» Quelle expression neuve, naïve et passionnée, qu’aucune langue n’avait encore ou trouvée ou osée !
Conserver la beauté dans la douleur, ne dégrader jamais l’homme intellectuel par le déchirement de ses sensations, montrer toujours l’intelligence impassible survivant au cœur torturé, voilà le comble de l’art antique, voilà la loi du beau ; c’est cette loi du beau dans l’art que quelques grands artistes de notre époque ont voulu nier et renverser en cherchant l’expression dans la seule vérité imitative, en peignant le laid avec autant de recherche que le beau, et en inventant ce paradoxe artistique et littéraire qu’ils ont appelé l’art pour l’art !
Les deux femmes, soigneusement voilées, remontèrent en voiture, rentrèrent à Rome au jour tombant, percèrent la foule pieuse qui obstruait les portes du palais Farnèse, pénétrèrent dans la salle du catafalque, et la duchesse revit, dans l’immobilité et dans la sainteté de la mort, ce visage qu’elle avait vu tous les jours, depuis vingt ans, animé de toute la beauté et de toute la grâce qui caractérisaient l’expression du cardinal-ministre.
Ces révoltes soldatesques furent couvertes, comme à Cadix et à Naples, d’expressions respectueuses pour le roi.
C’est l’expression la plus gaie qui puisse passer sur les lèvres de l’homme.
Plusieurs années après seulement, je m’aperçus que mon malheur ne venait que du besoin, ou, pour mieux dire, de la nécessité de sentir en même temps mon cœur occupé d’un noble amour, et ma pensée d’une œuvre élevée ; chaque fois que l’une de ces deux choses m’a fait défaut, je suis resté incapable de l’autre, dégoûté, ennuyé et tourmenté au-delà de toute expression.
XII Voilà ce roman, vrai comme la nature ; ce roman photographique, si j’ose me servir de cette expression.
Les Dieux qui commençaient à rompre les gaines grossièrement substituées au corps, à décoller leurs bras d’un torse immobile, à détacher leurs pieds soudés sur une base, à remplacer par les expressions de la grâce et de la grandeur, le morne sourire figé sur leurs lèvres, se seraient renfoncés et endurcis dans leurs anciens types.
Le sensualisme obscène des tableaux produisait ce cynisme grossier de l’expression ; il faut le pardonner à un enfant qui prenait l’engouement pour le goût ; le temps prenait bien l’ordure du mot pour la force du style.
Les étoiles sembleraient frappées du même vertige ; ce ne serait plus qu’une suite de conjonctions effrayante : tout à coup un signe d’été serait atteint par un signe d’hiver ; le Bouvier conduirait les Pléiades, et le Lion rugirait dans le Verseau ; là des astres passeraient avec la rapidité de l’éclair ; ici ils pendraient immobiles ; quelquefois, se pressant en groupes, ils formeraient une nouvelle Voie lactée ; puis, disparaissant tous ensemble et déchirant le rideau des mondes, selon l’expression de Tertullien, ils laisseraient apercevoir les abîmes de l’éternité.
Car on dira que l’humour peut être parfois son propre jeu, et parfois au contraire l’expression amusante d’une sérieuse pensée.
Pour ma part, d’après une expression poétique de Lyell, je regarde les archives naturelles de la géologie comme des mémoires tenus avec négligence pour servir à l’histoire du monde et rédigés dans un idiome altéré et presque perdu.
Aucun d’eux n’avait su se faire écouter : — ni les princes charmants des mille et une nuits parisiennes, dont les cartes de visites ont parfaitement cours dans les exchange office ; — ni les gros sacs de la finance, hydropisies sonores qui veulent bien consentir à adresser l’expression de leur hommage, sous enveloppe, dans une toison du Thibet, — mais qui n’aiment pas à remettre à huitaine, comme Bilboquet, l’achat des carpes qui excitent leur convoitise ; — ni les Tucarets de l’industrie, dégustateurs jurés de toutes les primeurs friandes, qu’elles mûrissent au feu du soleil, ou aux feux de la rampe ; — ni les petits messieurs qui trempent leur chaussure dans le carmin de la Régence ; — ni les vicomtes et barons de fantaisie, dont la vicomté ou la baronnie n’existe que brodée au plumetis dans le coin de leur mouchoir et qui exigeraient volontiers que l’on peignît le rébus de leur blason sur les panneaux des omnibus ; — ni les amoureux saules-pleureurs, qui n’ont que le cœur et pas de chaumière ; — ni les poëtes de première année, qui gravissent la montagne de l’Hélicon— mortelle aux bottes, et se nourrissent exclusivement de radis noirs, afin d’économiser les frais d’impression d’un petit volume jaunâtre, dans l’intérieur duquel ils crachent leurs poumons ; ce qui est aussi malsain pour la santé que pour la littérature. — Ô miracle ! […] Avec celui-ci, il joue la familiarité brutale qui s’exprime sans ambage ; avec tel autre, il fera arriver son compliment par les sinuosités d’une périphrase habilement ménagée ; avec celui-là, qui affecte l’indifférence ou le dédain en matière d’éloge, il trouvera, pour irriter cet amour-propre sincèrement ou faussement blasé, des expressions qui sont, pour ainsi dire la sauce anglaise de l’enthousiasme ; avec un autre, il emploiera le système de la comparaison et lui dira, par exemple, à propos d’un roman récemment publié : « Mon cher, je ne puis vous dire que cela, c’est du Balzac écrit. » Comme il a fait une étude spéciale du cœur humain des gens de lettres, il a surtout remarqué que la meilleure manière de leur dire du bien d’eux-mêmes était de leur dire du mal des autres. […] Le rideau vient de se baisser ; entre deux salves, on est venu proclamer le nom victorieux qui devra bientôt, selon l’expression du poëte, « voltiger aîlé sur la bouche des hommes. » La critique, qui s’en va bras dessus bras dessous, se reconduit dans la personne de ses membres, échangeant entre eux le mot d’ordre pour l’honorable conspiration de la louange unanime et méritée qui aboutira le lundi suivant.
On peut être étonné et sourire de quelques expressions un peu hasardées : Un souris charge de douceurs Qui tend les bras à tout le monde. […] De l’autre, qu’on connaît, la traitable méthode Aux faiblesses d’un peintre aisément s’accommode ; La paresse de l’huile, allant avec lenteur, Du plus tardif génie attend la pesanteur : Elle sait secourir, par le temps qu’elle donne, Les faux pas que peut faire un pinceau qui tâtonne ; Et sur celle peinture on peut, pour faire mieux, Revenir quand on veut, avec de nouveaux yeux. […] Mais la fresque est pressante, et veut, sans complaisance, Qu’un peintre s’accommode à son impatience, La traite à sa manière, et d’un travail soudain Saisisse le moment qu’elle donne à sa main : La sévère rigueur de ce moment qui passe Aux erreurs d’un pinceau ne fait aucune grâce ; Avec elle il n’est point de retour à tenter, Et tout au premier coup se doit exécuter ; Elle veut un esprit où se rencontre unie La pleine connaissance avec le grand génie, Secouru d’une main propre à le seconder Et maîtresse de l’art jusqu’à le gourmander, Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide, Et dont, comme un éclair, la justesse rapide Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés, De ses expressions les touchantes beautés. […] Or, il ne l’emploie qu’un peu et si c’eût été une faute énorme que de le lui faire ‘employer constamment, il est admirable au contraire que Molière se soit arrangé de manière que quelques expressions de la langue de l’amour divin se glissassent dans le discours par où Tartuffe déclare son amour terrestre. […] Elle est la franchise même dans l’expression de ses sentiments ; elle a le cynisme de l’ingénuité et de l’innocence et l’insensibilité d’une force de la nature à l’égard du mal qu’elle fait à celui qu’elle n’aime pas.
M. de Max, dans le rôle d’Oreste, m’a tellement exaspéré que je n’en dirai rien, ayant peur de donner tout de suite dans les expressions violentes. […] Encore une fois, j’adresse à Mme Bernhardt l’expression de ma profonde gratitude. […] Mais s’il s’agit d’Alceste, cette expression ne nous fait-elle pas entendre quelque chose de plus riche et de plus exact ? […] Car que l’on ne trouve plus à la fin de la pièce ces tapageuses professions de foi misanthropiques du début, mais, ce qui vaut mieux, un acte froid, résolu, de misanthropie décisive, cela prouve clairement, à mes yeux, que cette passion dorénavant n’est plus de celles dont on force l’expression pour se persuader qu’on les a, mais de celles dont la plénitude a inondé les profondeurs de l’âme et qu’on renferme en soi-même pour en savourer l’âpre joie.
Chrysale, personnage sympathique — et si l’on me conteste cette qualification, je dirai qu’il est au moins sympathique par comparaison et que l’opposant à Philaminte, Armande et Bélise, qu’il berne furieusement, Molière le rend éminemment sympathique au parterre et met les rieurs de son côté, et cela me suffit — Chrysale, personnage sympathique, est un Sganarelle atténué, à peine atténué, un Arnolphe adouci, à peine adouci ; et toute la doctrine de Sganarelle et d’Arnolphe vient se concentrer, puis se déployer dans sa grande tirade de l’acte II, à ce point que les expressions dont il se sert sont souvent les mêmes dont avaient usé Sganarelle et Arnolphe.
Car qu’on ne croie pas que Leopardi était tout entier dans les énergiques et farouches accents dont nous avons déjà cité maint exemple, et dont la paraphrase qu’il donne des paroles de Brutus est chez lui l’expression la plus superbe148 : on a là le côté, pour ainsi dire, historique de son talent ; c’est comme la ruine romaine dans le grand paysage ; mais souvent il s’y promène seul, rêveur, et animé d’une mélancolie personnelle, toujours profonde et à la fois aimable.
Contractés par une expression fixe, ils persistent jusqu’au bout de la pièce dans leur grimace immobile ou dans leur froncement éternel.
Ce fils, Wolfgang Mozart, dès les premiers mois de son existence, ne parut pas être un enfant des hommes, mais, selon la belle expression de ses biographes, une inspiration musicale revêtue d’organes humains.
C’est la beauté, la colère et la victoire vengeresse fondues dans une même expression ; Cosme en fut ravi, et le peuple toscan le rangea dès le premier jour au rang de ces œuvres qui n’ont pas de secondes.