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1035. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Le vrai c’est que la poésie est un métier où l’on compte et mesure au compas, un métier de faiseurs de cartonnages ou de jeux de patience. […] Alors le lecteur est mis en jeu personnellement et est agité par des émotions et des réflexions actuelles ; ce qu’il lit lui sert, on lui a donné un petit tube pareil à celui des Mille et une Nuits, qui centuple la puissance de sa vision. […] Quelques romantiques farouches et bruyants se plaisent également à ce jeu et rappellent les colères de MM.  […] Ce jeu détruit tout, « les hommes et les choses » ; c’est bien là celui qui convenait aux réalistes. […] Les gens qui sont étrangers à ce jeu sont continuellement en danger de mort et comme tous les moyens sont bons pour les réalistes, il serait imprudent à quelque ennemi de se glisser parmi eux.

1036. (1899) Arabesques pp. 1-223

Les autres s’inspirent de l’observation, se réclament de la Révolution et considèrent que le jeu des lois naturelles suffit à déterminer l’homme et l’univers sans qu’il soit besoin d’invoquer un moteur divin pour les expliquer. […] On doit leur répondre : « Nous n’ignorons pas, aujourd’hui, que vous entendez par patrie la sauvegarde de vos intérêts, de vos jeux de Bourse et de vos opérations commerciales. […] Ceux même qui eussent dû le comprendre ne parlent de lui qu’avec les clins d’œil et les sourires indulgents d’hommes supérieurs qui daignent s’amuser, une minute, aux jeux d’un enfant. […] Lorsqu’il se concentre, c’est pour opposer, par une contradiction nécessaire, le jeu impassible des forces qui mènent les mondes aux élans de tout son être vers une beauté toujours plus haute. […] Cela, malgré les motifs de haine et les rivalités soigneusement entretenus par les dirigeants afin que prospèrent les jeux de Bourse et les maisons de commerce à forts capitaux.

1037. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

— Chiffon pour chiffon, dit-il en riant et en tirant de sa poche un papier qu’il jeta sur la table ; veut-on accepter celui-là pour entrée de jeu. […] Plusieurs qualités sont requises pour être bon caudataire ; comme au jeu des enfants : « Bonjour, maître, quel métier veux-tu être ? […] Pendant une demi-heure, on s’exerce inutilement à une sorte de jeu de patience, dont les membres des voyageurs sont les pièces. — On fait appel à la science […] Entre Abbeville et Boulogne, dont nous sommes encore éloignés d’une vingtaine de lieues, quelqu’un propose de charmer les dernières heures du voyage par un jeu quelconque. […] Dès les premiers jours où elle parut sur le théâtre du Gymnase, vouée alors aux puérils jeux de scène du petit répertoire qui y avait été acclimaté par M. 

1038. (1897) Aspects pp. -215

Laissons donc ces énervés qui se risquent bien jusqu’à jouer avec la Muse le jeu de la petite oie mais qui ne pourraient lui planter un enfant. […] Absurde et sans portée se dénoncerait donc l’intention de revenir en arrière, de se restreindre à des jeux de rhétoriciens — hors du siècle… Au surplus, M.  […] Ils subissent l’action d’autrui et au lieu de réagir, ainsi que le demande le jeu normal, naturel de nos facultés, ils répercutent cette action en l’affaiblissant. […] Je trouve ces préoccupations un peu puériles ; je pense même que les accessoires trop exacts détournent l’attention du spectateur du jeu des passions vers des objets nullement nécessaires au développement du drame et qu’il se préoccupe dès lors de vérifier. […] Il me sembla même — mais c’était sans doute un jeu de lumière ou un peu de rosée — que des larmes luisaient sur ses joues de terre cuite.

1039. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

1802 Une petite série de trois planches représentant un jeu japonais par gestes, où il y a un juge, un chasseur, un renard et où, dans une des planches, la femme fait le renard avec ses mains rapprochées de sa figure et recourbées devant elle. […] Il avait joué avec Niô, la statue colossale de l’entrée du temple, il avait joué une partie par laquelle, s’il perdait, il serait privé de la chance de tout gain au jeu pendant trois ans ; mais, si Niô perdait, il lui donnerait sa force physique pendant trois ans. […] Il y a une charmante planche d’enfants faisant de la musique, une autre délicieuse planche d’enfants jouant à une espèce de jeu de dames ; mais la planche qui est tout à fait un chef-d’œuvre est la réunion de quatre gamins japonais faisant du trapèze après les traverses d’une barrière et dont l’un, la tête en bas, a son petit derrière à l’air : un dessin qui est le vrai dessin de la grâce gymnastique. […] Maintenant un jeu de cartes, le jeu de cartes des poésies de Guénji, se composant de 110 cartes minuscules décorées d’un éventail, d’une bouteille de saké, d’un vol de deux papillons, d’une écritoire, d’une branchette d’arbre, d’un chapeau de paille, d’un panier de légumes, etc. […] Je lui ai répondu que le meilleur moyen était un jeu qui consistait de chercher à former les dessins d’après les lettres, et j’ai pris mon pinceau, et lui ai montré comment on peut facilement dessiner.

1040. (1802) Études sur Molière pp. -355

Ici, quelques historiens de Pocquelin6 prétendent le perdre de vue ; il vécut ignoré, disent-ils, pendant plusieurs années : je le vois cependant, dès l’année 1645, se mêler à des jeunes gens qui s’amusaient à jouer la comédie, d’abord sur les fossés de Nesle, ensuite au quartier Saint-Paul ; je le vois donner à ses camarades d’assez bons conseils, pour que leur réunion obtienne le titre de l’Illustre Théâtre ; pour qu’on leur confie des nouveautés ; pour que, fiers de leurs succès, ils osent élever un théâtre en règle, dans le jeu de paume de la Croix-Rouge, et pour que le public coure en foule payer leurs plaisirs. […] Outre la manière de sentir, de débiter les vers, la pantomime et les lazzis sont encore du ressort de la tradition, nombre de personnes ne la connaissent même que sous ce dernier rapport ; aussi les auteurs ont-ils pris soin d’indiquer les jeux de théâtre les plus importants, et ce n’est pas sans danger qu’on s’en fie à l’exemple pour ceux qu’ils n’ont pas prescrits. […] L’exposition. — Bonne, très bonne, puisque dès les premiers vers, Alceste se peint par ses discours, par ses actions, qu’il a pour interlocuteur un homme d’un caractère en opposition avec le sien, et qu’avant la fin du premier acte, composé de trois scènes, on connaît déjà, non seulement les personnages qui doivent mettre en jeu les ressorts principaux, mais leurs qualités, leurs ridicules. […] Deux Alcmène m’ont singulièrement frappé par la différence de leur jeu ; l’une, trop connaisseuse, sans doute, pour confondre les empressements d’un dieu avec ceux d’un mortel, fit continuellement sentir au spectateur qu’elle n’était pas dupe de l’aventure ; aussi fut-elle couverte d’applaudissements, et quelques amateurs s’écrièrent finement, dans le parterre : « bravissimo ! […] Par exemple, Euclion ne redoute pas, comme Harpagon, d’être volé par ses enfants ; il ne force pas son fils à puiser dans la bourse des usuriers ; il ne l’exhorte pas à placer, au denier douze, l’argent qu’il gagne au jeu ; il n’est pas lui-même un usurier.

1041. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Enfin le bruit s’apaise, l’illusion se décolore ; il nous vient un désir de savoir ce qu’il y a derrière ces apparences dont le jeu a cessé de nous suffire. […] Dans le mélodrame tout est remis au hasard, et le jeu des passions est remplacé par celui des portes, fenêtres, trappes, déguisements et manteaux couleur de muraille. […] C’est la question même du droit de punir qui se trouve ainsi mise en jeu : elle est trop grave pour que nous songions ici à l’aborder. […] La critique, en ce temps-là, se divertissait aux jeux de l’impressionnisme et de l’ironie. […] Ces balbutiements, ces impropriétés de langage, ce jeu d’assonances font le charme imprécis, musical et mystérieux des chansons populaires et des rondes enfantines.

1042. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Le serment du Jeu de Paume ne consistait qu’à jurer désobéissance au roi et fidélité à la nation. […] Ainsi Louis XVI avait convoqué les états généraux ; et voulant trop tard circonscrire le droit de délibération, l’insurrection morale du serment du Jeu de Paume lui avait forcé la main.

1043. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

De chaque côté de cette souveraineté, pour en assurer le jeu et en restreindre l’abus, il institue l’inamovibilité des juges694, représentation de l’éternelle morale, et la liberté de la presse695, représentation de l’irrésistible démocratie. […] Dans la Chambre la politique étroite, apeurée, matérialiste du gouvernement lui donnait beau jeu pour faire retentir les grands principes et les beaux sentiments : il y avait du reste bien de l’habileté et de la finesse sous les éclats de sa parole.

1044. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Il m’a paru que la plupart étaient de bons jeunes gens, d’autant de candeur que de prétention, assez ignorants, et qui n’avaient point assez d’esprit pour machiner la farce énorme dont on les accuse et pour écrire par jeu la prose et les vers qu’ils écrivent. […] Il y a plus : les jeux d’un Voiture ou ceux d’un Cyrano de Bergerac exigeaient, pour être agréables, une grande précision et une grande propriété dans les termes.

1045. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Il y a même lieu d’admirer l’industrie avec laquelle le poète diversifie par les jeux de scène l’expression d’un sentiment qu’il n’a pas su varier en l’approfondissant. […] J’admire la Harpe de juger du même style doctrinal les pièces romanesques de Voltaire et les tragédies de Corneille et de Racine, et d’appliquer la même critique à d’aimables jeux de société et à des œuvres de marbre et d’airain !

1046. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Les réseaux que l’automne tend sur les taillis sont moins diaphanes que les tissus qui coulent du jeu magique de ses doigts. […] Quintilien raconte aussi que l’Aréopage condamna à mort un enfant qui arrachait les yeux à des cailles, ne voulant pas laisser croître le monstre que ce jeu cruel prédisait.

1047. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Les jeux de mots, si fréquents dans la langue phénicienne, abondent dans Eschyle. […] Il fait des jeux de mots sur Prométhée, sur Polynice, sur Hélène, sur Apollon, sur Ilion, sur le coq et le soleil, imitant en cela Homère, lequel a fait sur l’olive ce fameux calembour dont s’autorisa Diogène pour jeter son plat d’olives et manger une tarte.

1048. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Il n’y a pas de langue humaine à la mesure de ces sensations produites par ces jeux de la toute-puissance divine : la masse d’un fleuve à qui son lit manque tout à coup ; la profondeur incommensurable de l’abîme qui l’engloutit ; la pulvérisation en écume par la seule résistance de l’air qu’il écrase en tombant ; la nappe transformée à vue en vapeurs qui se dispersent au vent de leur propre volatilisation, et qui fuient aux quatre coins du ciel comme une volée d’oiseaux gigantesques, ou qui se cramponnent aux flancs perpendiculaires de la montagne, comme des Titans précipités cherchant à se retenir aux corniches du firmament ; les transparences vertes ou azurées des langues d’eau que la rapidité, l’impulsion et le poids du fleuve arqué en pont sur l’abîme, au moment où elles rencontrent tout à coup le vide, semblent cristalliser ; la lumière du soleil levant qui les transperce, et qui s’y fond en mille éclaboussures avec tous les éblouissements du prisme ; le choc en bas, le bruit en haut, l’orage éternel, la transe sublime qui serre le cœur, et qui ne trouve pas même un cri pour répondre à ce foudroiement de l’esprit. […] VIII Et si l’on ajoute à ce spectacle de la cascade de Terni ce grand jour, cette sérénité d’un ciel d’Italie, ces teintes marbrées du rocher, cette atmosphère cristalline, cette douce tiédeur de l’air tournoyant, qui vous baigne voluptueusement de l’haleine des eaux, choses qui manquent toujours aux cascades des Alpes et même du Niagara ; si l’on considère qu’au lieu de se passer dans les gouffres ténébreux de précipices qui bornent la vue et qui l’attristent, la scène se passe en plein espace, en pleine lumière, en face d’un horizon sans bornes, d’un firmament limpide d’où le Créateur semble assister, derrière le cristal infini du ciel, à ce jeu des éléments en fureur, on n’aura plus seulement la sensation d’une catastrophe des eaux, mais celle d’une fête de la nature, à laquelle Dieu permet à l’homme d’assister en l’adorant.

1049. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

(6) Le système théologique est parvenu à la plus haute perfection dont il soit susceptible quand il a substitué l’action providentielle d’un être unique au jeu varié des nombreuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées primitivement. […] Aussi Laplace n’a-t-il présenté cette idée que comme un simple jeu philosophique, incapable d’exercer réellement aucune influence utile sur les progrès de la science chimique.

1050. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Mais ne nous arrêtons point sur une hypothèse qui a l’air d’un jeu de l’esprit. […] Nous employons cet appareil tout entier sans aucun effort ; c’est le jeu le plus simple et le plus naturel de cet admirable mécanisme.

1051. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

On retrouve dans ces paroles et dans cette sollicitude de d’Aubigné le vieux compagnon et le vieux brave qui sait que le jeu des armes égale tout.

1052. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Nous qui avons passé le meilleur de notre jeunesse au gré de notre imagination, dans les jeux de la poésie et de l’art, nous devons, ce me semble, y regarder à deux fois, quand nous nous mêlons de vouloir mesurer et discuter des esprits constamment sérieux, qui se sont occupés sans relâche et passionnément des grands intérêts publics.

1053. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Il ne reste plus à présent, pour démêler le vrai dans ce conflit de récits passionnés et même envenimés, qu’à attendre la publication des lettres écrites par les deux acteurs en jeu, lettres contemporaines des événements, et dont quelques-unes au moins ont été conservées soit par la personne survivante intéressée, soit par des tiers.

1054. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Lorsque dans deux ou trois littératures, dans deux ou trois poésies qui sont sous la main, on a su découvrir les fruits d’or et se ménager ses sentiers, c’est assez : l’horizon est trouvé ; tout s’y compose ; chaque pensée nouvelle a son libre jeu, en vue des collines sereines.

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