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954. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Chez Massillon, cette allure naturelle n’avait aucun caractère de sévérité, mais plutôt un air d’effusion et d’abondance comme d’une fontaine coulant sur une pente très douce et dont les eaux amoncelées se poussent de leur propre poids. […] Massillon avait dans le talent une puissance d’onction plus forte, si je puis dire, que son caractère. […] Il a pourtant d’agréables et justes passages, comme celui-ci par exemple, qui peint Louis XIV dans son caractère de familiarité grave et de haute affabilité : De ce fonds de sagesse sortait la majesté répandue sur sa personne : la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité et les bienséances de la dignité royale ; jamais roi ne sut mieux soutenir que lui le caractère majestueux de la souveraineté.

955. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Son caractère n’était pas formé tout d’une chaîne, ou du moins dans cette chaîne il y avait un anneau peut-être d’un meilleur métal et plus pur que le reste : mais précisément c’était cet anneau qui rompait. […] Lassay nous fait bien connaître le caractère des généraux, les tâtonnements et les fautes, les qualités et les différences de tactique des deux armées ; enfin son récit a de la netteté et montre du jugement. […] aurait-il sauvé ses défauts, et son caractère eût-il été fixé par son cœur ? […] [NdA] Ce mécontentement de Louis XIV ne venait pas précisément de ce que Lassay avait épousé Marianne, puisqu’on voit que le roi lui-même, qui appréciait son caractère et la conduite qu’elle avait tenue, parla au père de Lassay pour lui faire accepter ce mariage ; il entretint plusieurs fois assez familièrement Marianne depuis qu’elle était marquise de Lassay et lui demanda même un jour si elle lui avait pardonné de l’avoir empêchée d’être duchesse de Lorraine.

956. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il excelle à rendre cette couleur presque indescriptible des hauts lieux, ces rayons d’un soleil sans nuages, mais sans ardeur ; ces caractères des glaciers que l’œil exercé distingue de loin et que l’amant des hauteurs désire, cette teinte bleuâtre, cette coupure nette, ces fentes à vive arête qui le réjouissent, et de près, lorsqu’on y marche, lorsque le bâton et les crampons n’y mordent qu’à peine, « la couleur de ce bleu de ciel qui est l’ombre des glaciers ». […] Si l’Assemblée législative n’avait pas été une législature terne et sans caractère, dominée de toutes parts et commandée par les clubs, vouée d’avance à l’impuissance et à la défaite, et ne devant paraître de loin que comme écrasée entre la Constituante et la Convention, si elle avait immortalisé quelqu’un des talents qui remplirent son cadre, le nom de Ramond serait plus connu historiquement. […] En 1800, Ramond rentra dans la vie politique : nommé au Corps législatif pour y représenter le département des Hautes-Pyrénées, il y prit la place qui était due à son caractère et à ses talents, et fut vice-président de cette assemblée. […] [NdA] On assure même que ce caractère remarquable de sa conversation ne nuisit point à sa nomination de préfet en 1806 ; que le chef de l’État l’aima mieux en Auvergne bon administrateur et attaché par ses fonctions que témoin plus proche et libre causeur à Paris.

957. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Aujourd’hui on est rentré dans une voie plus large ; l’abondance des faits recueillis a remis chaque portion du caractère dans son vrai jour ; l’anecdote n’y est plus supprimée par l’histoire et ne la prime pas non plus. […] Quand je me souviens de Henri IV, et pour me le résumer à moi-même au juste, sans pencher ni du côté de la tradition factice et arrangée, ni du côté de l’anecdote maligne et injurieuse à l’histoire, je tiens à me rappeler trois ou quatre points essentiels qui me le déterminent, en quelque sorte, dans les grandes lignes de sa nature morale et de son caractère politique. […] » Le roi, secouant la tête, lui répondit : « C’est un peuple : si mon plus grand ennemi était là où je suis, et qu’il le vît passer, il lui en ferait autant qu’à moi, et crierait encore plus haut qu’il ne fait. » Cromwell ne dirait pas mieux ; mais, comme le caractère d’un chacun imprime aux mêmes pensées une diverse empreinte, Henri IV ne laissait pas de rester, à travers cela, indulgent et bon, et, qui plus est, de gausser l’instant d’après comme de coutume. […] Jung a très bien saisi ce caractère du talent de Henri IV, si l’on peut ainsi parler, et ce mélange de saillie spirituelle, d’imagination rapide et de cœur. « Pour moi, écrit Henri à la reine Élisabeth (15 novembre 1597), je ne me lasserai jamais de combattre pour une si juste cause qu’est la nôtre ; je suis né et élevé dedans les travaux et périls de la guerre : là aussi se cueille la gloire, vraie pâture de toute âme vraiment royale, comme la rose dedans les épines.

958. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Le sien a des caractères qui lui sont propres, entre les diverses relations qu’ont laissées les femmes échappées au glaive de la Terreur. […] Elle insiste un peu plus que M. de La Marck, et selon son rôle de femme, sur les qualités sociales du prince et son amabilité superficielle ; mais pour le fond, elle nous montre encore plus, elle nous fait encore mieux comprendre son peu de caractère et de consistance, et cette absence de tout ressort moral qui le laissait à la merci des factieux et des intrigants, dont les groupes se succédèrent, se relayèrent jusqu’à la fin autour de lui, sans pouvoir jamais l’associer à quelque plan suivi ni rien faire de lui en définitive, dans le plus fatal des instants, qu’un criminel par faiblesse. La vraie explication est là : prince faible, inappliqué, dissolu ; mortellement blessé dans son amour-propre, n’ayant que cette idée fixe de rancune (si même il l’eut), toutes les autres idées légères ; caractère mou et détrempé ; il put être conduit de concession en concession, de déchéance en déchéance, à toutes les hontes et jusqu’au crime. […] J’ai indiqué le côté historique de ce petit volume, ce qui sert à expliquer le caractère d’un prince que l’histoire ne peut éviter.

959. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Paris en a vu, depuis 1815, un certain nombre à caractère marqué et dont il se souvient. […] Elle s’attache à définir la résignation chrétienne dans les caractères qui lui sont propres, à la distinguer du fatalisme des Musulmans, du quiétisme des Hindous, à la suivre dans ses applications diverses et les plus délicates. […] Elle dut beaucoup prendre sur elle-même et assembler, comme elle dit, son caractère pièce par pièce (et non pas pierre par pierre, comme on l’a imprimé)33. Son énergie sa volonté et la destinée difficile qu’elle ne s’était point choisie tinrent longtemps ce caractère en forme et à la gêne, avant qu’il nous apparût tout fait, tout cimenté et dans sa pleine consistance.

960. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il faut tout dire, et je ne suis pas de ceux qui ne savent donner que des éloges sans ombre : à l’École et parmi ses condisciples, il était plus admiré pour ses talents et son esprit que goûté pour son caractère ; l’homme aimable, que le monde développa depuis, n’était pas fait encore. […] J’insiste parce que plus tard, devenu écrivain, ce même caractère en lui se retrouvera. […] Je passe à l’extrême opposé : ayant à parler de Chapelle, l’ami de Molière (18 mai 1855), il manque le caractère de l’homme et le rapporte à une famille d’esprits dont il n’était pas ; car ce Chapelle, qui avait assurément de l’esprit et du plus naturel, mais un franc ivrogne et un paresseux, lui paraît représenter une classe d’amateurs et de connaisseurs « d’un goût singulièrement fin, délicat, difficile, qui ont tout lu, qui savent toutes choses, etc. » Rien de moins exact et de moins justifiable. — C’est ainsi encore que, sur la foi d’un de ses maîtres, M.  […] J’avais dit, le jour où j’eus l’honneur de succéder à Delavigne pour le fauteuil académique, que je regrettais, dans ses drames, qu’au lieu d’aller de concessions en concessions du côté du romantisme sans y atteindre jamais, le poète ne fût pas resté plus franchement ce qu’il était par nature et par goût, — classique : et quand j’exprimais publiquement ce regret ce n’était pas du tout que moi-même je fusse devenu classique, ni que je me fusse converti (comme Rigault le prétendait en me raillant agréablement) ; mais j’aime ce qui a un caractère, j’aime l’originalité et l’individualité dans la poésie et dans l’art, cette individualité ne fût-elle pas précisément la mienne ni celle de mes amis.

961. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Aussi ces admirables Mémoires, qui jusqu’ici ont été envisagés surtout comme ruinant le prestige glorieux et la grandeur factice de Louis XIV, nous semblent-ils bien plutôt restituer à cette mémorable époque un caractère de grandeur et de puissance qu’on ne soupçonnait pas, et devoir la réhabiliter hautement dans l’opinion, par les endroits mêmes qui détruisent les préjugés d’une admiration superficielle. […] Mais La Fontaine, avec son caractère naturel d’oubliance et de paresse, s’accoutuma insensiblement à vivre comme s’il n’avait eu ni charge ni femme. […] La Fontaine lui rendit un caractère primitif d’expression vive et discrète ; il la débarrassa de tout ce qu’elle pouvait avoir contracté de banal ou de sensuel ; Platon, par ce côté, lui fut bon à quelque chose comme il l’avait été à Pétrarque ; et quand le poëte s’écrie dans une de ses fables délicieuses : Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ? […] La Fontaine manque un peu de souffle et de suite dans ses compositions ; il a, chemin faisant, des distractions fréquentes qui font fuir son style et dévier sa pensée ; ses vers délicieux, en découlant comme un ruisseau, sommeillent parfois, ou s’égarent et ne se tiennent plus ; mais cela même constitue une manière, et il en est de cette manière comme de toutes celles des hommes de génie : ce qui autre part serait indifférent ou mauvais, y devient un trait de caractère ou une grâce piquante.

962. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

. — 2. .Mirabeau : caractère, idées, éloquence. — 3. […] On peut rattacher encore à l’éloquence politique ce que l’on pourrait appeler l’éloquence administrative : les discours, les rapports, par lesquels des avocats généraux ou présidents de Parlement, des intendants, des ministres indiquent des abus, tracent des plans de gouvernement, s’associent selon le caractère de leurs emplois à la direction des affaires publiques. […] Car le véritable intérêt des monuments de l’éloquence révolutionnaire est dans le terrible drame dont on suit jour à jour pour ainsi dire les péripéties : drame national, où s’explique une des grandes crises qu’ait traversées notre pays, drame individuel, où des caractères énergiques défendent à chaque instant leur autorité, leur honneur, leur vie. […] En un mot, elle n’est pas du tout l’équivalent littéraire des caractères et des faits de la Révolution.

963. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

J’entends les vérités philosophiques sur les caractères et leurs contrastés, sur les passions et leurs combats, sur tout ce qui fait le fond de cette vie si énergiquement qualifiée par Buffon de vie contentieuse. […] Dans Gerson, la théologie se dégage de la philosophie, et tend à reprendre son caractère. […] Ils peuvent être grands par cette impatience et cette audace même, comme Abélard, ou quand ils y joignent les qualités du caractère et l’action, comme saint Bernard ; mais, comme écrivains de choses durables, il faut beaucoup rabattre de l’opinion qu’on en a. […] Tel est le caractère commun des chroniqueurs, à quelques lumières près qui ont apparu aux mieux doués.

964. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Buffon, traçant un portrait du caractère moral de la race nègre, avait dit : « Je ne puis écrire leur histoire sans m’attendrir sur leur état. […] « L’un a la colère noble, le courage magnanime, le naturel sensible ; il méprise les insultes ; il pardonne à de petits ennemis des libertés offensantes ; l’autre, trop long de corps, trop bas sur ses jambes, n’a que les caractères de la basse méchanceté et de la cruauté insatiable. » Une science plus exacte les a reconnus tous les deux également capables d’attachement et de reconnaissance. […] De là aussi ses vives peintures de leurs propriétés, qui sont à ses yeux comme des reflets confus du caractère de l’homme. […] Ailleurs, parlant des moyens de donner au style de la gravité, Buffon dit : « Si l’on y joint encore de la défiance pour son premier mouvement, du mépris pour tout ce qui n’est que brillant, et une répugnance constante pour l’équivoque et la plaisanterie, le style aura de la gravité. » La maxime n’est pas moins vraie du caractère que du style.

965. (1886) De la littérature comparée

Marc Monnier a signalé — après les avoir résolues — les difficultés d’un enseignement aussi vaste que celui de la littérature comparée : « Mener toutes les littératures de front, a-t-il dit ; montrer à chaque pas l’action des unes sur les autres ; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au-delà de telle frontière, mais partout à la fois, les mouvements de la pensée et de l’art, cela paraît ambitieux et difficile... » Il a pu ajouter : « On y arrive cependant, à force de vivre dans son sujet qui petit à petit se débrouille, s’allège, s’égaie... » Mais ce qu’il n’a pas dit, ce sont les rares qualités d’esprit qui lui ont permis d’accomplir un tel travail et de le perfectionner d’année en année : une érudition qui s’élargissait sans cesse ; un sens critique habile à choisir entre la masse des documents les plus propres à marquer la physionomie d’un homme ou d’une époque, ou à dégager les caractères essentiels d’une œuvre ; une intelligence si enjouée qu’elle a pu, pour conserver son expression, « égayer » cette grave étude de l’histoire littéraire, si alerte, que d’heureuses échappées dans tous les domaines, elle a su rapporter des œuvres également distinguées. […] S’il est vrai que l’art ait pour but de manifester les caractères saillants de ses objets, et que la qualité de l’art dépende de l’importance du caractère et de la convergence des effets, il faut s’incliner devant ces arts et cette littérature qui — les cathédrales aux fines ciselures comme les drames monstrueux, comme la peinture souffreteuse, comme la scolastique subtile et angoissée et comme les élans passionnés de la poésie mystique — traduisent si bien les aspirations de l’âme vers le monde surnaturel, les tortures de la raison aux prises avec les insolubles problèmes de la foi, le mépris du corps transitoire et la passion de l’infini. […] Ce retour à l’antiquité qui, du xvie  siècle à la fin du xviiie , marque l’orientation de la pensée moderne, n’a pas eu les mêmes caractères de force et de généralité dans les divers pays.

966. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Il oublie que la littérature finit où la pathologie commence, que l’analyse d’un caractère ne doit pas empiéter sur la dissection, qu’il est des types et des choses dont l’écrivain doit se garder, comme l’israélite du pourceau et comme le brame du paria : parce que ces choses et ces types ne sont ni de sa compétence ni de son ressort, qu’ils résistent à toutes les purifications de l’art et du style, et qu’il faut les renvoyer au lazaret dont ils dépendent, à la clinique qui les réclame et dont ils sont sujets exclusifs. […] Cette vertueuse tirade n’édifie guère sur le caractère de celui qui la lance, et M. de Cygneroi produit déjà sur nous un fâcheux effet. […] Il y a de l’or et de l’acier dans ce caractère énergique et pur. […] » A ce mot, la vengeresse tombe ; son caractère s’efface, son originalité disparaît.

967. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Cette école qu’il fit en Pologne l’y aida beaucoup et acheva sa maturité : « Au moins, si je n’ai rien profité à mon voyage, écrivait-il, me trouverez-vous revenu avec une bonne opinion de moi, et une fierté qui vous paraîtra extraordinaire pour un homme dont les affaires ne sont pas en meilleur état que les miennes. » Cette fierté est décidément un des traits du caractère de Chaulieu ; lui-même il est convenu de l’avoir poussée un peu loin : Avec quelques vertus, j’eus maint et maint défaut : Glorieux, inquiet, impatient, colère, Entreprenant, hardi, très souvent téméraire, Libre dans mes discours, peut-être un peu trop haut. […] Lemontey, qui ne trouve à ce sujet qu’une plaisanterie épigrammatique et sèche, ne les a pas senties, pas plus qu’il ne semble avoir apprécié le noble caractère de celle à qui elles sont adressées. […] La Fare, à cause du caractère sérieux et tout à fait politique de ses Mémoires, qui fait si fortement contraste avec sa vie dernière, prêterait encore mieux que Chaulieu à une telle étude. Quant à son caractère, on peut lui appliquer ce qu’il a dit de l’un de ceux qu’il juge : « Il était, comme la plupart des autres hommes, composé de qualités contraires : paresseux, voluptueux, nonchalant et ami du repos, mais sensé, courageux, ferme et capable d’agir quand il le fallait. » Pourtant, avec un esprit de première qualité, un sens excellent et un brillant courage, la paresse finit par prendre chez lui le dessus et par l’emporter absolument.

968. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Après l’avoir peint dans son costume ordinaire, avec ses bottes de velours, son habit de drap bleu, et avoir décrit ainsi sa tête : « Sa chevelure, artistement relevée et contournée par le fer des coiffeurs sur les tempes, se renfermait derrière la nuque dans un ruban de soie noire flottant sur son collet » (ce qui, sans périphrase, veut dire qu’il avait une queue) ; après avoir ajouté, en parlant toujours de sa tête : « Elle était poudrée à blanc à la mode de nos pères, et cachait ainsi la blancheur de l’âge sous la neige artificielle de la toilette », le peintre en vient au caractère de la personne et au visage : On eût dit que le temps, l’exil, les fatigues, les infirmités, l’obésité lourde de sa nature, ne s’étaient attachés aux pieds et au tronc que pour faire mieux ressortir l’éternelle et vigoureuse jeunesse du visage. […] Lainé dans sa maturité le soin d’apprécier ce coin de son caractère ; mais je crains qu’en faisant de lui un républicain in petto, M. de Lamartine ne se souvienne trop qu’il avait pris au début M.  […] Le portrait de la duchesse d’Angoulême m’a surtout choqué par une fausse expression de charmes et par une prodigalité de coloris qui fait contresens avec le caractère élevé, sévère et presque austère d’une figure si propre à inspirer uniquement le respect. […] Mais je m’étonne d’y voir M. de Bonald célébré comme caractère, quand cet honnête homme était, en général, très asservi aux circonstances domestiques, qui en firent, en plus d’un cas, un instrument de pouvoir, sincère, mais non pas désintéressé.

969. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Un écrivain de nos jours qui s’est fait connaître avec distinction dans le genre de la biographie, M. de Loménie, professeur suppléant au Collège de France, a consacré cette année plusieurs leçons à Beaumarchais, et il a éclairé le caractère de ce personnage extraordinaire à l’aide de documents particuliers qu’il tient de la famille même. […] Et il revient plus d’une fois sur ce caractère religieux de son père : « Mes amis se taisaient, mes sœurs pleuraient, mon père priait. » Ce père sensible, honnête, vertueux, qui a de la solennité et de la bonhomie dans l’effusion des sentiments, écrivait un jour à son fils qui était en Espagne, et qui y était allé pour venger l’une de ses sœurs (1764), une lettre qu’on a publiée25 et qui serait digne du père de Diderot, ou de Diderot lui-même faisant parler un père dans un de ses drames : Tu me recommandes modestement de t’aimer un peu. […] Et il revient continuellement sur ce caractère essentiel de sociabilité et de gaieté qui exclut dans le passé tout grave reproche. […] Cet Être souverain daigne s’abaisser un jour jusqu’à lui et lui dit : Je suis Celui par qui tout est ; sans moi, tu n’existerais point ; je te douai d’un corps sain et robuste, j’y plaçai l’âme la plus active : tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur, et la gaieté sur ton caractère ; mais, pénétré que je te vois du bonheur de penser, de sentir, tu serais aussi trop heureux si quelques chagrins ne balançaient pas cet état fortuné : ainsi tu vas être accablé sous des calamités sans nombre ; déchiré par mille ennemis, privé de ta liberté, de tes biens ; accusé de rapines, de faux… Et lui, se prosternant devant l’Être des êtres, répond en acceptant toute sa destinée : Être des êtres, je te dois tout, le bonheur d’exister, de penser et de sentir.

970. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Un caractère facile et souple ne démentait pas ces apparences. […] Étienne est dans le caractère qu’il a donné aux deux gendres : de l’un, il a fait un vaniteux actif et brillant, un ambitieux politique qui vise au ministère ; de l’autre, un fade et faux philanthrope du moment et dont on peut dire : Il s’est fait bienfaisant pour être quelque chose ; grand auteur de brochures, grand orateur de comités, et franc égoïste sous ces beaux semblants de bienfaisance : Il a poussé si loin l’ardeur philanthropique. […] Ces caractères, qui étaient bien dans la coupe du jour et qui sont soutenus jusqu’au bout ; le ressort de la crainte de l’opinion opposé à celui de l’avarice pure ; d’heureuses descriptions, jetées en passant, des dîners du grand ton : Ceux qui dînent chez moi ne sont pas mes amis ; une peinture légère des faillites à la mode, qui ne ruinent que les créanciers, et après lesquelles le banquier, s’élançant dans un brillant équipage, dit nonchalamment : Je vais m’ensevelir au château de ma femme ; l’intervention bien ménagée de deux femmes, l’une, fille du vieillard, et l’autre, sa petite-fille ; l’habile arrangement et le balancement des scènes ; d’excellents vers comiques, semés sur un fond de dialogue clair, facile et toujours coulant, voilà des mérites qui justifient pleinement le succès et qui mettent hors de doute le talent propre de l’auteur. […] Généralement bon, facile de caractère et obligeant dans le cours habituel de la vie, M. 

971. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Walckenaer, dont c’est le meilleur ouvrage littéraire ; on n’a plus qu’à lui emprunter les principaux faits qui donnent à connaître le caractère de l’homme. […] Voltaire, dans une lettre à Vauvenargues, rapportant le talent de La Fontaine à l’instinct, à condition que ce mot instinct fût synonyme de génie, ajoutait : « Le caractère de ce bonhomme était si simple, que dans la conversation il n’était guère au-dessus des animaux qu’il faisait parler… L’abeille est admirable, mais c’est dans sa ruche ; hors de là l’abeille n’est qu’une mouche. » On vient de voir, au contraire, que La Fontaine voulait qu’on fût abeille, même dans l’entretien. […] Un des caractères propres, en effet, du talent de La Fontaine, c’est de receler d’instinct toutes les variétés et tous les tons, mais de ne les produire que si quelque chose au-dehors l’excite et l’avertit. […] Un des poèmes les plus curieux du Moyen Âge, et qui constitue une véritable épopée satirique, est le Roman de Renart avec ses diverses branches ; les animaux divers y figurent comme des personnages distincts, ayant un caractère soutenu, et engageant entre eux une série d’aventures, de conflits et de revanches qui, jusqu’à un certain point, s’enchaînent.

972. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Si la petite lectrice naïve de romans se dit : « Quel beau caractère doit être ce monsieur Octave Feuillet » et est un peu amoureuse de M.  […] Non seulement ils ne vont pas à la découverte, ce qui est un des plus grands plaisirs de la lecture, mais ils lisent dans un temps où, de quelque caractère durable que soit le livre et dût-il être immortel, il n’a plus sa nouveauté, sa fraîcheur, son duvet, sa concordance avec les circonstances qui, sans l’avoir fait naître, ont contribué du moins à sa formation et surtout lui ont donné en partie sa couleur. […] Le livre très ancien est franchement d’un autre temps, il a tout son caractère archaïque ; il peut plaire pleinement ainsi ; il peut n’en plaire que davantage. […] N’en doutez point, Martin, c’est toujours son plaisir qu’on cherche et c’est-à-dire une activité psychique conforme au caractère que l’on a.

973. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Imprégnez-vous de ces quelques lignes de l’esthéticien, prises au hasard : « Ces caractères de Beauté que Dieu a mis dans notre nature d’aimer, il les a imprimés sur les formes qui, dans le monde de chaque jour, sont les plus familières aux yeux des hommes…. […] C’est de cette assimilation fausse que naquit la singulière opinion qui attribue au mouvement préraphaélite les caractères d’un retour à la nature. […] Robert de la Sizeranne en a très bien saisi le caractère, en ces quelques lignes : « Les chevaliers, nous dit-il36, s’avancent dans la toile avec des demi mouvements jolis, mais gauches comme s’ils marchaient sur des pointes d’épées et s’ils avaient peur d’être contaminés par tous les objets qui les entourent. […] Nous serions presque tentés — si nous étions injustes — de lui reprocher le caractère néfaste de son influence, la foule étrange de ses caudataires, tout ce bas esthétisme que nous avons vu fleurir et pourrir, et dont elle peut assumer la paternité.

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