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948. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Si l’on quitte la vie pour échapper aux peines du cœur, on désire laisser quelques regrets après soi ; si l’on est conduit au suicide par un profond dégoût de l’existence qui sert à juger la destinée humaine, il faut que des réflexions profondes, de longs retours sur soi, aient précédé cette résolution ; et la haine qu’éprouve l’homme criminel contre ses ennemis, le besoin qu’il a de leur nuire, lui feraient craindre de les laisser en repos par sa mort ; la fureur dont il est agité, loin de le dégoûter de la vie, fait qu’il s’acharne davantage à tout ce qui lui a coûté si cher. […] Le courage, qui fait braver la mort, n’a point de rapport avec la disposition qui décide à se la donner : les grands criminels peuvent être intrépides dans le danger, c’est une suite de l’enivrement, c’est une émotion, c’est un moyen, c’est un espoir, c’est une action ; mais ces mêmes hommes, quoique les plus malheureux des êtres, ne se tuent presque jamais, soit que la Providence n’ait pas voulu leur laisser cette sublime ressource, soit qu’il y ait dans le crime une ardente personnalité qui, sans donner aucune jouissance, exclut les sentiments élevés avec lesquels on renonce à la vie.

949. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

La belle Camille, qui n’est qu’un joli et tendre animal, d’une douceur toute moutonnière et passive, se laisse prendre, presque sans résistance ni révolte, par un hardi garçon, un officier d’artillerie, qui disparaît lorsqu’il la sait enceinte. […] Il aime toujours Camille, et voilà que Camille se remet à l’adorer et qu’elle se laisse épouser sans rien dire. […] Je me sens moi-même, après des lectures comme celles-là  commencées avec ennui, achevées avec émotion  tout plein de confiance et tout prêt à me laisser consoler de la vie.

950. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Bailey n’ont jeté aucune lumière nouvelle sur la question et ont laissé la théorie de Berkeley telle qu’elle était. […] Ainsi lorsqu’on laisse de côté le langage vague sur la liberté de la volonté — qui est, comme on l’a dit, la liberté de quelque chose qui n’existe pas — la véritable question se présente sous une forme qui ne laisse plus guère de place à une divergence d’opinions.

951. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

La preuve en est qu’on trouve dans les chansons de geste — voire le roman de Pépin et de Berte — de longues laisses monorimes ; je dis monorimes. […] L’analyse subtile que Becq de Fouquières dans son Traité de versification française a fait des vers magnifiques de Racine : Ariane ma sœur, de quelle amour blessée, Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée. […] III Car ayant parlé des phénomènes d’assonance, je ne dois pas laisser de côté ceux d’allitération, — intimement liés aux premiers. — Les mots étant composés de consonnes et de voyelles, il s’avère que par un habile usage des consonnes on accroîtra le plaisir musical des vers comme on fait avec l’assonance.

952. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Sa compagne, au contraire, laisse descendre, comme un voile d’or, ses longues tresses sur sa ceinture, où elles forment de capricieux anneaux : ainsi la vigne courbe ses tendres ceps autour d’un fragile appui ; symbole de la sujétion où est née notre mère ; sujétion à un sceptre bien léger ; obéissance accordée par Elle et reçue par Lui, plutôt qu’exigée ; empire cédé volontairement, et pourtant à regret, cédé avec un modeste orgueil, et je ne sais quels amoureux délais, pleins de craintes et de charmes ! […] Adam, ravi de sa beauté et de ses grâces soumises, sourit avec un supérieur amour : tel est le sourire que le ciel laisse au printemps tomber sur les nuées, et qui fait couler la vie dans ces nuées grosses de la semence des fleurs. Adam presse ensuite d’un baiser pur les lèvres fécondes de la mère des hommes…… Cependant le soleil était tombé au-dessous des Açores ; soit que ce premier orbe du ciel, dans son incroyable vitesse, eût roulé vers ces rivages ; soit que la terre, moins rapide, se retirant dans l’orient, par un plus court chemin, eût laissé l’astre du jour à la gauche du monde.

953. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Qu’il me soit permis de transporter le voile de mon bossu sur la Venus de Medicis, et de ne laisser apercevoir que l’extrémité de son pied. […] Ne craignez pas qu’il s’avise de dire au pauvre diable gagé, Mon ami, pose-toi toi-même, fais ce que tu voudras ; il aime bien mieux lui donner quelque attitude singulière que de lui en laisser prendre une simple et naturelle. […] Laissez-moi cette boutique de manière.

954. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Ou mieux encore, il fallait le laisser seul et l’abandonner à sa rêverie. […] Mais laissons-là la peinture, mon ami, et faisons un peu de morale. Pourquoi le récit de ces actions nous saisissent-elles l’âme subitement, de la manière la plus forte et la moins réfléchie, et pourquoi laissons-nous apercevoir aux autres toute l’impression que nous en recevons ?

955. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

L’Empereur Napoléon Ier, qui aurait résolu ce problème s’il était venu à bout des coalitions qui l’ont renversé, l’a laissé dans son héritage, et un jour, jour prochain peut-être, le législateur avisera. Mais en pleine révolution, quand les capitales des provinces, têtes somnolentes comme les fameux pavots qui tombèrent sous la baguette de Tarquin, avaient été abattues par la Convention, ce Tarquin monstre à trois cents baguettes, — qui coupait tant de têtes et qui n’en avait pas, — ce n’était pas une poignée de rhéteurs en fuite qui pouvait résoudre de haute lutte le problème que Napoléon Bonaparte a laissé pendant derrière lui. […] Vaultier nous a laissé de petits portraits, encore trop grands, de ces mirmidons, dont le plus grand homme fut Louvet, l’auteur de Faublas.

956. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

La critique kantienne, sur ce point au moins, n’aurait pas été nécessaire, l’esprit humain, dans cette direction au moins, n’aurait pas été amené à limiter sa propre portée, la métaphysique n’eût pas été sacrifiée à la physique, si l’on eût pris le parti de laisser la matière à mi-chemin entre le point où la poussait Descartes et celui où la tirait Berkeley, c’est-à-dire, en somme, là où le sens commun la voit. […] Si on laisse de côté les théories qui se bornent à constater l’« union de l’âme et du corps » comme un fait irréductible et inexplicable, et celles qui parlent vaguement du corps comme d’un instrument de l’âme, il ne reste guère d’autre conception de la relation psychophysiologique que l’hypothèse « épiphénoméniste » ou l’hypothèse « paralléliste », qui aboutissent l’une et l’autre dans la pratique — je veux dire dans l’interprétation des faits particuliers — aux mêmes conclusions. […] Ce que l’on tient d’ordinaire pour une plus grande complication de l’état psychologique nous apparaît, de notre point de vue, comme une plus grande dilatation de notre personnalité tout entière qui, normalement resserrée par l’action, s’étend d’autant plus que se desserre davantage l’étau où elle se laisse comprimer et, toujours indivisée, s’étale sur une surface d’autant plus considérable.

957. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Le courant de l’opinion, laissé à lui-même, était à cette époque pour une réparation des injustices commises, des oppressions trop prolongées. […] pourquoi ne pas le laisser se renfermer en cela dans le silence des conditions privées ? […] Vous ne feriez rien, que ceci vous laisserait dans la position où vous étiez en fructidor, et vous ne l’avez pas désavouée. […] En regard du côté brillant, il laisse voir le côté sacrifié, qu’on serait tenté d’oublier ou de faire moindre qu’il ne fut réellement. […] La première Restauration toutefois le laissa encore à l’écart, ou du moins simplement mêlé aux affaires et aux fêtes municipales.

958. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Avant d’entrer, nous laissons à la porte nos systèmes avec nos paletots. […] S’il poignardait sa femme, on verrait les blessures ; le poison laisserait des traces. […] Jeune, il laissait à la nature le soin de ses cheveux ; plus tard ils tombèrent sous les coups de ciseaux des dames dont les larmes avaient mouillé les pages de ses romans. […] Il s’abandonnait, se livrait, se laissait prendre à cette musique du ciel avec candeur et bonne foi. […] C’est là qu’il écrivit à La Motte Le Vayer, à l’occasion de la mort de son fils, ce beau sonnet et ce postscriptum où il ouvre son cœur et se laisse aller à la volupté des larmes.

959. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

C’était un de ces hommes dont la physionomie laisse lire toutes les pensées, et dont toutes les pensées sont bienveillantes et vertueuses. […] Toujours prêt à donner un bon conseil, il laissait faire ensuite, et se trouvait là pour consoler ou pour secourir. […] Le second jour, il eut une joue gelée, et sans un bonnet de laine que lui prêta son compagnon, il y eût sans doute laissé ses deux oreilles. […] Déjà s’entrelaçaient leurs palmes, et ils laissaient pendre leurs jeunes grappes de cocos au-dessus du bassin de la fontaine. Excepté cette plantation, on avait laissé cet enfoncement du rocher tel que la nature l’avait orné.

960. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Il faudra laisser vieillir les jeunes arrivés au pouvoir. […] — qu’on nous laisse au moins tranquilles jusqu’à ce demain ! […] Je laisse parler M.  […] Et j’ai toujours laissé dire sans répondre. […] Je vous laisse Avec Sedan.

961. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Cela ne laisse pas d’être embarrassant. […] Laissez-nous le roman de l’histoire. […] Il vaut bien mieux que je laisse à M.  […] Il se laissa aimer. […] Tout n’y était pas laissé à l’individu.

962. (1896) Le livre des masques

Verhaeren est le moins complaisant à se laisser admirer. […] Peut-être n’est-il pas encore tout à fait maître de sa langue ; il est inégal ; il laisse ses plus belles pages s’alourdir d’épithètes inopportunes, et ses plus beaux poèmes s’empêtrer dans ce qu’on appelait jadis le prosaïsme. […] Laissons qu’ils jouent, pendant que celui-ci nous accueillera et nous dira un peu de son rêve. […] Le roman de mœurs (je laisse en dehors trois ou quatre maîtres que je n’ai pas à juger ici) est tombé plus bas que jamais depuis un siècle et demi qu’il fut importé d’Angleterre. […] Si même un emportement capable de troubler la tête, et d’ôter presque la liberté, a laissé souvent une tache ineffaçable, quel dégoût n’inspirera pas un consentement donné de sang-froid ?

963. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Qui de nous, fervent catholique pendant quelques rapides années de sa première jeunesse, n’a ressenti ce vide affreux que laisse dans le cœur la perte de ces illusions sacrées ? […] Ils se laissaient aller à sa facilité, à sa douceur, à la liberté, à la souplesse de ses allures naturelles ; ils avaient, si je puis m’exprimer ainsi, la main légère, et ne lui brisaient pas le mors dans les dents. […] Après cette comédie, Neal-Sing laissa partir son prisonnier, non sans lui avoir fait, à voix basse, la demande d’une bouteille de vin. […] Nous avons laissé Victor Jacquemont dans les montagnes de Mhairwarra, au milieu de l’Indostan ; mais nous avons oublié de dire comment il était arrivé là. […] Une femme perdue, mais qui respecte assez le monde pour prendre les dehors de la vertu, c’est bien ; une femme vertueuse qui ne craint pas de laisser planer sur elle le soupçon du vice, c’est mieux encore.

964. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Il célèbre dès le début l’éducation morale par opposition à l’éducation scientifique : — Laisser mûrir le caractère sous le toit paternel,  — ne pas répandre l’enfance au dehors. […] Le courage des Français fait plaisir à voir, mais ne vous laissez pas leurrer par cette lanterne magique. […] Mais c’était à son imagination qu’il accordait ce plaisir, sans jamais laisser entamer l’idée ni la foi. […] laissons-leur cet os à ronger. » Je prends plaisir à répéter ce mot qui est une clef essentielle dans le De Maistre. […] Puis, tout en goûtant ces savoureuses douceurs, il ne s’y laisse point piper ni amuser ; il veut le sens, le but sérieux.

965. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Le même génie laisse deux fois la même empreinte, dans la pensée, puis dans la forme. […] ne leur laisse pas achever leurs pernicieux desseins. […] C’est que son poëme, ayant supprimé l’illusion lyrique, laisse entrer l’examen critique. […] Elle se mutine avec une petite pique de vanité fière, comme une jeune miss qu’on ne voudrait pas laisser sortir seule. […] Quoique blessé, il triomphe, puisque le tonnerre, qui a brisé sa tête, a laissé son cœur invincible.

966. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Sa dialectique ne laisse échapper aucune faute de ses adversaires, elle découvre les feintes et profite du moindre faux pas. […] Il ne faudrait pas laisser croire qu’elle ne fût qu’une avant-garde destinée à recevoir les premiers coups et engagée au service d’une autre puissance. […] Je ne lui en veux point d’avoir critiqué ces diverses théories, qui peuvent laisser à désirer ; je lui en veux de la manière dont il les critique. […] Ce ne sont là que des noms qui laissent les phénomènes aussi inexpliqués qu’auparavant. […] En un mot, des deux termes que le problème oppose, le premier seulement leur présente une idée scientifique, et l’autre ne leur laisse qu’une idée vague et obscure.

967. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Shakspeare laisse là la justesse et la clarté et atteint la vie. […] Ils se laissent détourner de leur chemin par toutes les pensées qui viennent à la traverse. […] Iago, laissé seul, chantonne un instant tout bas, puis s’écrie : « Où est maintenant celui qui m’appelle coquin ? […] Laissez l’apparition fugitive s’enfoncer dans la brillante et vaporeuse contrée d’où elle est sortie. […] Elle emmène l’homme dans la plus haute philosophie, puis le laisse retomber dans des caprices d’enfant.

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