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2217. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

Pour moi, après y avoir mûrement réfléchi, je vois là-dedans la main de Dieu s’appesantissant sur la race maudite qui donna Alexandre Weill à la France. […] Au pays de Bohême Madame D… avait un amant. — Un caprice le lui avait donné, une fièvre typhoïde le lui reprit. […] — Croirais-tu, ma, chère, que ce pignouf ne m’a jamais donné un louis de sa vie ? […] — Je te donne ma parole d’honneur ! […] Petite gazette des tribunaux Le greffier donne lecture des charges qui pèsent sur un membre distingué de la famille de Jean Hiroux.

2218. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Notice historique sur la vie et les écrits de Chamfort Il n’aurait été d’aucun avantage pour la mémoire de Chamfort qu’il eût tenu aux familles les plus distinguées ; il aurait dû être aussi tout à fait indifférent que Nicolas (c’était le nom qu’on lui donna avant qu’il en prit un) ait été sans naissance, et même, pour ainsi dire, sans famille, s’il n’en était trop souvent résulté pour lui le malheur de jeter sur la société un coup-d’œil amer, de prendre de bonne heure en haine ses institutions, et de s’habituer à regarder comme les plus contraires au bonheur et à la morale, celles là même qui ont été créées pour la garantir. […] L’année suivante, Chamfort donna au théâtre la charmante comédie du Marchand de Smyrne. […] Chamfort en donna treize livraisons, contenant chacune deux tableaux. […] « Ce n’est point à la vie que je suis revenu, disait-il, c’est à mes amis. » Toujours plus indigné des horreurs dont il avait voulu s’affranchir par la mort, on l’entendit dire plus d’une fois : « Ce que je vois me donne à tout moment l’envie de me recommencer. » Obligé, par la perte presque totale de ses moyens d’existence et par les frais considérables de sa détention et de son traitement, à vivre de privations, il alla s’établir, avec ce qui lui restait de ses livres, dans une modeste chambre de la rue Chabanais, sans regretter pourtant le temps où il occupait un appartement au Palais-Bourbon, ou dans l’hôtel de M. de Vaudreuil. […] Chamfort avait eu une jeunesse très orageuse ; sa pauvreté, ses passions, son goût exclusif pour les lettres, qui l’éloignait de toute occupation lucrative, donnèrent, à son entrée dans le monde un aspect qui put blesser des hommes austères ; et ceux qui l’avaient suivi de moins près depuis cette ancienne époque, pouvaient en avoir conservé de fâcheuses impressions.

2219. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Nos murmures ont éclaté aussi : nous avons redemandé un instant les dieux de l’Égypte, le pain des esclaves ; nous avons été punis aussitôt, en voyant briser sous nos yeux les tables de la loi qui venait de nous être donnée au milieu des foudres et des éclairs. […] La Charte donnée par le roi n’est, à proprement parler, qu’une formule pour dégager l’inconnue, c’est-à-dire une méthode pour résoudre le grand problème de nos institutions nouvelles ; ce qui le prouve, ce sont les articles transitoires, les stipulations de circonstance dont cet acte est surchargé ; ce qui le prouve encore, c’est qu’on n’invoque point la Charte, mais l’esprit de la Charte. […] Et ici je vais donner un signe sensible ; car, en même temps que la parole intérieure s’exprime par la parole extérieure, l’état de la société se montre toujours par des monuments. […] Le berceau de cette société nouvelle n’a point été, en apparence, entouré de mystères et de merveilles ; mais c’est aussi un mystère, et un mystère terrible, que cette foule d’hécatombes humaines ; mais c’est aussi une merveille, et la plus grande de toutes, que cette suite innombrable de démentis donnés chaque jour, pendant trente années, à la raison humaine, qui, chaque jour, croyait être sûre de son fait. […] Mais y aurait-il quelque inconvénient à garder dans le fond de sa pensée la certitude intime où nous devons être, que sans les libertés qui ont précédé 1789, jamais la France n’aurait pu parvenir à l’émancipation, car le propre de l’esclavage est de ne donner que des sentiments d’esclaves ?

2220. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Elle me répondrait superbement que la morale n’est qu’une hypocrisie, si elle n’est pas la liberté (je m’épargnerai cette vieille guitare) ; mais je lui dirai et je lui répéterai la chose qui devra le plus la toucher : c’est que précisément, dans le livre qu’elle vient de lancer, elle n’est point aussi Cosaque qu’elle se vante de l’être ; c’est que la tournure qu’elle se donne, en commençant son livre, n’est pas du tout la tournure qu’elle prend, en le publiant. […] Et, de fait, donnez à la jeune fille que vous voudrez, Cosaque ou non, pour lecture et pour éducation, les Eugène Sue, les Dumas, les Michelet, les Sand et tous les propagateurs des gales modernes, vous verrez si vous n’obtenez pas identiquement les mêmes résultats moraux et intellectuels, qui brillent dans la dame cosaque en question. […] Donc de la Cosaque que je rêvais, et qui aurait pu donner à ce livre, que tous les bas-bleus de France sont capables de confectionner tel que le voilà, un arôme, un piquant, une nouveauté, un inconnu dont j’aurais fait beaucoup plus de cas que d’une vengeance d’écritoire, vous voyez si, même en cherchant, de cette Cosaque on trouve la moindre trace ! […] la main sur la conscience, ce n’est pas parce qu’on s’est donnée à un homme ; parce qu’on s’est jetée à sa tête comme un projectile ; qu’on a pris la poste, du fond de la Russie, pour aller le prendre, lui, à Rome et qu’on l’y a pris, car le Don Juan ici, c’est Madame, — si on en croit Madame, — et Monsieur, c’est Mademoiselle Jocrisse, qui fait bien quelques petites façons, mais qui enfin y passe, comme disaient gaiement nos pères ! […] Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très grand artiste, j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire.

2221. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

J’ignore si ce nom, à tournure romanesque, de Claire de Chandeneux, est son vrai nom, ou si c’est un nom qu’elle s’est donné comme tout bon bas-bleu qui ne veut être que par soi-même. […] Mme Claire de Chandeneux que voici, cette romancière de petites aventures, de Chandeneux qui n’est qu’un Ponson du Terrail-femme à courte haleine, et en très petite monnaie, mais blanche ; qui écrit des romans d’un seul volume, mais qui recommence, ne serait certainement pas de force à nous donner les barbouillages sans bout du scudérique Ponson du Terrail. […] Mme de Chandeneux a ceci de particulier et d’intéressant pour la Critique, qu’elle donne la mesure exacte du bas-bleu dans sa moyenne et dans sa pureté. […] On ne peint pas un colonel, parce qu’on lui donne de grosses moustaches et qu’on lui fait dire : « Sacrebleu !  […] Elle ne s’est donnée, pour les avoir, que la peine d’être une femme.

2222. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Avant de légiférer pour son propre compte et en son privé nom, il nous a donné, en abrégé, l’histoire du duel en France, et cette histoire démontre, à toute page, l’inanité des législations quand il s’agit de changer et de modifier des mœurs toujours victorieuses d’elles… L’esprit moderne, dont la manie est de croire aux constitutions, qui sont les créations de son orgueil et que le vent de cette girouette a bientôt emporté, l’esprit moderne, qui méprise si outrageusement et si sottement le passé, apprend ici, une fois de plus, que tout dans l’histoire ne se fait pas de main d’homme, et que les coutumes ne s’arrachent pas du fond des peuples comme une touffe de gazon du sol… Saint-Thomas, dont le bon sens (heureusement pour lui) ne me fait point l’effet d’être dévoré par l’esprit moderne, semble l’avoir compris. […] Il faut lire dans le livre de Saint-Thomas tout cet édit de 1679, qui donne plus que n’importe quel acte de sa vie la mesure de la grandeur de Louis XIV… Jamais loi ne fut plus complète, plus largement assise, plus bâtie à chaux et à sable, à ce qu’il semblait, puisque c’était Louis XIV qui tenait la truelle ! […] Mais l’opinion et les mœurs, dans ce temps-là, auraient effacé l’infamie du soufflet et de la main qui l’aurait donné, et on l’eût porté sur sa joue comme une glorieuse balafre. […] Ce mal, qu’il étudie, d’ailleurs, n’est pas particulier à la France, et il en donne la nosographie partout où il existe, en Angleterre, en Belgique, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Prusse, en Russie, et même en Amérique, où les Européens, dont elle est la fille, l’ont porté. […] « Ce ne sont pas les épées et les balles qui tuent, ce sont les témoins. » Cette phrase à la Montesquieu résume, en effet, tout le livre du comte de Saint-Thomas, et donne l’esprit des lois qu’il a écrites dans son Code du Duel.

2223. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Or, voici l’important : pour donner à sa traduction un intérêt nouveau, Guizot l’a fait précéder d’une Vie de Shakespeare, — et aussi d’une petite préface où il nous affirme spirituellement, par la plume de ses éditeurs, « que sa traduction ne sera pas plus shakespearienne que Shakespeare ». […] La seule chose bonne et satisfaisante d’une histoire si restreinte, c’est que, sous cette plume ferme et résistante de Guizot, elle reste une histoire qui ne verse pas dans le romanesque et ne nous donne pas un Shakespeare d’invention, comme celui de ce malheureux Tieck. […] Guizot l’a touchée, cette question, avec cette hauteur impassible de langage qui peut toucher hardiment à tout et voudrait bien l’amener à la lumière, mais il la laisse bientôt retomber dans les ténèbres qui l’enveloppent, — et ceux qui aiment Shakespeare restent épouvantés, ou du moins inquiets, en face de ces Sonnets, d’un sentiment et d’une expression tellement androgynes qu’on se demande si le génie qui parle ainsi est le génie de l’amour ou le génie de l’amitié… Tel est pourtant l’incomplet de cette histoire et de cette critique que nous a donné Guizot dans cette œuvre, trop courte d’ailleurs, intitulée la Vie de Shakespeare. […] Victor Hugo doit donner un volume sur Shakespeare, pour joindre à la traduction de son fils. […] Victor Hugo pourra nous sonner un grand air de trompe en l’honneur de Shakespeare et même se servir pour cela du cor de Roland, mais, certes, il ne nous donnera pas davantage.

2224. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Ernest Hello devrait toucher ; prétintaille de rhétorique plaquée au front du livre le plus contraire à la rhétorique, c’est-à-dire à toute convention dans les idées et dans le style… Le titre d’un livre doit engager à l’ouvrir, — comme le regard d’une femme inconnue doit donner l’envie de la connaître et de lire dans le cœur qui a ce regard… Tel n’est point le titre que M.  […] Ernest Hello, à chacune de ses publications, a été signalé et salué par moi comme un de ces esprits qui, dans un temps donné, — hélas, toujours trop long ! […] Dans l’absorption religieuse où il a vécu, il ne s’est pas, comme eux, déchiré aux dures réalités de ce monde et il n’a pas, comme eux, l’âpre ressentiment qui donne à leur talent et à leurs œuvres cette saveur amère que recherche et qui tonifie la faiblesse de nos cœurs froissés… L’auteur de ces Plateaux de la balance est bien plus le moraliste de l’esprit que le moraliste du cœur. […] J’ai voulu la faire ; j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler ; j’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses ; j’ai voulu prendre leur mesure et la donner… J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter et descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibré… Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique, mais ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique, et cette unité, c’est la faim et la soif de la « Justice. » Et comme le mystique ne s’éteint jamais, ainsi que je Fai dit, dans M.  […] Hello) d’un livre qui va nous promener parmi les hommes et les choses du monde contemporain, et nous donner sur eux et sur elles ridée qu’il faut en avoir et le sentiment qu’ils doivent inspirer.

2225. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Et il l’est tellement qu’il ne s’aperçoit pas combien la bêtise d’Eckermann est compromettante, combien la fidélité naïve des souvenirs de ce ramasseur de mots du grand Goethe est imprudente et dommageable à l’esprit du maître qu’il s’était donné. […] Si donc on recherche avidement, et avec raison, tout ce qui peut nous donner une idée vraie de la spontanéité d’un homme de génie, si on tient à le voir dans le négligé pour surprendre en lui le secret de sa source, il n’y a rien de pareil à chercher ici. […] Ce livre, qui n’est qu’un recueil de maximes, d’aperçus et de pensées de Gœthe, empruntés à ses œuvres complètes, donne une idée plus nette et plus riche de lui que les Entretiens d’Eckermann, et on le conçoit bien, pour peu qu’on se rappelle la nature spéciale de son esprit. […] Enfin, parce qu’il était spinoziste et athée, — non pas comme Shelley, le poète, qui s’écrivait athée sur la cime du Mont-Blanc et voulait qu’on lui donnât ce titre sur l’adresse de ses lettres, mais discrètement, sans inconvénient, dans la pénombre, la main fermée, comme Fontenelle, sur la dangereuse vérité, — les athées Tartufes ont admiré ce gouvernement sur soi-même, cette domination sur sa pensée. […] Pour deux ou trois explications qu’il donne à Eckermann sur le loisir de sa pose quand l’Allemagne, levée contre la France qui l’envahissait, était en feu, pour la plainte vulgaire que tout homme attaqué exhale contre ceux qui l’attaquent, M. 

2226. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gobineau » pp. 67-82

Il croyait qu’un livre trouve toujours sa place, dans un temps donné, sans qu’on prenne tant de peine pour la lui faire, et que — sans être un Moïse et la Critique une fille de Pharaon pour le ramasser — le livre, exposé sur le fleuve de la publicité, aborde toujours là où il devait aborder. […] Mais quand on voit si clair, mais quand on représente si clair en Histoire, on a donné son opinion sans l’exprimer, et on la voit à travers cette clarté. […] Après toute une vie de voyages, d’affaires et d’études et de travaux dont j’ai signalé plus haut quelques-uns, le comte de Gobineau, qui vient de nous donner ce kaléidoscope lumineux et harmonieux de La Renaissance, lequel ne doit rien au hasard, comme les autres kaléidoscopes, de ses éblouissantes combinaisons, était capable de nous donner bien d’autres livres encore, et sans la mort, qui est venue, soyez sûr qu’il nous les aurait donnés !

2227. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Au lieu de nous donner une Vie à la manière sobre et étreignante de Tacite, l’abbé Maynard a mieux aimé nous verser sur les pieds tout un sac de procédure : Que de sacs ! […] certainement, on savait cela avant que l’abbé Maynard se donnât tant de peine pour le prouver, et, d’un autre côté, on ne l’aurait pas su, qu’il fallait nous l’apprendre avec moins de pesanteur, de traîneries, d’épluchettes, et c’était aisé, — et il y aurait eu dans cette biographie plus de noblesse et peut-être plus de clarté ! […] Si on le donne, nous le prendrons. […] Un jour, Armand Marrast, un polémiste d’un autre genre, mais qui se connaissait en polémistes, donna à Crétineau un petit sanglier d’or sculpté, comme son symbole, et il fut flatté, tout sanglier qu’il fût, de cette caresse de vérité, de cette main passée sur ses soies. […] Il était plus gai, en effet, dans l’habitude de la vie, que Granier de Cassagnac, qui ne l’est, lui, qu’en faisant ses articles, et qui y rit si bien des atouts qu’il y donne, ce Gascon ferré d’un Gaulois !

2228. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

Trop facile à donner, si nous examinions l’intégralité des écrits de Donoso Cortès, cette preuve ne brille que mieux en ces œuvres partielles, réunies par ces deux sœurs pieuses, l’Admiration et l’Amitié. […] Le catholicisme, cette source sublime d’inspiration, a donné à Donoso Cortès une assez belle forme pour qu’il ne puisse la dédaigner sans affectation ou sans injustice, et il ne la lui a donnée qu’à la condition d’élever, d’épurer, de grandir toutes les forces de sa pensée, car la pensée et la forme ne se séparent pas. […] Turbulences dans un temps turbulent, cris éloquents poussés sous la pression des circonstances, les autres écrits de Donoso Cortès, discours, articles de journaux ou lettres, ne sont pas des livres, à proprement parler, et dont la Critique puisse donner l’anatomie. […] Les événements lui donnent dans les yeux de leur impalpable cendre de chaque jour et font ciller ses mélancoliques paupières, qui n’ont pas l’immobilité de celles de l’aigle… Lorsqu’ailleurs, je crois, sur cette immense et noire tenture de mort dans laquelle il voit l’Europe enveloppée (et qui l’est… peut-être), il se mêle de découper de petites prophéties spéciales, il ne réussit pas.

2229. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

ce qui doit donner grande confiance dans le bien que je dirai de Caro et de son livre. […] ce qui me plaît suprêmement dans le livre de Caro, ce qui lui donne une portée que je veux mesurer, c’est que son auteur n’y est pas expressément catholique une seule fois. […] Mais, pour notre part, nous remercions très fort Caro de ce verre d’eau, limpide et frais, qu’il nous donne, et dont nous avions un cruel besoin après ces effroyables boissons que nous avons, tout ce temps, été obligés d’absorber, et qui nous ont été versées par tant d’empoisonneurs contemporains ! […] C’est surtout avec Renan, bien plus qu’avec Taine, qui est le Démocrite de l’athéisme, et Vacherot, qui en est le Zénon, gens très nets et qui dispenseraient volontiers Caro de politesse, que Caro s’est livré à ces tours de force d’amabilité dont je ne parle tant que parce qu’ils donnent un caractère nouveau et presque plaisant à un livre grave, et que ce caractère restera à ce livre sans l’amoindrir. […] Il a beau mettre des applications de charité tardive et de baume samaritain sur les blessures qu’il ne craint pas de faire à la vanité sophistique, il ne les y met que parce qu’il a donné ce coup de pointe inconnu à Caro, qui reste l’accent grave, quand sa politesse n’en fait pas l’accent circonflexe.

2230. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Ces Poètes, qui, du reste, se nomment eux-mêmes des artistes, et qui ont réellement plus d’art dans leur manière que de génie et d’inspiration, travaillent leur langue comme un sculpteur travaille son vase, comme un peintre lèche son tableau, et nous donnent au xixe  siècle une seconde édition affaiblie de la Renaissance qui, elle aussi, avec le large bec, ouvert et niais, d’un Matérialisme affamé, happait la forme et s’imaginait tenir le fond, l’âme et la vie ! […] Sous les mille arabesques du style, comme on dit maintenant et dont tant de gens sont capables avec de la bonne volonté, il y a dans le livre de M. de Beauvoir, comme au fond de la volute d’un coquillage, la perle, rayée ou malade, si l’on veut, mais la perle de la poésie, la goutte d’éther ou de lumière qui est peut-être une larme, teintée de rose par le sang de quelque souffrance, et qui est plus pour l’âme humaine que toute cette inerte poésie de camaïeu et de dessus de porte qu’on a déplacée et qu’on donne aujourd’hui pour des vers ! […] Lui, le byronien des anciens jours, n’a gardé de son byronisme que les nuances humaines qui appartiennent à toutes les âmes, car Byron, dont l’admiration a fait une manière, et à qui l’affectation en avait donné une, n’est plus qu’humain dans la partie vraiment supérieure de ses œuvres, dans la partie qui ne croulera pas. […] Roger de Beauvoir pour donner une idée complète de ce talent simplifié et sorti, au moment où l’on y pensait le moins, de la fontaine de Jouvence que le Temps fait filtrer dans la pensée de tout poète digne de ce nom, nous indiquerons comme étant les plus remarquables et les plus beaux du recueil les morceaux suivants : La Colombe, Dolor, Les Morts qui vivent (superbe pensée !) […] Le christianisme ému et qui s’abat tant de fois dans son livre sur la pensée du poète devenue plus sérieuse et plus triste, et qui a été flagellé aussi comme le Sauveur, pourrait donner à M. de Beauvoir ce qui lui manque encore, ce christianisme plus écouté, plus accepté, plus appelé surtout !

2231. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

et lui aussi, qui n’imite pas Henri Heine, et c’est là le plus bel éloge que l’on puisse donner à un humouriste à l’heure qu’il est ! […] Et pourtant il y en a une autre qui sera tout à l’heure la vraie voix d’Arthur de Gravillon, et dont ici il n’a donné qu’une note, quand, esprit poétique qui a tout vu de la poésie que ce type de dévotes cachait, il a fait sa spirituelle réserve : « On dit les dévotes comme on dit les champignons, et l’on ne songe souvent point que, parmi tous ces poisons, il y a d’excellents champignons et de vénérables dévotes », et qu’alors il nous a écrit cette délicieuse page attendrie sur la piété des femmes vraiment pieuses, pour nous prouver qu’il pourrait faire des portraits exquis et reposés de dévotes adorables, et que c’est là sa vocation En effet, la colère n’a duré qu’un moment, elle est évaporée maintenant dans cet Hogarth de colère ! […] On goûtera et on épuisera une à une toutes ces raisons qu’une sensibilité poétique s’y donne pour n’avoir plus horreur de la mort. […] L’Église seule sait juste ce qu’il faut donner d’amour et d’horreur à la mort. […] Montrer toutes les plumes d’un oiseau, les unes après les autres, ne donne pas l’idée de son plumage : il faut les voir, quand il s’envole, réunies sur ses ailes ouvertes, ces aquettes de la lumière qui sont faites pour la renvoyer !

2232. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

III Le climat de l’Italie, pour méridional qu’il soit, n’est pas celui de l’Espagne, et la fermentation du comique n’y donne pas les mêmes résultats. […] Les tableaux de Bassan qui représentent le carnaval de Venise nous en donnent une juste idée. […] Tout le monde a de l’esprit, chacun devient artiste comique ; Marseille et Bordeaux pourraient peut-être nous donner des échantillons de ces tempéraments. — Il faut voir, dans la Princesse Brambilla, comme Hoffmann a bien compris le caractère italien, et comme les artistes allemands qui boivent au café Greco en parlent délicatement. […] Au total, c’est un artiste français, c’est Callot qui, par la concentration d’esprit et la fermeté de volonté propres à notre pays, a donné à ce genre de comique sa plus belle expression. […] La collection de toutes ces pièces répand une contagion ; les cocasseries de Brueghel le Drôle donnent le vertige.

2233. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

répondez-lui toutes, notre nom : C’est un homme aveugle ; il a pour patrie l’île montagneuse de Chio ; tous ses chants seront les premiers dans l’avenir ; et nous porterons sa gloire sur la terre, partout où nous rente contrerons des villes habitées. » Ce langage, consacré dans des vers antérieurs à Thucydide, était-il, non le signalement du poëte, donné par lui-même, mais une fiction sur l’origine des chants populaires déjà répandus dans la Grèce ? […] C’est de toi qu’il dépend de donner et de conserver la vie aux périssables humains. […] Mais à des maux extrêmes, ô ami, les dieux ont donné pour remède la ferme hardiesse de l’âme. […] « La rage, dit Horace, l’arma de l’ïambe qu’il avait forgé. » Sa fureur de calomnie donnait la mort ; et la poésie ancienne est remplie d’allusions au suicide de Lycambe et de sa fille, qui avaient osé le refuser pour gendre et pour époux. […] Il donna par sa verve et par ses vices, par la pureté de son art et la licence de son génie le premier exemple de ce que serait un jour la comédie d’Aristophane, dans la démocratie d’Athènes.

2234. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Nous ne donnons pas cela comme une qualité, mais comme une infériorité du génie poétique d’Horace. […] Didot pour achever l’illustration d’Horace dont il donne en ce moment une édition elzévirienne avec des paysages gravés dignes de Claude Lorrain. […] La terre elle-même frémit des monstres qu’elle a portés, etc., etc. » Qui ne reconnaît dans cette allusion aux conseils de douceur donnés à César par les Muses les conseils de clémence qu’Horace lui-même donnait à Auguste en faveur des vaincus de la république ? […] La source qui l’arrose a la gloire de donner son nom à un ruisseau dont l’Hèbre aux champs de la Thrace envierait la fraîcheur et la pureté ! […] Souvent même il donnait à son poète favori le sujet des odes, des satires, des épîtres qu’Horace lui rapportait après les avoir composées à loisir.

2235. (1914) Boulevard et coulisses

Donnons-lui son vrai nom, le nom qu’il portait en 1880 : le Boulevard. […] À un moment donné, Chabrillat voulait traverser les lignes et suivre de près les opérations. […] Je ne vous donne pas un rapport entre le Chat Noir et Claude Bernard comme absolument nécessaire. […] Car on est toujours tenté de donner la préférence à celui-ci, et c’est une assez fâcheuse attitude. […] Ils prennent ce qu’on leur donne.

2236. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Elle ne nous est donnée que pour nous conduire, & ne leur a servi que pour les égarer. […] Il faut l’avouer, si l’envie de plaire aux femmes, donne presque toujours atteinte à l’innocence des mœurs, elle inspire du moins la politesse & l’urbanité. […] Nous devons donc consulter ceux, qui peuvent nous donner le plus de lumières analogues à ce sens intellectuel qui agit en nous. […] Au moyen de la foible nourriture qu’on lui donne, il ne prend qu’une consistance factice. […] Le prix, l’excellence & la bonté de ses productions, dépendent toujours de la semence qu’on a déposée dans son sein, & des soins qu’on lui donne.

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