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732. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Ce sont mille traits qui ne touchent pas le but, mille sens douteux, mille finesses sous lesquelles se cachent des niaiseries ; une habitude de tourner tout à l’ingénieux et à la pointe ; toutes sortes de manquements, calculés ou involontaires, à la première loi du langage, la propriété, et, toutefois, une fausse précision qui les dissimule. […] Pénétrant dans tous les détails de ce style, dans ses jointures les plus cachées dans ses fausses délicatesses, dans ses grâces spécieuses ; demandant compte à chaque mot de sa valeur, de son rapport avec l’idée qu’il exprimait, de sa place dans la phrase, il se rendait comme témoin du travail du poëte, et faisait voir dans la faiblesse de la conception les causes des imperfections de la langue. […] Que prétendait Malherbe par sa réforme, sinon faire voir aux poëtes de son temps que ce qui leur était imposé par le tour d’esprit d’alors, par l’imitation de l’Italie et par le faux savoir, ne valait pas ce que leur bon sens, cultivé par les lettres anciennes, et développé par l’expérience de la vie, leur inspirait, comme à leur insu, de pensées franches et naturelles ?

733. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Il ne faudrait cependant pas que les conjectures des romanciers fissent fausse route. […] Le monde, dont les jugements sont rarement tout à fait faux, voit une sorte de ridicule à être vertueux quand on n’y est pas obligé par un devoir professionnel. […] Je l’avoue, dans la première partie de ma vie, je mentais assez souvent, non par intérêt, mais par bonté, par dédain, par la fausse idée qui me porte toujours à présenter les choses à chacun comme il peut les comprendre.

734. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

Ce défaut n’est pas aux chanteuses, mais le contraire ; les trois chanteuses ont d’admirables voix, mademoiselle Malten plus impressionnante, madame Sucher plus simple, mais les trois continuent à jouer suivant tout le faux des usages scéniques ; défaut sensible surtout chez madame Materna qui toujours semble jouer l’Africaine aq. […] Alors, ce drame : l’âme livrée primitivement à la mensongère tromperie de l’Apparence, et niant l’amour ; puis, cette heure (l’heure possible parmi les pâles existences banalement dévouées aux vies mauvaises, dans le croupissement des animalités, sous l’aveuglement de l’être faux), l’heure (suprême) où le rêve, vague emportement de la pensée, hors le monde habituel te prend, âme, et t’enveloppe de ténèbres majeures et te donne cette vision du Vrai, donc ce choix, — l’heure, extraordinaire, (l’heure du Breuvage) où l’âme songe tout à coup qu’il est une autre vie, qu’elle peut vivre, qu’elle vivra ; dès lors, la lutte ; et le bien heureux moment où, âme, libre tu t’en iras, âme libre, libre du monde faux, éclosant dans le plein ciel de ton monde authentique, ô joyeuse de ton libre amour !

735. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Il ne faut pas négliger ici de parler des œuvres de quelques jeunes musiciens qui ont avec celles de Wagner un faux air de ressemblance, mais qui ont aussi contribué à convertir le public. […] Tout est factice et faux, et l’appareil théâtral suffit à rendre fausses les vérités les plus saisissables.

736. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Observations zoologiques, anatomiques, physiologiques, pathologiques, voilà ce qu’il faut pour base ; et certes, Gall a amassé plus de faits de cette sorte qu’aucun de ses prédécesseurs ; il a montré la patience et l’habileté d’un investigateur, bien qu’il ait tiré de toute cette collection de matériaux des interprétations fausses et des conclusions non vérifiées. […] Mais cette hypothèse a dû être confrontée avec les faits et a été trouvée fausse. […] « Son célèbre éclectisme n’est qu’une fausse interprétation de l’histoire de la philosophie de Hégel, fortifiée de quelques arguments plausibles.

737. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Il y a des cas de « fausse mémoire » où on se rappelle ce qui n’a pas eu lieu, où on croit reconnaître ce qu’en réalité on n’avait pas connu antérieurement : on projette alors dans le passé ce qui n’est que présent ; on prend pour un souvenir une impression actuelle, pour une répétition une nouveauté. […] « Je sentais que, déjà auparavant, étant couché ici, dans ce même lit, on était venu et on m’avait dit : Millier est mort. » Le cas de fausse mémoire le plus complet, selon Th. […] C’est l’inverse des cas de fausse mémoire, où l’unité normale des images est abolie au profit d’une duplicité anormale.

738. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Et notez que mon jeune ami avait tout allié dans son devis, les convenances à l’économie, les nécessités de la position sociale de son père avec le mépris des fausses dépenses, et le convoi de seconde classe avec la messe de première. […] On charge de braise les chaufferettes traditionnelles et monumentales de la maison de Molière, et la répétition commence avec un sac de bonbons sur une fausse cheminée. […] E tutto… Et voilà ce que laisse Rachel : des diamants, des bijoux, de l’argenterie, des dentelles, des demi-reliures et du faux Sèvres.

739. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

De celui-là aussi vous nous rebattez singulièrement les oreilles, et je n’ai jamais compris, je vous l’avoue, comment vous pouvez admirer, si fort et en même temps, Molière et Marivaux, l’un si vrai et si net, l’autre si faux et si retors ; celui-ci qui rit franchement, celui-là qui ricane ; Molière qui va droit son chemin, Marivaux qui ne marche que dans les sentiers détournés ; Molière qui dit tout et même plus, Marivaux qui laisse tout entendre et quelque chose encore. […] « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent. » Cette maxime de M. de La Rochefoucauld s’applique aux vrais et aux faux hommes de lettres.

740. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

« Chevalier (s’appelle-t-il lui-même) des temps écoulés, il défend ces gracieux et beaux portraits de marquises, chefs-d’œuvre de Boucher, de Lencret et de Greuze. » Mais une raison de cette maigreur, l’amour d’une fausse élégance dans les arts, pouvaient-ils voiler à un esprit qui eut longtemps le sentiment de l’histoire, cette autre corruption dans les mœurs, bien plus épouvantable, qui allait faire tomber à quelques années de là toute cette société pourrie sur la planche de l’échafaud et devant laquelle l’historien, l’historien politique, devait enfin se dégriser et se retrouver ? […] L’inconséquence entre les opinions qu’on a et la vie qu’on mène est bien plus commune que l’hypocrisie, ce vice des sociétés fortes, qui gêne comme un masque et suppose une volonté et un caractère inconnus aux sociétés faibles, lâchement et cyniquement sincères, mais cette inconséquence ne fausse pas la vérité des principes, parce qu’en pratique elle les viole, et tout au contraire, elle la proclame de plus haut ! […] Le fait qu’on nous impute est faux, mais il entre dans la donnée générale de notre caractère et de nos habitudes, et voilà pourquoi il est admis.

741. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

L’un des plus inattendus n’est-il pas de voir un philosophe qui ne s’était guère occupé que de psychologie et de métaphysique ; qui, s’il n’a pas eu d’idées en propre, un système construit à la façon de Hegel ou de Schelling, a du moins eu de belles parties de discussion, souvent de l’aperçu entre deux idées fausses et surtout un style, beaucoup trop admiré, il est vrai, car il n’est pas sincère, oublier, tout à coup, ce qu’il est et ce qu’il fut, abandonner la philosophie qui meurt plus par le fait de ses partisans que de ses adversaires, laisser là l’habituel sujet de ses méditations et se jeter obstinément dans les petits et obscurs détails de la biographie, et de quelle biographie encore ! […] Tous les rôles immondes et affreux qu’une femme peut jouer, dans un but faux de politique, elle les a joués et elle a échoué ! […] Par quelle magie donc, par quel ensorcellement une telle illusion — une telle confusion entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid, a-t-elle pu s’établir dans une tête bien faite, dans un esprit judicieux que le temps aurait dû refroidir et la réflexion préserver ?

742. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Eh bien, ce peintre si coupable que fut Michelet dans son livre de l’Amour, ce peintre qu’on avait la faiblesse d’aimer quand il aurait fallu la force de le maudire, c’est lui qu’on cherche presque en vain, dans son autre livre de la Femme, à travers ces idées connues, si fausses et si vides, qui, elles ! […] Au milieu de ces erreurs et même de ces folies, ornées et passementées d’un talent devenu plus rare et plus souvent interrompu, il y a cependant moins d’erreur complète et compacte, moins d’erreur radicale, d’une seule pièce, que dans ce livre de l’Amour, où tout est faux, intégralement faux jusqu’à l’axe, puisqu’en vue du seul plaisir physiologique on y change la destination hiérarchique de la femme et on y bouleverse l’organisme de la famille, fait de main divine.

743. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Le gros public pourra s’y tromper : il y aura toujours ce quart de ton en dessus ou en dessous, qui sonnera faux pour les oreilles affinées. […] Dominique s’imagine lutter contre son amour, et il épuise la série des faux semblants de courage, qui ne sont que des occasions de se faire plaindre, et s’éveiller la pitié dans un cœur bien féminin, qui s’indignerait peut-être si on disait : « Aimez-moi », et qui répondra tendrement si on dit : « Plaignez-moi ». […] Un romancier vulgaire et un faux passionné le dirait.

744. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Les temps du naturalisme sont venus ; une voix a été entendue annonçant que le règne des faux dieux était passé et que le grand Pan est mort. […] Le ridicule des déclamations retentissantes, des tirades à effet, des grands sentiments étalés à faux, nous le connaissons depuis longtemps, il n’est personne qui ne s’en moque aujourd’hui ; et si l’on veut chercher qui a tué le mauvais romantisme, ce n’est pas à nos novateurs littéraires qu’en revient l’honneur : c’est l’opérette qui a fait cette besogne salutaire. […] Elle a précédé tout système, et aucun système, si faux qu’il puisse être, n’arrive jamais à la gâter entièrement.

745. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Il est ce que la raison peut comprendre, contrôler, construire, déclarer vrai ou faux dans une phrase donnée ou dans un système de phrases. […] Il me met en garde encore contre les fausses suggestions de la musique verbale. […] J’oppose non pas les vers à la prose — opposition qui me paraît techniquement fausse — mais uniquement la poésie au prosaïsme. […] Que je suis d’accord avec tous ceux qui créent ou sentent poétiquement lorsque la fausse raison ne les trompe pas ? […] On court le danger de trop dissocier, et à faux, les éléments de l’élaboration poétique.

746. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LX » pp. 231-236

— La traduction d’Antigone a paru en petit volume, dédiée au roi de Prusse et avec une préface emphatique et fausse.

747. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Des hommes froids, qui veulent se donner l’apparence de la passion, parlent du charme de la douleur, des plaisirs qu’on peut trouver dans la peine, et le seul joli mot de cette langue, aussi fausse que recherchée, c’est celui de cette femme qui, regrettant sa jeunesse, disait : c’était le bon temps, j’étais bien malheureuse.

748. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

La comparaison qu’on fait souvent de l’œuvre littéraire à un édifice est fausse, et bonne pour encourager la pire rhétorique.

749. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 23-32

Un homme sage qui lira les Libelles enfantés par ses défenseurs, verra toujours la personnalité substituée à la raison directe, l’injure mise à la place de la justification, un faux air de dédain opposé à la honte & au ridicule dont on les couvre, &c. »  

750. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

Helvétius, en passant rapidement sur l’abus de ses talens, en plaignant ses illusions, en rendant justice aux bonnes qualités que je lui avois reconnues, & en m’indignant, par intérêt pour lui, contre une fausse Philosophie qui fut toujours l’ennemie de sa réputation & de son repos.

751. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

L’écueil du vrai, c’est le petit, l’écueil du grand, c’est le faux.

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