Il est vite fait de répondre en prétextant le goût et le dégoût. […] Le goût de la perfection, en somme, se confond avec le goût de l’unité. […] Voilà le goût de la perfection à son apogée ! […] Le goût de l’inachevé conduit naturellement à ces incohérences. […] Entrez, j’en ai pour tous les goûts.
C’est alors aussi qu’on entendait dans les salons des gens d’esprit et réputés gens de goût, des demi-juges de l’art comme il y en a surtout dans notre pays55, affecter de dire qu’ils aimaient Musset pour sa prose, et non pour ses vers, comme si la prose de Musset n’était pas essentiellement celle d’un poète : qui avait fait les vers pouvait seul faire cette fine prose. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] Mais, on n’a pas voulu dire que le directeur de la revue, qui fut pendant quelques années l’administrateur très zélé du Théâtre-Français, n’ait pas songé à y mettre en œuvre le talent de M. de Musset ; ce qu’on a voulu dire, c’est que Mme Allan, qui avait joué le Caprice à Saint-Pétersbourg, le joua à ravir à Paris, et mît chacun en goût de telle friandise.
Il en est de ces mets de l’intelligence comme de ceux du corps : il vient un moment où même les plus excellents, à force de reparaître et de nous être servis sous toutes les formes, lassent le goût ; il n’était pas jusqu’à Beuchot, l’éditeur passionné de Voltaire, qui, sur la fin, lorsqu’on lui apportait des lettres nouvelles de son auteur favori, ne criât grâce et ne répondit : « Assez, j’en ai assez ! […] Démon du goût et de l’irritabilité littéraire ; démon de l’inspiration poétique, et même de la correction ; démon de la justice et de la tolérance contre les persécuteurs ; démon de la civilisation, du luxe et de l’industrie (quand, par exemple, il veut vendre et placer partout ses montres du pays de Gex), il a en lui la légion démoniaque au complet ; il fait tout enfin par démon, par accès et verve. […] Ravenel, qui s’était occupé, le premier et avant tout autre, de la copie et de la collation exacte des papiers de Neuchâtel, s’est borné à préparer un travail qui n’attendait qu’un éditeur, et que cet éditeur (le goût pour Jean-Jacques s’étant refroidi) n’est jamais venu lui arracher ; car M.
Mais les goûts changent ; la postérité, ce juge suprême assurément, a quelquefois aussi ses mobilités, ses oublis, ses retours, et veut avant tout être amusée. […] On y reconnaît, à chaque phrase du narrateur, le Fléchier tel qu’il s’est retracé lui-même dans un portrait déjà connu, adressé, selon toute apparence, à mademoiselle Des Houlières43, portrait à la mode du temps, dans le goût un peu flatté des ruelles et des bergeries, tout peint et comme peigné par lui de charmantes caresses. […] Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre.
Cela s’est déjà passé de la sorte aux autres époques de civilisation raffinée ; et du moment que la poésie, cessant d’être la voix naïve des races errantes, l’oracle de la jeunesse des peuples, a formé un art ingénieux et difficile, dont un goût particulier, un tour délicat et senti, une inspiration mêlée d’étude, ont fait quelque chose d’entièrement distinct, il a été bien naturel et presque inévitable que les hommes voués à ce rare et précieux métier se recherchassent, voulussent s’essayer entre eux et se dédommager d’avance d’une popularité lointaine, désormais fort douteuse à obtenir, par une appréciation réciproque, attentive et complaisante. […] Le bon sens qui succéda, et qui, grâce aux poëtes de génie du xviie siècle, devint un des traits marquants et populaires de notre littérature, fit justice d’une mode si fatale au goût, ou du moins ne la laissa subsister que dans les rangs subalternes des rimeurs inconnus. […] C’est un faible en ce monde que la poésie ; c’est souvent une plaie secrète qui demande une main légère : le goût, on le sent, consiste quelquefois à se taire sur l’expression et à laisser passer.
Poëte d’un vrai talent, doué par la nature de qualités riches et rares, amoureux de la gloire immortelle et capable de longues entreprises, il ne lui a manqué peut-être au début qu’une de ces disciplines saines, et fortes qui ouvrent les accès du grand par les côtés solides, et qui tarissent dans sa source, et sans lui laisser le temps de grossir, la veine du faux goût. […] Au discours du récipiendaire, l’un des plus élevés et des plus généreux qu’on ait entendus, M. le comte Molé a répondu, au nom de l’Académie, avec le goût qu’on lui connaît. […] Pour un ou deux peut-être, doués d’une élévation naturelle qui résiste et d’un goût à l’épreuve qui a l’air plutôt de s’aiguiser, qu’arrive-t-il de la plupart en ce qui est de l’œuvre et de la production même ?
Qui dit éclectisme suppose la curiosité des opinions du dehors et le goût des voyages intellectuels. 1816 se trouvait un moment bien choisi pour inoculer ce goût en France à l’élite de la jeunesse. […] Il y a quelques écrivains de notre temps, en très-petit nombre qui ont un don bien rare, ou plutôt une heureuse incapacité : ils ont beau écrire en courant et improviser, ils ne sont jamais en danger de rien rencontrer qui soit contre le goût et le génie de la langue.
Les hommes occupés aux travaux de l’esprit n’ont même pas le temps et n’auraient point le goût de les parcourir. […] Et alors ils ont beau écrire trop vite et trop souvent ; ils ont beau écrire par métier, sans goût, sans plaisir, sans conviction : la qualité, le tour de leur esprit se révèle toujours par quelque endroit. […] Il a commencé par être un reporter plein de déférence ; puis il s’est poussé et s’est maintenu par le respect du public, entendez par le respect des opinions et des goûts présumés de la haute et moyenne bourgeoisie.
Le goût naturel de Deschamps et — pourquoi ne le dirai-je pas ? […] Mais ces publications étaient trop intransigeantes pour faire aucune concession au goût du public ; et la grande presse restait hostile ; elle ourdissait autour de ces tentatives la conspiration du silence. […] Non, certes, l’effort considérable de ces dix années n’aura pas été stérile, puisqu’il a réussi à modifier le goût public.
Il espéra que les eaux de Barrège seraient plus efficaces que celles de Contrexeville ; mais, à défaut de santé, il y trouva plusieurs dames de la cour, qui prirent un goût particulier à sa conversation ingénieuse et piquante. […] Il fallait cependant un aliment à l’inquiète activité de son esprit ; sa tragédie de Moustapha et Zéangir, commencée depuis longtemps, abandonnée et reprise vingt fois dans les alternatives de langueur et de force qu’éprouvait sa santé, fut achevée dans cette retraite : plusieurs scènes de cette pièce prouvent avec quelle attention Chamfort avait étudié la manière de Racine, et jusqu’où il en aurait peut-être porté l’imitation, s’il n’eût été sans cesse distrait par ses maux et par des travaux étrangers à ses goûts. […] Chamfort avait eu une jeunesse très orageuse ; sa pauvreté, ses passions, son goût exclusif pour les lettres, qui l’éloignait de toute occupation lucrative, donnèrent, à son entrée dans le monde un aspect qui put blesser des hommes austères ; et ceux qui l’avaient suivi de moins près depuis cette ancienne époque, pouvaient en avoir conservé de fâcheuses impressions.
Le « goût même de l’être. Ne me demandez pas d’analyser « ce goût sublime ! […] (Un « goût qui enflamme !)
Chauffée donc à cette double flamme de la représentation avec son éclat et du feuilleton avec son incroyable lyrisme, la société, qui est une femme (car, c’est vrai, les femmes font les mœurs, mais lorsqu’elles ne les défont pas), perd chaque jour ce qui lui restait de goûts simples et de vertus fortes, et c’est ainsi que le théâtre brise deux fois la famille, — par ses pièces et par ses acteurs. […] Tandis que la comédie de société ne paraît guère qu’une occupation innocente, un joli goût de gens bien élevés et d’instincts artistes, un passe-temps charmant pendant lequel on ne médit point du prochain, comme disent les badauds qu’on rencontre au fond de toutes les questions. […] Exaspéré vers la fin, ce goût de spectacles remontait dans la République.
À part son diable de goût pour Cléopâtre, qui me paraît un peu païen, pour ne pas dire pis, Blaze de Bury n’est cependant pas — du moins dans ce livre-ci — un de ces paganisants comme il en pousse partout, et même à la Revue des Deux-Mondes ; de ces petits Julien l’Apostat, moins l’Empire, et avec dix-huit cents ans de plus de Christianisme sur la tête, ce qui les forcera, avant de la lever tout à fait, de ramper encore quelque temps ! […] Tout ce qu’on sait, c’est qu’on a une sensation neuve ; c’est que le condiment qui la donne est très subtilement arrangé ; que le tout est très savoureux, et qu’on prend goût à cette cuisine. […] Cette langue chaude, que Blaze de Bury parle si bien, introduit un courant de vie de plus dans cette histoire de choses mortes revivifiées, et, ce que je ne compte pas moins, doit ajouter au déconcertement des vieux classiques, des vieilles gens de goût, ces momies !
Enfin les esprits se polissant, mais s’affaiblissant un peu, vinrent, par les progrès des lumières, à ce point où le goût des détails fut plus parfait, mais où l’élégance continue nuisit à la grandeur et surtout à la force. […] En général, Mascaron était né avec plus de génie que de goût, et plus d’esprit encore que de génie. […] Le ton en est éloquent ; la marche en est belle, le goût plus épuré.
Le goût sentit, dans la fiction et le récit, cet accent naïf qui ne trompe pas et qu’on ne peut guère simuler. […] Sa licence s’oublia, devant son art profond de langage ; on le médita comme Pindare et comme Homère lui-même ; et, dans cette riche série de modèles que le génie grec, à ses âges divers, offrit au goût laborieux des Romains, il fut l’objet de l’émulation des plus habiles. […] Sur le sommet des mâts un nuage s’est arrêté tout droit, signe de la tempête ; puis vient la terreur qui suit un danger subit. » Quelquefois encore, ces restes brisés de la couronne du poëte grec ne sont que des traits rapides et simples, une parole délicate et passionnée, un coup de pinceau qui ne s’oublie pas52 : La jeune fille triomphait, tenant à la main une branche de myrte et une fleur de rosier ; et ses cheveux épars lui couvraient le visage et le col » ; ou bien encore, avec moins de simplicité, cette autre peinture qui rappelle celle de Sapho : « Semblable passion d’amour, pénétrant au cœur, répandit un nuage épais sur les yeux et déroba l’âme attendrie. » Horace, dans sa vive étude des Grecs, avait sans doute gardé bien d’autres souvenirs d’Archiloque ; et quelques-unes de ses odes, son dithyrambe à Bacchus et d’autres, ne doivent être qu’une étude d’art et de goût substituée au tumulte des anciennes orgies, où le poëte de Paros se mêlait, en chantant : « Le cerveau foudroyé par le vin, je sais combien il est beau d’entonner le dithyrambe, mélodie du roi Bacchus. » Archiloque, s’il faisait des hymnes, devait être, ce semble, le poëte lyrique des Furies et non des Dieux.
Nous sera-t-il permis, comme indice à cet égard, de noter son goût très-vif pour Carrel ? […] Il avait rencontré celle-ci pour la première fois un matin au Jardin des Plantes, où leur goût commun de la botanique les avait conduits. […] On y reconnaît constamment un goût attentif à ne point se servir de paroles plus grandes que les choses. » M. […] Il semblait qu’en cela la difficulté même et la nouveauté de l’application aiguisassent son goût et le tinssent en éveil. […] L’homme de goût, l’homme délicat et sensible se retrouvait jusque dans l’érudit en quête du fond et dans l’investigateur des mœurs simples.
Le Temple du goût] ; et d’Alembert en est un autre, qui s’étonne que Marivaux, « donnant, pour ainsi dire, toujours la même comédie sous différents titres, n’ait pas été plus malheureux sur la scène » [Cf. […] On connaît le Commentaire sur Corneille, de Voltaire, et on sait de quelle timidité de goût ce Commentaire est l’instructif et attristant témoignage ! […] — Comparaison à cet égard de Gil Blas et du Paysan parvenu. — Du goût bizarre de Marivaux pour « les gens de maison ». […] Combien d’ailleurs la qualité de son âme est supérieure à la qualité d’âme de Rousseau ; — si son talent demeure inférieur. — Éloquence de Vauvenargues. — Accent mélancolique de quelques-unes de ses pensées. — Finesse de son goût littéraire. […] Du style de Buffon ; — s’il mérite la vivacité des critiques que l’on en a faites ; — et des plaisanteries d’un goût douteux que l’on en fait encore ; — pour quelques phrases un peu pompeuses ; — ou quelques touches un peu brillantes ?
Si nous l’étions, nous n’aurions aucun goût ; et si nous nous arrangions de manière à être d’accord, nous renoncerions de propos délibéré à notre goût personnel, c’est-à-dire au goût. […] Certes, c’est bien que le goût du public n’y était pas. […] Il était de haut goût. […] Ainsi réfléchissez ; consultez votre goût. […] Consultez votre goût.
Le goût redressé reprend ses droits. […] Or il suffit d’un peu de goût et de sens pour condamner de tels écarts. […] Nous redirons tout à l’heure ce que disent les gens de goût. […] Ici le goût de la singularité a été le triomphe de l’art. […] Cette légende « du petit homme bleu » est d’un goût détestable.
Le goût est plus délicat quand il est averti. […] Il ne nous dispense, pas d’avoir du goût, du tact, de la délicatesse. […] Mais nos goûts ne seront pas étroits et exclusifs. […] Elle fournit au goût un sûr critérium pour juger de la valeur des œuvres. […] Même dans l’extrême fantaisie le goût doit garder ses droits.