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386. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Il se mit donc à l’œuvre, commençant pour la première fois d’écrire en français, et il composa les deux premiers volumes de son Traité des études, bientôt suivis de deux autres. […] Rollin avait donc raison de dire qu’il avait soixante ans quand il s’avisa d’écrire en français. […] Pendant les quarante-cinq années qui remplissent la vie de Rollin depuis qu’il a terminé ses études jusqu’au moment où il publie son premier écrit en français, que fait-il ? […] Après ce premier tribut payé à l’ancienne coutume, il parlait français et entrait dans cette voie moyenne qui semble si rebattue aujourd’hui, et qui était nouvelle alors. […] En français, au contraire, il traduit ; il cite, il enchâsse de belles pensées, de jolis traits, de beaux et riches exemples et, au milieu de la bonhomie de son style, cela aussitôt se distingue.

387. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Il se trouverait mille Toulousains pour affirmer que l’Académie française n’est qu’une section de l’Académie des Jeux Floraux — en mission. […] — J’ai vu la population siffler ou ne pas applaudir (ce qui revient au même dans l’espèce) Mélingue, le plus artiste de nos acteurs français. […] Pour le moment la littérature française se trouve représentée à Luchon par un artiste pédicure qui rédige ses affiches en vers épiques : quelque lauréat des Jeux Floraux dans le besoin ! […] À son arrivée, il y reçut une hospitalité trop écossaise peut-être pour l’honneur français. […] Mais le Français, qui est né malin, a vu clair dans les trames ténébreuses qu’ourdissait l’Anglais, né perfide.

388. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gramont, Ferdinand de (1815-1897) »

Il est le seul des poètes contemporains et peut-être est-il le premier des poètes français qui ait osé s’attaquer aux difficultés de la Sextine… Cette poésie feuillue, plantureuse, a le parfum généreux de l’air des forêts, tout imprégné de saveurs âcres et salutaires ; et dans sa couleur sombre et grave on peut retrouver aussi l’aspect sévère et grandiose des vieux chênes versant leur ombre grise sur les bruyères mélancoliques. […] Théodore de Banville C’est un de nos poètes les plus savants et les plus délicats, M. le comte de Gramont, qui, d’après la Sextine italienne de Pétrarque, crée la Sextine française, en triomphant d’innombrables et de terribles difficultés. […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).]

389. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Voici ce qu’écrivait, dans la Muse française, M.  […] Quant à l’école de la Muse française, elle manquait de semblables moyens de séduction. […] La Muse française a donc fini d’exister à titre d’école, et l’Académie, comme si elle avait peur des revenants, a pris soin de la décimer. […] Disons-le pourtant, si l’on voulait absolument rapporter les poésies de madame Tastu à une école, et rattacher son écharpe à quelque bannière, ce n’est qu’à la Muse française qu’on en pourrait faire honneur. […] Hugo je ne sais quel travers d’imagination contre lequel le goût français se soulève.

390. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Après la révolution de Février, l’esprit français s’effeuilla en journaux. […] De 1848 à 1852, si vous exceptez, dans l’erreur inouïe, les œuvres de Proudhon, et, dans la beauté pure de la vérité chrétienne, le grand livre de Blanc-Saint-Bonnet (De la Restauration française), deux sortes de productions contraires, mais qui, erreur et vérité à part, sont de ces têtes de saumon qui valent mille grenouilles, comme disait le duc d’Albe, vous n’avez plus rien, pas même les grenouilles, quoique à cette terre généreuse les hommes médiocres n’aient jamais manqué. […] Aux yeux du penseur qui nous donne aujourd’hui, dans un écrit fortement condensé, le droit public d’une quatrième race, la révolution française a deux côtés que l’on a toujours trop confondus. […] Mais, devenue égoïste parce qu’elle n’avait plus de fonctions utiles à remplir, la féodalité épuisée, ayant refusé de faire un pas de plus dans le sens qui emportait tout, des hommes inspirés du génie civilisateur de la France, Louis XI, Richelieu, la jetèrent sous leurs haches impatientes, et la révolution française acheva ces terribles nécessités par lesquelles devait passer une société qui résistait, dans les débris de son ancienne organisation politique en ruines, à la centralisation définitive que Couture assied largement sur l’égalité politique de tous. Héritier de la révolution française, mais avec le bénéfice d’inventaire qui lui fit rejeter et ses erreurs et ses horreurs, Bonaparte reprit le problème où l’avaient laissé les Valois, et nous ajoutons Richelieu, sous les Bourbons, parce que Couture l’oublie.

391. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Les Grecs sont trop négligés, les Français trop parés, tort de part et d’autre : voilà tout ce que se permet, sur celle grande question, un critique, qui n’est ni Grec ni Français, mais qui est philosophe. […] On a dit que Xipharès était un courtisan français, et l’on a dit une sottise, comme c’est l’usage, pour faire une antithèse. […] Racine, comme Français, a bien fait de préférer Ulysse ; mais Euripide, Athénien, a eu raison de choisir Ménélas. […] Agamemnon, dans la pièce grecque, se livre davantage aux mouvements de la tendresse paternelle ; dans la pièce française, il garde plus de dignité. […] Quel bonheur pour notre littérature que Racine, au lieu d’un héros grec, nous ait offert dans Achille un chevalier français !

392. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

La margrave de Bareith qui avait eu une éducation très soignée, qui savait les langues modernes, l’histoire, la littérature, et qui aurait pu écrire ses mémoires en anglais aussi bien qu’en allemand, les a écrits en français, de même que c’est en français qu’elle correspondait toujours avec son frère. C’est donc un écrivain français de plus que nous avons en elle, et un écrivain peintre tout à fait digne d’attention. […] Traitons-la donc, sinon comme une Française à l’étranger, du moins comme une amie de la France, et qui, jusque dans le fort de la guerre de Sept Ans, écrivait à ce même Voltaire, en lui parlant des Français, alors adversaires déclarés : « J’ai un chien de tendre pour eux qui m’empêche de leur vouloir du mal. » Toutefois sachons bien une chose : la correspondance entre elle et son frère, que vient de publier M.  […] Elle était bien Française en cela. […] Ces jeunes Français sont trop peu philosophes pour s’accommoder de la vie solitaire que je mène : ce n’est le fait que de gens qui se sont dévoués aux lettres.

393. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Là où nous rencontrons un contemporain imprévu qui, pour être tout à fait du peuple, n’en est que plus poëte selon son cœur, et selon notre propre génie français, ne disons pas : C’est différent ; sachons le reconnaître sans pruderie et l’honorer. […] Reboul est un poëte français, de l’école des Méditations ; il écrit et chante en notre français classique avec pureté, harmonie ; son originalité consiste bien plutôt dans le contraste de ses écrits avec sa profession, que dans le caractère même de sa poésie. […] La partie politique de son recueil est celle qui a le moins d’originalité : la langue d’abord en devient aisément toute française, car le patois n’a point, dans son fonds, ce vocabulaire moderne. […] Jasmin a adressé, en 1832, une pièce de vers français à Béranger, son patron naturel en notre littérature ; ces vers faciles et corrects, mais communs, prouveraient, s’il en était besoin, que le français est pour Jasmin une langue acquise, et que la couleur, l’image, la pensée, lui viennent en patois. […] Jasmin, par la façon dont il travaille ses vers, par son soin de la composition et ses scrupules de style, est véritablement de l’école de Boileau et d’Horace, beaucoup plus que tel de nos grands poëtes contemporains qui écrivent en français.

394. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

« Cette célèbre Crète excita toute la curiosité française. » Mais les opinions se partagèrent sur la destination ultérieure : « Allait-on relever Athènes ou Sparte ? […] Les politiques qui avaient le mieux observé le génie du peuple d’Égypte, regardaient la religion comme le principal obstacle à rétablissement de l’autorité française. […] Les corps de garde français prenaient les armes et leur rendaient les plus grands honneurs. […] L’administration française eut ordre de respecter les propriétés des mosquées, des fondations pieuses. […] Depuis la Révolution, l’armée française ne pratiquait aucun culte ; elle n’avait pas fréquenté les églises en Italie, elle ne les fréquentait pas davantage en Égypte.

395. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Je dis nous, car c’est en français que Frédéric a écrit, c’est en français qu’il a pensé, c’est aux Français encore qu’il songeait souvent et qu’il s’adressait pour être lu, même quand il écrivait des jugements et des récits d’actions qui étaient si peu faits pour leur être agréables. […] Frédéric, avant de publier son livre, aurait fait corriger ces vétilles-là par quelqu’un de ses académiciens français de Berlin. […] Pour le juger comme politique, il convient de se dégager du point de vue français, des illusions françaises, et de ce qui nous est resté de l’atmosphère du ministère de Choiseul. […] Il court rapidement sur les temps barbares et stériles, et sur ceux de ses ancêtres dont on ne sait que les noms ou quelques traits insignifiants : « Il en est, dit-il, des histoires comme des rivières, qui ne deviennent importantes que de l’endroit où elles commencent à être navigables. » Il choisit le français de préférence à toute autre langue, parce que « c’est, dit-il, la langue la plus polie et la plus répandue en Europe, et qu’elle paraît en quelque façon fixée par les bons auteurs du siècle de Louis XIV ». […] Henry, pasteur de l’Église française à Berlin, a écrit une dissertation où il traite de l’irréligion de Frédéric ; sans prétendre l’absoudre sur ce point, le digne écrivain croit qu’on a fort exagéré ce côté français de Frédéric, par lequel il regardait et flattait les philosophes du xviiie  siècle ; il cherche à démontrer que Frédéric, avec une sorte de fanfaronnade, s’est plu à l’exagérer lui-même.

396. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Mouël, Eugène (1859-1934) »

Le Mouël, tout en parlant, comme Brizeux, le français le plus pur, nous donne la sensation de la poésie bretonne aussi complète, aussi intense que s’il parlait bas-breton. […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] Camille Doucet, secrétaire perpétuel de l’Académie française, sur les concours de l’année 1891.]

397. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Fauriel, renferme des articles de ces divers auteurs sur des écrivains français du xiiie  siècle. La poésie y tient une grande place : les restes de poésie latine, les chants d’Église ou d’école n’y sont pas oubliés ; les longs récits épiques en français, dits chansons de geste, y sont analysés avec ampleur et avec une connaissance comparée de toutes les divisions et de toutes les branches. […] En un mot, pour la gloire de notre nation, recueillir en un corps d’histoire tout ce qui concerne la littérature française, c’est ce que personne n’avait encore exécuté et ce qu’entreprit le courageux solitaire. […] Les fabliaux les plus moqueurs florissaient déjà du temps de saint Louis : cette veine est encore la plus sûre et la moins interrompue, quand on veut remonter à l’esprit français des vieux âges. […] Ce qui est certain, c’est que la vieille langue française du Nord, elle aussi, possède, dès le xiie et le xiiie  siècle, toutes sortes de récits en vers, dont le Renard est le sujet et le héros.

398. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

De Brosses a beau faire, il est trop Français à sa date, il ne peut venir à bout d’admirer Dante. […] Il vit surtout, dans l’étude qu’il en faisait, un thème d’innovation et d’audace pour sa propre manière de dire et pour l’expression française qu’il s’efforçait d’aiguiser et de renouveler. […] Il ne serait pas juste de ne point compter parmi les puissants stimulants que reçut l’opinion française sur liante, et dans un temps où Fauriel ne travaillait encore que dans l’ombre, les leçons éloquentes de M.  […] La moderne école poétique française, qui s’était plus d’une fois essayée sur Shakespeare, ne pouvait entièrement négliger Dante. […] Dans la nouvelle traduction qui nous occupe, je remarque et je loue le soin d’être, autant que possible, coulant et facile en français, d’unir la fermeté du ton à l’aisance du tour et du nombre.

399. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

N’avait-il pas, en 1807, désiré obtenir par l’entremise du général Savary, alors envoyé extraordinaire à Pétersbourg, de venir à Paris pour y entretenir en particulier l’empereur des Français ? […] Et puis, tout d’un coup, car nul esprit n’est plus sincère quand il est dans son premier bond, il a des hommages imprévus et des admirations pour cette nation française dont il est lui-même, bon gré, mal gré, avec son élément gaulois, et à laquelle il fait honneur. […] Personne peut-être n’a été plus à même que moi de faire des observations directes on indirectes sur l’esprit français. […] ) La puissance de la nation française pour agir sur les autres, même sur les moins changeantes, même sur celles qui la haïssent, est un phénomène que je n’ai jamais cessé d’admirer sans le comprendre. […] On avait mal traduit en français l’endroit de l’Ukase ou l’on parlait de ces conversions de quelques dames, de quelques personnes du sexe le plus faible, ainsi que le portait le texte officiel ; on avait mis dans la traduction, quelques femmes d’un esprit faible et inconséquent.

400. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Je passe à un Breton français et des plus français, à Boulay-Paty, mort il y a juste un an, et dont les Poésies posthumes viennent de paraître réunies par les soins d’un ami60. […] Lauréat des académies, et en particulier de l’Académie française en 1837 pour son Ode de l’Arc de triomphe de l’Étoile, cette date marquée d’un clou d’or dans sa vie avait été son plus brillant moment. […] Bepred Breizad. — Toujours Breton, Poésies bretonnes, avec traduction française en regard, par M.  […] Ils n’ont fait autre chose qu’imiter en vers français ou bretons la jolie pièce, leRuisseau, du poëte suédois Runeberg, qu’on peut lire traduite par M.  […] Maintenant qu’il est de l’Académie française, on peut nommer, sans lui faire tort, M. 

401. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Il ne pouvait que jeter quelques charmantes œuvres dans le cours de la poésie française, non pas le détourner ou le rectifier. […] Il m’est impossible d’y voir autre chose que de l’éloquence en vers, de l’éloquence cherchée sur un thème quelconque, c’est-à-dire de la forte rhétorique : du Lucain ou du Claudien en français. […] A ce moment précis, le monde n’existait pas encore, et c’est le monde qui pendant longtemps complétera l’enseignement des collèges, indiquera les Français dont il faut se souvenir, qu’il faut lire. […] Éditions : la Pléiade Française (outre Ronsard et Du Bellay : Jodelle, 2 v., 1868-79 ; Dorat et Thyard, 1 v., 1876 ; Belleau, 2 vol., 1879 ; Baïf, 5 v., 1883-90), Lemerre, in-8. […] Trésor des vieux poètes français (Baïf, 2 v. ; Jamyn, 2 v. ; Jean de la Taille, 4 v.).

402. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Il y dînait, entouré de tout ce que le Parnasse français comptait alors de jeunes espoirs. […] N’oublions pas le musicien Dubreuilh qui préconisait une restauration de la musique française dont la Dame blanche était, à son avis, l’un des plus hauts points d’expression. […] Le mot juste ne lui venait pas toujours qu’il remplaçait soit par le terme anglais, soit par un équivalent français, hasardé au petit bonheur, et dont le choix n’était pas toujours heureux. […] Montaigne pressé de s’exprimer disait : « Si le français n’y va pas, que le gascon y aille !  […] Les maîtres français qu’ils revendiquent sont des parnassiens qui ont mal tourné.

403. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Adolphe Boschot au secrétaire perpétuel de l’Académie française et l’intéressante brochure que viennent de publier MM.  […] L’alexandrin français fut d’abord césuré à six, indifféremment avec une césure féminine ou masculine. […] Racan ayant osé soutenir, contre le fougueux redresseur des prétendus torts de la prosodie française, qu’on devait rimer pour les oreilles, fut traité d’hérétique par lui. […] Les premières assonances qui parurent dans la poésie française sont masculines. […] Assouplissez-le, spiritualisez-le, mais ne le démembrez pas5. » Les réformes préconisées dans ces pages ne me paraissent nullement outrepasser les lois de la métrique française.

404. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Les philosophes anglais, connus en France, ont été l’une des premières causes de cet esprit d’analyse qui a conduit si loin les écrivains français ; mais, indépendamment de cette cause particulière, le siècle qui succède au siècle de la littérature est dans tous les pays, comme j’ai tâché de le prouver, celui de la pensée. Heureux si les Français sont assez favorisés par la destinée, pour que le fil des progrès métaphysiques, des découvertes dans les sciences et des idées philosophiques ne se rompe pas encore entre leurs mains. […] Mais sans imiter les incohérences des tragédies anglaises, sans se permettre même de transporter sur la scène française toutes leurs beautés, il a peint la douleur avec plus d’énergie que les auteurs qui l’ont précédé. […] Mais combien Montesquieu, par l’expression énergique de la pensée ; Rousseau, par la peinture éloquente de la passion, n’ont-ils pas enrichi l’art d’écrire en français ! […] Vers le dix-huitième siècle, quelques écrivains français ont conçu, pour la première fois, l’espérance de propager utilement leurs idées spéculatives ; leur style en a pris un accent plus mâle, leur éloquence une chaleur plus vraie.

405. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Taine, ce foudre d’érudition, qui en finit, selon moi, avec toutes les histoires faites jusqu’ici sur la Révolution française et qui force à les recommencer ; mais il a sur le Jacobinisme, qui est la Révolution dans sa forme définitive et sa fatalité dernière, la même Vue droite, inflexible et perçante… Il est de même portée et il atteint au même point, — mais avec une flèche enflammée, avec la palpitation et la passion de l’éloquence en sus, et que M.  […] Ce qu’on doit rencontrer ici, c’est le Français, — le Français de cœur qui respirait dans ce Grec par l’intelligence ; c’est le journaliste oublié, — que la guillotine n’oublia pas, elle ! […] Avant Chénier, ou plutôt avant la Révolution française, le journalisme politique, à proprement parler, n’existait pas. […] Comme Louis XVI, qui n’était pas un poète, mais qui avait en lui la Bonté, la Bonté tout aussi illusionnante que la Poésie ; comme Lafayette, ce grand candide, qui ne vit pas que la Révolution et le Jacobinisme n’étaient qu’un même monstre et qu’il n’y avait pas à se mettre entre eux comme les Sabines entre les Romains et les Sabins, dans le beau tableau de David, André Chénier eut, lui, parce qu’il était poète, l’illusion de la Révolution française, et il se grisa de son imbécile espérance… Seulement, son erreur fut courte, et elle fut expiée bien avant qu’il la payât de sa tête ! […] Oscar de Vallée doit croire aux deux temps dans la Révolution française, dont l’un est arrivé, et dont l’autre était, dit-on toujours, possible.

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