Sauf un petit nombre d’exceptions mystérieuses et de véritables monstruosités morales, l’homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là ; il peut lutter, bien qu’il lutte trop peu ; il peut149 s’appuyer sur certains principes qu’il sait bons et utiles, nouer alliance avec ses facultés louables contre ses penchants plus dangereux, bien que d’ordinaire ce soit pour ceux-ci qu’il se déclare. Mais en fait, d’après la loi de l’infirmité et de la lâcheté humaine, dans le manque d’éducation forte et de croyance régnante, ce sont les instincts naturels qui décident en dernier ressort et qui font l’homme. […] dans la réalité pratique de la vie, ce rôle est en grande partie dévolu à l’homme de bien. Or, l’homme habile, à expédients, le génie à métamorphoses, le Mercure politique, financier ou galant, l’aventurier en un mot, ne dit jamais non aux choses ; il s’y accommode, il les prend de biais, il a l’air parfois de les dominer, et elles le portent parce qu’il s’y livre et qu’il les suit ; elles le mènent où elles peuvent ; pourvu qu’il s’en tire et qu’il en tire parti, que lui importe le but ?
Les sujets qu’elle excelle à traiter, tirés du problème de la condition de l’homme, sont d’un intérêt supérieur et permanent. […] C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté. […] [Les Œuvres et les Hommes : les Poètes (1889).]
Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience. […] Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans la nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé ; et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre. […] Le monde n’est point l’objet de ses vœux, car il sait que l’homme vit peu de jours, et que cet objet lui échapperait vite. […] Mais, de nos jours, quand les monastères, ou la vertu qui y conduit, ont manqué à ces âmes ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu des hommes.
On a connu, depuis, les inconvénients du sans-gêne dans les hommes publics et dans les choses d’État. […] Il se met à faire la revue détaillée de ses troupes en ordonnateur en chef : Mercredi 7 novembre (1691), à Marly. — Le roi alla le matin sur la bruyère de Marly, devant la grille, faire la revue de deux compagnies de ses gardes du corps, celle de Luxembourg et celle de Lorges ; il les vit à cheval et à pied, et homme par homme, et se fit montrer les gardes qui s’étaient distingués au combat de Leuze pour les récompenser. […] Le roi en paraît fort touché, et a dit ce soir à M. mon frère : « Si nous sommes assez malheureux pour perdre ce pauvre homme-là, celui qui en porterait la nouvelle au prince d’Orange serait bien reçu » Et ensuite il a dit à M. […] Les nouvelles levées d’hommes sont de plus en plus difficiles, et d’odieux recruteurs y emploient la violence à l’insu du roi. […] Je ne me souviens point que les Romains en aient vu un tel ; car leurs armées n’ont guère passé, ce me semble, quarante ou tout au plus cinquante mille hommes ; et il y avait hier six vingt mille hommes ensemble sur quatre lignes. » Il faut lire toute cette description.
Il s’est trouvé souvent dans ces circonstances où les connaissances et les talents d’un homme influent tant sur le succès. […] Cet homme si hardi, si remuant, qui peut-être avait raison et voyait juste dans le cas présent, convertit Joubert à ses vues dès les premiers entretiens. […] Il est de ces misérables époques intermédiaires qui ne sont bonnes qu’à user les hommes : que tous ceux qui se sentent valeur et avenir, s’y tiennent à l’écart, s’ils le peuvent, et se réservent pour le jour utile ! […] Ainsi mourut à l’âge de trente ans ce jeune général, aimé, regretté de tous, succombant, on peut le dire, à une situation trop forte, à une épreuve où la préoccupation politique avait pesé étrangement sur les déterminations de l’homme de guerre. […] Il défaillait dans son for intérieur, il avait perdu l’espérance ; l’homme de cœur et le héros en lui se revancha du moins, se releva tout d’un bond.
Giscon était près de réussir dans la composition qui se négociait, lorsque deux hommes dont l’histoire a conservé les noms se jetèrent à la traverse : un certain Campanien nommé Spendius, autrefois esclave chez les Romains, homme fort et hardi jusqu’à la témérité, et qui craignait, si les affaires s’arrangeaient, d’être rendu à son maître comme fugitif ; et un certain Mathos, Africain, qui, engagé dans la première sédition, avait tout intérêt à pousser les choses à l’extrémité. Ces deux hommes s’opposent à l’accommodement et agitent en tous sens les foules. […] On nomma à sa place Hamilcar Barca, le père d’Hannibal, aussi habile capitaine qu’homme d’État ferme et vigoureux. […] Hors de là, on n’a sur les Carthaginois de témoignages un peu rapprochés que ceux d’Aristote et de Polybe, deux hommes souverainement raisonnables, et qui ne nous transmettent également sur eux que des idées saines ; on vivait et l’on dormait en paix là-dessus. […] Mâtho veut savoir ce qu’il a dit : Spendius le Grec, l’homme de toutes les langues, le lui explique.
Ticknor et de tout le monde, de revenir sur ce sujet inépuisable, sur le grand homme auteur du chef-d’œuvre, et qui, dans sa vie misérable et tourmentée, a su être, à force de bonne humeur et de génie facile, un des bienfaiteurs immortels de la race humaine : j’appelle ainsi ces rares esprits qui procurent à l’homme de bons et délicieux moments en toute sécurité et innocence. […] Au contraire, l’esclavage est le plus grand mal qui puisse atteindre les hommes. […] Sa vie littéraire commence à ce moment ; il avait trente-sept ans ; marié, sans fortune, homme d’imagination, n’ayant gagné à sa première vie militaire que de l’estime et des blessures, il se dit, après son début de Galatée, qu’il y avait à faire de belles choses dans les lettres, et particulièrement à entreprendre pour le théâtre qui était resté comme dans l’enfance. […] Mais la probité, chez les gens de lettres, les artistes et les hommes d’imagination, comme chez les anciens soldats (et Cervantes réunissait tous ces titres), est certes compatible avec quelque négligence. […] Charles Romey (Hommes et Choses de divers temps, chez Dentu).
Cet homme de Schopenhauer, « qui n’aurait été conduit ni par son expérience personnelle, ni par des réflexions suffisamment profondes, jusqu’à reconnaître que la perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie ; qui au contraire se plairait à vivre, qui dans la vie trouverait tout à souhait ; qui de sens rassis consentirait à voir durer sa vie telle qu’il l’a vue se dérouler, sans terme, on à la voir se répéter toujours ; un homme chez qui le goût de la vie serait assez fort pour lui faire trouver le marché bon, d’en payer les jouissances au prix de tant de fatigues et de peines dont elle est inséparable », cet homme-là ne se répandrait guère en chants lyriques ; et cet homme-là, c’est nous. […] Il y eut aussi des chansons qui s’adressaient aux hommes et en traduisaient les sentiments : une chanson de croisade présente le plus ancien exemple qu’on ait des rimes enlacées69. […] Elle ne sera délogée et reléguée entre les conventions surannées que par Racine, qui retrouvera l’amour douloureux, l’antique désir, enveloppé et compliqué de tout ce que quinze ou vingt siècles ont ajouté au fond naturel de l’homme. Nos hommes du Nord, quand ils connurent la poésie provençale, furent étonnés, éblouis, charmés : fond et forme, tout était pour eux une révélation. […] Car, dans le riche et délicat Midi, cette doctrine répondait encore à quelque réalité, à un certain ordre de relations établi entre les hommes et les femmes : mais, dans notre Nord, si rude et si brutal, loin d’avoir son fondement dans la vie, elle restait absolument irréelle, idéale et didactique.
L’homme était devenu mal abordable et sans intérêt. […] Tant vaut l’homme, tant vaut la confession. […] Quelle place lui demeurera dans la mémoire des hommes, où une place certes lui était assurée ? […] La pose de Musset, le manque manifeste de sincérité de cet écrivain dégingandé, amusant et libre, homme de théâtre, mais rien autre, a pu lasser assez tôt les lecteurs nouveaux. […] Mais c’est l’homme au rêve habitué qui parle.
Le public le jugea d’abord un grand homme, & lui le crut encore plus que le public. […] Il ajoutoit qu’il avoit une vengeance toute prête, & digne d’un homme de sa réputation. […] Il avoit toutes les prétentions ; celles de la plus haute naissance, du génie, de la figure, du courage, de l’homme à bonnes fortunes. […] Les restes d’un grand homme ne méritent-ils aucun égard ? […] C’est ce même homme à qui le P.
On retrouve, dans plusieurs beaux endroits de nos sermons, l’ame, le génie, le feu, cette force de raisonnement, cette éloquence véhémente & rapide, victorieuse des esprits & des cœurs, qui caractérise ces grands hommes. Cette grande éloquence, si ridicule quand elle est déplacée, semble faite pour traiter l’objet le plus important de l’homme. […] Ce grand homme, admirateur passionné de la vraie éloquence forte, animée, don si rare de la nature & le plus puissant ressort du cœur humain, fut indigné du systême nouveau : il écrivit promptement pour réfuter d’aussi singulières idées. […] Il entraîne, dans son petit carême, le courtisan, l’académicien & l’homme d’esprit. […] Encore une fois, le succès & le mérite des ouvrages de ce grand homme viennent de ce qu’il cherche moins à instruire qu’à toucher.
Les hommes de génie ne devraient donc être traduits que par ceux qui leur ressemblent, et qui se rendent leurs imitateurs, pouvant être leurs rivaux. […] Dans les hommes de génie, les idées naissent sans efforts, et l’expression propre à les rendre naît avec elles ; exprimer d’une manière qui nous soit propre des idées qui ne sont pas à nous, c’est presque uniquement l’ouvrage de l’art, et cet art est d’autant plus grand qu’il ne doit point se laisser voir. […] Les seuls écrivains qui demanderaient à être traduits en entier, sont ceux dont l’agrément est dans leur négligence même, tels que Plutarque dans ses Vies des Hommes illustres, où, quittant et reprenant à chaque instant son sujet, il converse avec son lecteur sans l’ennuyer jamais. […] Un tel homme pouvait-il se flatter de connaître les vraies beautés d’Homère, et Homère lui-même eût-il été flatté d’avoir un pareil admirateur ? […] On ne peut traduire un homme de génie, si on ne le traduit pas vivement et d’enthousiasme ; mais si cet homme de génie est en même temps un écrivain profond, il faut du temps pour l’étudier et pour le rendre ; il me semble d’ailleurs en général, que pour éviter tout à la fois la froideur et la négligence du style dans quelque ouvrage de goût que ce puisse être, il est nécessaire et d’écrire vite et de corriger longtemps.
Tout commence chez lui par ce milieu de ses personnages, préface de l’homme. […] Une si grande fortune couvrait d’un manteau d’or toutes les actions de cet homme. […] Les manières de cet homme étaient fort simples. […] Faut-il pas le voler, cet homme, pour fêter votre cousin ? […] Vraiment les écus vivent et grouillent comme des hommes : ça va, ça vient, ça sue, ça produit.”
Au même moment pouvait-on donner le nom d’homme au Christ ? […] Au lieu d’ouvrir les yeux, d’observer l’homme et la nature, de grossir le bagage scientifique transmis par les siècles, on jugeait de la vérité par ouï-dire, sur la parole d’un ancien. […] Tandis que dans la France féodale et ecclésiastique on élevait, comme deux êtres de race distincte, le chevalier et le clerc, l’homme d’action et l’homme de pensée, il ne veut pas de cette arbitraire division dans la nature humaine : « Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse ; c’est un homme. » Et, ne voulant pas non plus qu’on fasse de l’enfant « un âne chargé de livres », il entend compléter ses études par le commerce avec le monde, par les voyages à l’étranger. […] On devine l’écart immense qui séparera les hommes ayant subi l’action de deux disciplines si opposées. […] Une ville tout entière peuplée de grands hommes !
Les uns ne sont que des artistes, les autres sont des hommes. […] « Cet ami, écrit-il lui-même, était le plus aimable de tous les hommes ; sa physionomie était agréable et distinguée, son extérieur grandiose annonçait un homme au-dessus des autres hommes. […] « Quand j’étais alors en partie un autre homme de l’homme que je suis aujourd’hui ; « De ces vers dans lesquels je pleure ou je médite tour à tour parmi les vaines espérances et les vains regrets, j’espère qu’on m’accordera, sinon mon pardon, du moins pitié. […] laisse en paix un homme qui se cache ! […] Il s’associa habilement pour son double rôle un délégué du pape, l’évêque d’Orvieto, homme impuissant et docile qui tremblait sous son collègue.
Les autres nations, comme les autres hommes, n’en ont qu’une : quand elles sont vieilles, c’est pour toujours ; quand elles sont mortes, c’est pour jamais. […] Mais le professore n’avait de l’oracle que l’extérieur ; à son attitude près, c’était le plus modeste et le plus conciliant des hommes. […] Quel homme, à qui le sentiment sied aussi bien que le badinage ! […] C’est qu’il y est plus homme, plus lui-même, plus sensible que dans le reste du livre. […] Cette Ginevra florentine devait être adorable en effet, puisqu’elle a pu inspirer à son amant un des plus beaux chants qui soit dans la mémoire des hommes.
Est-il antinational de dénigrer nos grands hommes ? […] Nul homme ne me paraît assez bête pour avoir prononcé ce mot de façon réfléchie et désintéressée. […] Les hommes d’action ? […] Mais les sottes gens ne manquent à aucune époque, et les plus déshéritées ont encore des manières d’hommes de génie. […] Les principales idées dont le monde tressaille trouvent chez nous leurs hommes représentatifs.
Si jamais je rencontre l’ours May, fils de l’âne May ; hors de sa tanière, et dans un endroit tiers où je serai un homme et lui moins qu’un homme, je me promets bien que je le ferai repentir de ses ourseries. […] La morale et la politique sont trop vagues, et les hommes trop plats et inconséquents. […] C’est pourquelque argent qu’il a fait déclarer la guerre, qu’il sacrifie des millions d’hommes. […] Cette moitié moqueuse finira par être l’homme tout entier. […] Les hommes se font pires qu’ils ne peuvent, a dit Montaigne.
Là véritablement elle est l’égale de l’homme, que dis-je ? […] Combien de femmes, et même d’hommes, seront choqués de cette intimité soudain dévoilée ! […] Et nous n’y trouvons pas le moindre frisson tendre de ses vers pour un homme ! […] Dans nos yeux d’hommes peut-être, qu’ils boursoufflent et tuméfient. […] Il répond aux besoins intimes de l’homme qui la veut perpétuer.
Il y a quelques années que, passant à Dijon, je fis visite à l’un de ces hommes savants et modestes comme la province en renfermait beaucoup autrefois et comme il y en a quelques-uns encore : cet homme de mérite, qui s’était de tout temps occupé d’histoire, et qui avait publié lui-même des Annales estimées24, avait les in-folio de Mézeray ouverts sur sa table, et, me voyant y jeter les yeux, il me dit : « En province nous avons encore le temps de lire. […] Fils d’un chirurgien, il avait pour frère aîné Jean Eudes qui fut de l’Oratoire et en sortit pour fonder la congrégation des Eudistes, homme d’une piété vive et zélée, qui excellait à enfoncer l’aiguillon de l’amour divin, même au cœur des tièdes. […] Si cela était, une telle avance serait trop honorable à la cause des lettres pour devoir être reprochée à l’homme d’État qui en sentirait si bien la grandeur et la portée durable. […] Avoir vu un grand homme régnant ou administrant, rien n’est tel pour l’historien que ce genre de démonstration vivante, même lorsque ensuite on passerait aux idées d’indépendance et de liberté. […] Ne vous en étonnez pas, lecteur ; notre histoire n’est pas l’entreprise d’un homme seul, ni d’un homme privé : la monarchie française est une pièce de trop grande étendue et de trop longue durée.