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362. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Carrel dit quelque chose d’approchant de la seconde réalité, essentielle encore, selon lui, à toute constitution politique qui dérive de la Révolution bien comprise : ce second pouvoir, c’est une certaine aristocratie, qui tient de l’ancienne noblesse et qui se rapporte assez exactement à la classe des grands propriétaires : « Nous la transformerons en pairie, dit-il, et nous vivrons bien désormais avec elle. » Cet article, un peu enveloppé à cause du but, est d’ailleurs plein de sens et fait bon marché des doctrines abstraites ou mystiques en sens inverse, tant de celle du droit divin que de celle des disciples de Rousseau : Que si, croyant nous pousser à bout, vous nous demandez où réside enfin suivant nous la souveraineté, nous vous répondrons que ce mot n’a plus de sens ; que l’idée qu’il exprime a disparu par la Révolution comme tant de choses ; que nous ne voyons nulle utilité à la vouloir ressusciter ; que le peuple n’a plus besoin d’être souverain et se moque d’être ou non la source des pouvoirs politiques, pourvu qu’il soit représenté, qu’il vote l’impôt, qu’il ait la liberté individuelle, la presse, etc. ; enfin le pouvoir d’arrêter une administration dangereuse en lui refusant les subsides, c’est-à-dire l’existence même. […] L’impression de cela est difficile à définir peut-être, mais c’est par elle que les merveilles du plus imposant et du plus désastreux des arts arrachent l’admiration du monde jusque dans les souffrances que la guerre cause. […] Les ordonnances du 26 juillet éclatent, et Carrel, ce jour-là, écrit les quarante lignes de protestation par lesquelles il déclare qu’il n’y a plus qu’une voie de salut offerte à la France, c’est de refuser l’impôt : « C’est aux contribuables maintenant à sauver la cause des lois. […] Carrel n’approuvait pas cette manifestation ; il en donne les raisons en homme mûr : « L’ordre n’a peut-être rien à en craindre, comme cela a paru aujourd’hui, dit-il ; mais, pour qu’une chose soit raisonnable, il ne suffit pas qu’elle ne soit point dangereuse. » Il parle de cette démonstration de jeunes gens (dont nous étions nous-même) avec cette autorité qu’a un homme qui a risqué sa tête et qui apprécie son passé : Bien souvent, dit-il, entre hommes de bonne foi et qui avions couru comme eux la chance de porter nos têtes en place de Grève, nous nous sommes entretenus d’eux depuis huit ans, et, si nos souvenirs ne nous trompent point, c’était bien plutôt pour déplorer leur inutile trépas, que pour en glorifier notre cause. […] Généreux envers les vaincus, envers les captifs, tenant compte à M. de Peyronnet lui-même de son maintien dans tout le cours des débats, de s’être montré habile, ferme, et « d’avoir laissé apercevoir parfois, sous les formes de l’urbanité la plus recherchée, le cœur indompté qui ne pardonne point sa défaite », il s’irrite contre les victorieux, et prenant fait et cause pour le général La Fayette destitué par la Chambre, il s’écrie, en tirant l’épée hors du fourreau (25 décembre 1830) : La Fayette était au-dessus de toute récompense, cela est vrai ; mais on le croyait aussi au-dessus des indignités d’un Parlement-croupion.

363. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Je crois que cet appétit de la solitude mentale et du plaisir jalousement individuel, — ce mode d’embrasser la vie qui consiste à la savourer avec art et toute entière en soi-même, — peut facilement se ramener à une cause unique. […] Mais si des causes multiples peuvent y conduire, nulle raison ne peut la justifier, si ce n’est la maladie, l’emprisonnement, la vie déserte, ou quelque autre motif de cet ordre majeur. […] L’usage des plus simples actions lui cause une perpétuelle horreur, qui se manifeste tantôt par un trouble éperdu et sans cesse croissant, tantôt par de stupéfiantes maladresses, qui provoqueraient l’hilarité du plus petit portefaix dans la rue ; soit par des accidents bizarres que le manque d’audace de la victime empêche seul d’être funestes ; soit encore par un balbutiement qui appelle à son secours les plus précieuses et les plus subtiles finesses du dialogue esthétique, mais qui ne parvient pas à trouver les plus simples mots du langage de tous ; soit enfin par une ignorance, aristocratique mais absolue, des diverses et primaires méthodes par lesquelles un animal des premiers degrés de la création ose instinctivement jouir de la vie. […] Panizza, avec beaucoup de science et de finesse, entreprit de me démontrer qu’en croyant prendre le parti des « réalistes » contre les « rêveurs », j’avais moi-même absolument faussé la réalité, et que la stérilisation sensuelle pouvait être et était réellement pour l’individu la cause même de sa fécondité cérébrale21.‌ […] Voici de quelle façon ce docteur de l’infécondité appelle l’attention du public sur son œuvre : « Depuis plus de cinq mille ans, l’humanité cherche en vain la solution des grands problèmes de l’univers, le problème de l’existence d’un dieu personnel, celui de la survivance de l’âme après la mort, celui des causes de la souffrance qui est dans le monde, et de ses remèdes etc.

364. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Les premiers hommes de l’État qui devaient un jour commander les armées et gouverner les provinces, étaient à Rome les orateurs qui plaidaient les causes, et défendaient les citoyens.  […] Souvent les causes étaient mêlées à des affaires d’état ; souvent il s’agissait de juger des hommes qui avaient gouverné une partie du monde : des députés de l’Afrique et de l’Asie sollicitaient au nom de l’univers. […] Parmi nous tout est différent ; point de ces causes qui tiennent aux affaires d’état ; point même de ces grandes causes criminelles où un orateur puisse sauver la vie d’un citoyen. […] Parmi les causes ordinaires, plusieurs par l’embarras de nos procédures, ne dépendent que des formes ; plusieurs par le vice de nos lois qui se combattent, se réduisent souvent à une discussion sèche de lois qu’il faut éclaircir : l’étude même de tant de législations opposées, consume parmi nous la vie d’un orateur.

365. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Parmi les contemporains de La Fayette, parmi ceux qui furent des premiers avec lui sur la brèche à l’assaut de l’ancien régime, combien peu continuèrent de croire à leur cause ! […] Après sept semaines de hasards dans la traversée, il aborde l’immense continent, et, en sentant le sol américain, son premier mot est un serment de vaincre ou de périr avec cette cause. […] « Il est assez remarquable que ce puissant génie, maître de tant d’États, n’ait été pour rien dans les causes premières de leur rénovation. […] La cause du peuple ne m’est pas moins sacrée ; je donnerais mon sang goutte à goutte pour elle ; je me reprocherais chaque instant de ma vie qui ne serait pas uniquement dévoué à cette cause ; mais le charme est détruit… » Et plus loin il parle encore de l’injustice du peuple, qui, sans diminuer son dévouement à cette cause, a détruit pour lui cette délicieuse sensation du sourire de la multitude. […] La Rochefoucauld, qui analysait si bien toutes les causes et les intentions, avait toujours eu dans l’action un je ne sais quoi, comme dit Retz, qui lui avait fait échec.

366. (1904) Zangwill pp. 7-90

« La sensation cesse avec l’organe qui la produit, l’effet disparaît avec la cause. […] Oui certes ; mais le mouvement a une cause et un but. La cause c’est l’idéal ; le but, c’est la conscience. […] Aussi plus elle est grande, plus ses causes sont grandes ; la hauteur de l’arbre indique la profondeur des racines. […] Car il est à la fois philosophe et peintre, et il ne nous montre jamais les causes générales sans les petits faits sensibles qui les manifestent, ni les petits faits sensibles sans les causes générales qui les ont produits.

367. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

. — Nous situons notre sensation à l’endroit où nous avons coutume de rencontrer sa condition ou cause ordinaire. […] Quelle que soit sa cause, sitôt qu’elle naît, la couleur naît et, en même temps, ce que nous appelons la figure visible. […] Cette loi pose qu’une sensation nous paraît située à l’endroit où nous avons coutume de rencontrer sa cause ou condition ordinaire, et cet endroit est celui où le toucher explorateur peut, en agissant, interrompre ou modifier la sensation commencée. […] Même raisonnement à l’endroit des sensations auditives. — Maintenant, si ces deux sortes de sensations ont ce privilège singulier, c’est que, par un privilège particulier, à chaque variation dans la situation de leur cause lointaine correspond chez elles une variation précise. […] Cette cause ou condition peut manquer, puisque sa présence n’est qu’ordinaire ; en tout cas, qu’elle soit présente ou absente, le jugement localisateur est une illusion, puisque nous situons toujours la sensation où elle n’est pas.

368. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Chercher la cause et la raison des choses, trouver leurs lois, le tente, et là où d’autres passent avec indifférence ou se laissent bercer dans la contemplation par le sentiment, il est poussé à voir au-delà et il pénètre. […] La chimie lui plaisait surtout : elle était, de toutes les parties de la physique, celle qui l’invitait le plus naturellement, comme plus voisine des causes. […] Cette difficulté tenait sans doute à la connaissance originelle de l’idée de cause et à la distinction du moi d’avec le monde extérieur. […] Le caractère, estimable ou non, mais doué de conduite et de persistance même intéressée, quand il se joint à un génie incontestable, les frappe et a gain de cause en définitive dans leur appréciation. […] On aperçoit des relations entre les premiers par la comparaison, entre les seconds par l’observation des effets que produisent les causes.

369. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

À cet âge nos amitiés font nos opinions ; il ne faut pas s’étonner si Horace, dans la société du fils de Cicéron, de Bibulus et de Messala, s’attacha bientôt après à la cause de Brutus et de Cassius, contre la tyrannie du dictateur de Rome. […] Il y distingua ce fils d’affranchi déjà célèbre par son talent poétique, il l’enflamma aisément pour sa cause, qui était aux yeux d’Horace la cause même de la gloire, du patriotisme, de la philosophie, de la vertu stoïque. […] La veille de la bataille, ces deux chefs de l’émigration romaine se firent l’un à l’autre le serment de ne pas survivre à la défaite, si le sort des armes faisait défaut à la justice de leur cause. […] L’amnistie générale proclamée par Octave et Antoine le couvrit contre la vengeance des triumvirs ; il ne voulut pas, par honneur, servir leur cause dans leurs camps ni dans leurs charges civiles ; il renonça aux armes et rentra dans la vie privée, dédaigneux de gloire, affamé de plaisir, d’amour et de poésie. […] Il avait entièrement oublié Brutus, Caton, Cicéron : la liberté orageuse ne valait pas, selon lui, la peine qu’on la pleurât ; d’ailleurs les hommes pouvaient bien trahir la cause trahie par les dieux.

370. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Ainsi, par exemple, cette opération de l’esprit par laquelle l’intelligence se dit : « Il n’y a pas d’effet sans cause, et, puisque j’aperçois une multitude d’effets, il y a donc une cause suprême ; c’est-à-dire il y a donc un Dieu !  […] Aussi était-il déjà cité devant les juges pour cause d’impiété envers les dieux d’Athènes. […] La cause de ce grand homme, en effet, n’était ni la cause de la populace, ni la cause des grands : c’était la cause de Dieu et de la raison. […] « Et déjà le coucher du soleil approchait, car il était resté longtemps enfermé avec les femmes et les enfants ; en rentrant, il s’assit sur son lit, et il n’eut pas le temps de nous parler beaucoup, car le geôlier entra presque en même temps, et, s’approchant de lui : « — Socrate, dit-il, j’espère que je n’aurai pas à te faire le même reproche qu’aux autres : dès que je viens les avertir, par ordre des magistrats, qu’il faut boire le poison, ils s’emportent contre moi et ils me maudissent ; mais pour toi, depuis que tu es ici, je t’ai toujours trouvé le plus courageux, le plus doux et le meilleur de ceux qui sont jamais venus dans cette prison, et en ce moment je suis bien sûr que tu n’es pas fâché contre moi, mais contre ceux qui sont cause de ton malheur… » Et en même temps il fondit en larmes en détournant son visage, et il se retira. » Socrate, le regardant, lui dit : « — Et toi aussi, reçois mes adieux ; je ferai comme tu as dit.

371. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Détrôné pour cause de papauté, est un axiome de droit public qui n’a pas encore été admis sur la terre. […] On l’attribua, — je ne veux pas affirmer avec certitude que telle en fut la cause, — à la brutale férocité d’un religieux, surveillant de la division (prefetto della camerata) où nous nous trouvions. […] La Curie se disait contente de mes services, et personne plus que moi n’était rapporteur d’autant de causes. […] « Quoique toujours dans les transes à cause du périlleux séjour à Rome de mon cher frère, à qui il n’était plus permis d’en sortir, je restai tranquillement à Venise, où l’on ne tarda pas à recevoir la nouvelle de la mort du Pape. […] « Plus l’entreprise de couronner Chiaramonti semblait ardue à cause des obstacles extrinsèques, plus aussi cette difficulté flattait son amour-propre.

372. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

C’était une guerre civile intentée à la mère patrie, pour une cause purement vénale ; cela n’était ni juste ni noble ; cela ne pouvait produire que beaucoup de mal aux Anglais et beaucoup d’ingratitude pour la France. […] Aujourd’hui que nous avons à parler à propos d’Audubon de la cause américaine, nous le faisons en tremblant, car nous craindrions également ou d’être injuste envers un grand peuple naissant dans l’Amérique du Nord, ou d’être injuste envers l’autre moitié de ce peuple qui soutient une mauvaise cause dans l’Amérique du Sud. […] N’est-ce pas vous dire assez que la cause des noirs n’est que le prétexte de la guerre au Sud, mais que le vrai motif est la ruine jalouse du Sud dont le capital noir, la culture du coton, la marine entière et le commerce prospère excitent la jalousie meurtrière de ce peuple du nivellement ? […] Tout-à-coup l’Indien se lève, passe devant moi, se promène dans la hutte : je crois que sa douleur devenue insupportable cause cette agitation qu’il laisse paraître. […] Puis tout à coup, je ne sais pourquoi, sans aucune cause apparente, ils cessaient de mordre, et il n’y avait ni précaution ni appât qui pût les engager, non plus qu’aucun autre du même trou, à reprendre à l’hameçon.

373. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

On en peut dire autant des suivants : Emu, je ne sais rien de la cause émouvante. […] J’ai voulu tout aimer et je suis malheureux, Car j’ai de mes tourments multiplié les causes. […] Ses caprices n’ont point de but et point de cause. […] Les causes et les lois te tiennent prisonnier, Les causes et les lois, c’est ce qu’il faut nier, Si tu ne veux pas croire en Dieu, …. […] Je poursuivais le monstre sans me laisser effrayer ni attendrir, et c’est ainsi que je l’ai frappé jusque dans ses avatars les plus subtils ou les plus séduisants, j’entends le concept de cause, la foi dans une loi, l’apothéose de la science, la religion du progrès. » Honte aussi à ces « faux matérialistes qui honorent la vertu ! 

374. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Les autres qualités, les mérites plus politiques qui auraient pu se révéler à mesure qu’il aurait avancé dans son histoire (car il avait en lui, selon la remarque de Quintilien, bien des perfections diverses), ces mérites de spectateur et de peintre, capable pourtant de saisir les effets et les causes de grandeur ou de décadence, ne les lui supposons pas sans preuve, mais ne les lui dénions pas. […] Taine est hors de cause ; mais seulement, quand on voit un homme aussi respectable que M.  […] Il vaudrait mieux peut-être ne pas s’en rendre compte et se faire illusion sur son prix ; mais si je suis amené, par ce sentiment même de ma décadence intellectuelle et morale, à chercher plus haut que moi une consolation et un appui, la réflexion et la raison m’auront rendu sans doute, après avoir été cause de souffrances, le plus grand service qu’il soit possible d’en retirer. Sa grande préoccupation fut toujours de trouver, d’atteindre le point d’appui intérieur, et là où d’autres ne voyaient qu’un fait, une modification ou tout au plus un centre de gravité instable et mobile, de sentir, lui, un centre fixe, un point essentiel, indivisible, indestructible, animé, une cause vive, une monade, une âme.

375. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Albert Blanc, dans laquelle le savant docteur en droit de l’université de Turin intervient d’un bout à l’autre avec ses formules pour expliquer Joseph de Maistre, pour le transformer et l’approprier à sa cause, mériterait un examen plus impartial et plus sévère que celui qu’elle a généralement obtenu. […] Mais tout cela était bien loin en 1811 ; de Maistre était redevenu irréconciliable, et, à le prendre pour tel, rien ne saurait être plus intéressant que de saisir ses vues, ses impressions de chaque jour dans la terrible partie qui se joue sous ses yeux et où lui-même est en cause. « Depuis vingt ans, dit-il, j’ai assisté aux funérailles de plusieurs souverainetés ; rien ne m’a frappé comme ce que je vois dans ce moment, car je n’ai jamais vu trembler rien de si grand. » On tremblait, en effet, à l’heure où il écrivait cela, on faisait ses paquets là où était de Maistre, et la joie bientôt, et l’ivresse fut en raison de cette première crainte. […] Au lieu d’expliquer les événements de l’histoire par les causes secondes, naturelles, par le rapport exact des faits, et même quand il a cette explication sous la main, il passe outre, il veut quelque chose au-delà ; il s’y complaît. […] Mais il y a une autre langue sévère et laconique qui atteint la racine des choses, les causes, les motifs secrets, les effets présumables, les tours de passe-passe et les vues souterraines de l’intérêt particulier ; cette langue-là a bien aussi son prix.

376. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Ainsi donc les mêmes causes qui faisaient renaître les lettres en Italie, s’opposaient au développement de la raison naturelle. […] Après avoir affirmé que c’est dans les sciences seulement, que l’Italie a marché progressivement, et fourni son tribut aux lumières du genre humain, examinons dans chaque branche de l’entendement humain, dans la philosophie, dans l’éloquence et dans la poésie, les causes des succès et des défauts de la littérature italienne. […] Le genre romanesque s’est introduit par deux causes distinctes dans le Nord et dans le Midi. […] L’italien cause souvent une sorte de lassitude de la pensée ; il faut plus d’efforts pour la saisir à travers ces sons voluptueux que dans les idiomes distincts, qui ne détournent point l’esprit d’une attention abstraite.

377. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

« Tel est le fertile rejeton d’un olivier, qu’un homme nourrit dans un champ solitaire, où jaillit une eau abondante, beau, verdoyant, que balancent les souffles de tous les vents, et qui se couvre de fleurs blanches. »207 Ainsi, le poëte n’observe la cause primitive que, dans ses effets dérivés, la loi unique que dans son action multiple, la force intime que dans sa vie extérieure. […] Il voudra toujours, sous les apparences variées, démêler l’être unique, et ne donnera les détails dérivés que pour faire comprendre la cause primitive. […] Cette fable qui répète la nature et que gouverne la logique, où l’unité de la cause ordonne la variété des effets, où la variété des effets anime l’unité de la cause, qui intéresse comme un être vivant et qui instruit comme un raisonnement, est la fable de La Fontaine.

378. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Ce qui tua l’éloquence, ce lut le triomphe de la cause que ces deux hommes éloquents servaient : ce fut le triomphe de la royauté. […] Mais il faut donner une mention à Estienne Pasquier, parce qu’il eut un jour à plaider une grande cause : en 1565, il soutint la requête de l’Université de Paris, qui contestait aux Jésuites le droit d’enseigner222. […] Ce procès de l’Université et des Jésuites est l’affaire capitale du siècle : trente ans après que Pasquier n’avait pu empêcher le Parlement d’appointer la cause et de laisser les Jésuites en possession indéfiniment provisoire, l’Université, au lendemain de l’entrée du roi à Paris (1594), tenta un nouvel effort : l’avocat Arnauld se fit l’interprète de ses revendications et de ses jalousies : il parla avec plus d’emportement, de grossièreté même, mais plus de lourdeur et d’emphase que Pasquier. […] Mais il dut son succès précisément à ce qu’il vint à son heure, lorsque tout le monde était disposé à le goûter, à ce qu’il exprimait des idées qu’il commençait à être inconvenant de ne pas partager : il plaidait une cause gagnée, mais si récemment gagnée qu’un plaidoyer ne semblait pas encore superflu.

379. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il n’est pas cause des œuvres contemporaines de son œuvre : il est très peu cause (cause directe, bien entendu) des œuvres qui ont paru après son œuvre. […] Arnauld reconnaît chez Descartes un dessein « de soutenir la cause de Dieu contre les libertins », et il écrit avec Nicole la Logique de Port-Royal.

380. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

On sait avec quelle vigueur il a plaidé la cause des rois contre les papes, dans son Traité de la monarchie, et même dans ses poëmes. […] Voilà une des causes de son obscurité. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme.

381. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Enfin, pour compliquer le péril de cette situation précaire, elle avait pour voisine en Angleterre une reine rivale, Élisabeth, qu’elle avait offensée d’abord en revendiquant son titre, qu’elle n’offensait pas moins par une supériorité féminine et bruyante de beauté et de grâce, une reine capable, énergique, rigide et dissimulée, représentant l’opinion religieuse contraire, et entourée de conseillers habiles, constants et pleins de suite, compromis dans la même cause. […] Ne concevez donc point de moi aucune sinistre opinion, puisque vous-même êtes cause de cela : car je ne le ferais jamais contre lui pour ma vengeance particulière. […] Sa cause s’agrandit et se transforme. […] Captive, ne l’accusez pas de conspirer contre Élisabeth ; car, dans ses idées de droit divin et de royauté absolue, de souveraine à souveraine, l’une des deux fût-elle prisonnière de l’autre, ce n’est pas conspirer que de chercher le triomphe de sa cause, c’est simplement poursuivre la guerre.

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