient un seul mot pour dire lumière et homme (φώς), comme si l’homme était réellement le phare de la création. […] Mille écluses maîtriseraient et distribueraient l’inondation sur toutes les parties du territoire ; les huit ou dix milliards de toises cubes d’eau qui se perdent chaque année dans la mer, seraient réparties dans toutes les parties basses du désert, dans le lac Mœris, le lac Maréotis et le Fleuve sans eau, jusqu’aux Oasis et beaucoup plus loin du côté de l’ouest, — du côté de l’est, dans les Lacs Amers et toutes les parties basses de l’Isthme de Suez et des déserts entre la mer Rouge et le Nil ; un grand nombre de pompes à feu, de moulins à vent, élèveraient les eaux dans des châteaux d’eau, d’où elles seraient tirées pour l’arrosage ; de nombreuses émigrations, arrivées du fond de l’Afrique, de l’Arabie, de la Syrie, de la Grèce, de la France, de l’Italie, de la Pologne, de l’Allemagne, quadrupleraient sa population ; le commerce des Indes aurait repris son ancienne route par la force irrésistible du niveau… » Le mot de civilisation ne s’est pas rencontré encore ; il n’échappe qu’à la fin et aux dernières lignes, comme le résumé de tout le tableau ; il introduit avec lui et implique l’idée morale, qui a pu paraître jusque-là assez absente : « Après cinquante ans de possession, la civilisation se serait répandue dans l’intérieur de l’Afrique par le Sennaar, l’Abyssinie, le Darfour, le Fezzan ; plusieurs grandes nations seraient appelées à jouir des bienfaits des arts, des sciences, de la religion du vrai Dieu ; car c’est par l’Égypte que les peuples du centre de l’Afrique doivent recevoir la lumière et le bonheur ! 

730. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

La Cour de Sceaux, même en son meilleur temps, fut toujours un peu arriérée sans doute, cantonnée dans son vallon, fermée aux lumières et au souffle du dehors, obstinément cartésienne par M. de Malezieu ; mais ce Malezieu était un homme de savoir, nourri de premières études très fortes, qui lisait Sophocle dans le texte, et chaque jour il passait là, dans ce cercle de la princesse, des personnes du premier ordre par l’esprit : Voltaire, Mme du Châtelet, Mme du Defland ; Mlle de Launay, ce témoin exquis qui fait loi devant la postérité, y était en permanence. […] Il ne participe en rien aux lumières, aux idées générales du temps : il n’en est que par une certaine bonhomie et simplicité de ton et par une certaine douceur de mœurs.

731. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Ce funeste trait de lumière frappe la raison avant d’avoir détaché le cœur ; poursuivi par l’ancienne opinion à laquelle il faut renoncer, on aime encore en mésestimant ; on se conduit comme si l’on espérait, en souffrant, comme s’il n’existait plus d’espérances ; on s’élance vers l’image qu’on s’était créée ; on s’adresse à ces mêmes traits qu’on avait regardés jadis comme l’emblème de la vertu, et l’on est repoussé par ce qui est bien plus cruel que la haine, par le défaut de toutes les émotions sensibles et profondes : on se demande, si l’on est d’une autre nature, si l’on est insensé dans ses mouvements ; on voudrait croire à sa propre folie, pour éviter de juger le cœur de ce qu’on aimait ; le passé même ne reste plus pour faire vivre de souvenirs : l’opinion qu’on est forcé de concevoir, se rejette sur les temps où l’on était déçu ; on se rappelle ce qui devait éclairer, alors le malheur s’étend sur toutes les époques de la vie, les regrets tiennent du remords, et la mélancolie, dernier espoir des malheureux, ne peut plus adoucir ces repentirs, qui vous agitent, qui vous dévorent, et vous font craindre la solitude sans vous rendre capable de distraction. […] Et comme les femmes ont besoin d’admirer ce qu’elles aiment, les hommes se plaisent à exercer sur leur maîtresse l’ascendant des lumières, et souvent ils hésitent entre l’ennui de la médiocrité, et l’importunité de la distinction.

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