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2194. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

— Mais ils ont beau louer et beau déifier, leur dithyrambe a peur, et l’hyperbole tremble sur leurs lèvres. […] Tel le Songe qu’Atossa raconte, mêlé d’étrangeté orientale et de beauté hellénique : il donne l’idée d’une sculpture persépolitaine que l’art grec aurait retouchée. — Deux femmes richement vêtues, l’une de la tunique dorienne, l’autre de la robe persane, lui sont apparues, plus belles que les femmes qui vivent maintenant, au-dessus d’elles par la majesté de leur taille. […] C’est alors que se déploie, sous la lumière d’un chant rayonnant, la plus belle bataille navale de l’antiquité. — Le Jour se lève, poussant ses chevaux blancs dans le ciel, et son premier rayon fait jaillir par mille voix, de la flotte hellène, le Pœan sacré. […] car je me glorifie d’être ton suppliant. » Le fleuve s’arrête, « se fait tranquille », et le recueille sur le sable de son rivage. — Hésiode a des menaces terribles pour ceux qui souillent la chasteté des eaux vives. — « Ne traverse jamais à pied l’eau limpide des fleuves intarissables, avant d’avoir prié en regardant son beau cours, et d’avoir lavé tes mains dans cette belle eau claire.

2195. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

C’est un bel homme qui connaît messieurs vos frères. […] Je ressemble à ces marins qui, dans le milieu d’une longue navigation, relâchent dans une de ces belles îles qu’on trouve quelquefois au milieu de l’Océan. Ils oublient pour un temps les peines qu’ils ont souffertes ; ils se livrent à la joie de voir de belles prairies, de vertes forêts, et de goûter à l’ombre des rochers un sommeil qui n’est point agité par le mouvement des flots. […] Voilà une comparaison qui est belle sans contredit7 ; il ne m’aurait pas beaucoup coûté de la filer jusqu’à la fin, mais il faut laisser travailler là-dessus votre imagination. […] [NdA] Je prie de remarquer cette belle expression, qui se rapporte à la maladie physique et morale dont j’ai parlé.

2196. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Les décrets de l’Empereur par lesquels il lui conférait ces hautes missions sont conçus en des termes qui sont de beaux titres de noblesse : « Prenant entière confiance dans le zèle et la fidélité à notre service du sieur Daru, membre de notre Conseil d’État…, lui donnons plein et absolu pouvoir… ; promettant d’approuver tous les actes qu’il aura passés…, de regarder comme valides et irrévocables toutes les opérations qu’il aura terminées, etc. » (Décret d’Erfurt du 11 octobre 1808, et aussi celui de Dresde du 22 juillet 1807.) […] Daru prescrivait aux intendants sous ses ordres d’envoyer au Jardin des plantes de Paris les catalogues du Jardin de Berlin et des plantes de la Poméranie, avec des échantillons de graines ; il en adressait aussi qui lui avaient été demandés pour le parc de la Malmaison, et, dans une lettre à l’impératrice Joséphine, il terminait cet envoi par des vers gracieux :         L’humble ruisseau de Malmaison Roulait paisiblement ses ondes fortunées, Lorsque de belles mains, au sceptre destinées, Prirent soin d’embellir son modeste vallon, etc. […] Daru au courant des travaux littéraires de chacun : Picard, lui écrivait-il en mai 1807, fait une comédie qui me paraît une belle conception (Les Capitulations de conscience). […] Je roule dans ma tête un sujet qui, suivant l’usage, me paraît le plus beau qui se soit présenté à moi.

2197. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

J’appuie ma gauche au mont Jura, ma droite aux Alpes, et j’ai le lac de Genève au-devant de mon camp, un beau château sur les limites de la France, l’ermitage des Délices au territoire de Genève, une bonne maison à Lausanne ; rampant ainsi d’une tanière dans l’autre, je me sauve des rois et des armées, soit combinées, soit non combinées… Dans une lettre à Tronchin de Lyon, du 13 décembre 1758, il explique encore plus à nu toute sa stratégie, et comment il cherche son assiette la plus sûre en se mettant à cheval sur trois pays (Genève, Berne, dont Lausanne était la sujette alors, et la France). […] Cela est presque incompréhensible dans l’auteur des beaux morceaux de Cinna, du Cid, de Pompée, de Polyeucte. […] Il est l’avocat bénévole et zélé de plus d’une belle cause. […] Alphonse François est de ces esprits délicats et de ces hommes heureux qui, dès leur jeunesse, ont pris le parti de goûter les belles choses et les choses exquises, plutôt que de se fatiguer à en produire ; c’est un dilettante classique dont je puis parler pertinemment, car, d’un âge approchant du mien, mais de bonne heure très mûr, il a eu autrefois des bontés pour mon enfance.

2198. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Non, ce qu’on veut de Casaubon, c’est de l’amener sur le terrain de la théologie, qui est alors le terrain de la passion brûlante, de l’intérêt en jeu, de la politique ; ce que lui veut le cardinal du Perron dans ces fréquents entretiens qu’il a avec lui et pour lesquels il le mande sans cesse, ce n’est pas de causer avec désintéressement des belles choses inutiles, d’un sens de Virgile ou d’Homère, ou d’un usage transmis par Athénée, de ces doux riens qui occupent pendant des journées les âmes innocentes : ce qu’il veut, c’est de l’ébranler, de le convaincre à l’aide de passages des Pères, et, s’il se peut, de le convertir. Quelle belle conquête, en effet, ce serait à opposer aux hérétiques que celle du premier des doctes parmi eux, de l’illustre Casaubon ! […] Sur le sacrement de l’Eucharistie en particulier il hésite, il est tenté de revenir en arrière : il a là-dessus une bien belle page, pleine d’onction, d’humilité, de candeur : 1er janvier 1611. […] [NdA] Ce mot de Henri IV, de ce roi vraiment tutélaire et qui sentait à quel point il l’était, rappelle les belles paroles de Richelieu, en son testament politique, sur la vigilance nécessaire au chef d’un État et sur la gravité de la charge dont il porte le poids à toute heure, la ressentant d’autant plus qu’il est plus habile : « Il faut dormir comme le lion, sans fermer les yeux… Une administration publique occupe tellement les meilleurs esprits, que les perpétuelles méditations qu’ils sont contraints de faire pour prévoir et prévenir les maux qui peuvent arriver les privent de repos et de contentement, hors de celui qu’ils peuvent recevoir voyant beaucoup de gens dormir sans crainte à l’ombre de leurs veilles et vivre heureux par leur misère. »

2199. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Parmi tous ces objets on aime à voir Marie Cressé conserver avec soin, dans un coffret couvert de tapisserie, le linge qui a servi à ses enfants sur les fonts de baptême. » Le père de Mme Poquelin, Louis de Cressé (car il prenait le de), qui avait si bien pourvu et doté sa fille, possédait lui-même à Saint-Ouen, dans la Grande-Rue, une belle propriété avec cour, étables et jardin. […] Soulié, que, le dimanche, dans la belle saison, on devait conduire les enfants chez leur grand-père pour leur faire prendre l’air des champs : « L’inventaire des objets restés dans la chambre de cette maison, occupée par les époux Poquelin, prouve qu’on trouvait là tout ce qui était nécessaire pour passer une nuit ; on n’y a oublié ni les boules de buis qui servaient sans doute de jouets aux enfants, ni la paire de verges destinée à les corriger. » Ce confort, cette opulence domestique de la maison Poquelin, tenaient en partie à la présence de la femme dans la maison : il est permis de le penser ; du moins, dans le dernier inventaire fait chez Jean Poquelin bien des années après, tout dénote négligence, désordre et abandon ; ce père, en vieillissant, n’était plus le même. […] Aimer et préférer ouvertement Corneille, comme le font certains esprits que je connais, c’est sans doute une belle chose et, en un sens, bien légitime ; c’est vouloir habiter et marquer son rang dans le monde des grandes âmes : et pourtant n’est-ce pas risquer, avec la grandeur et le sublime, d’aimer un peu la fausse gloire, d’aller jusqu’à ne pas détester l’enflure et l’emphase, un air d’héroïsme à tout propos ? […] mais pourquoi l’administration de Paris, qui fait tant de belles et grandes choses, n’achèterait-elle pas la vraie maison, celle qui occupe le véritable emplacement du logis où naquit Molière ?

2200. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Don Quichotte, en ces beaux endroits, n’est que l’organe même de Cervantes. […] Nous sommes trop enclins, je le crois, à nous substituer continuellement à Cervantes, avec nos sentiments et nos impressions d’aujourd’hui ; nous prenons fait et cause en sa faveur plus encore qu’il ne le faisait lui-même, et pour avoir énuméré à la file et mis en ligne de compte toutes ses infortunes, nous oublions trop les interstices et les éclaircies que sa belle humeur et son bon génie savaient s’ouvrir à travers tant de mauvais jours. Après tout, même dans ses malheurs et ses guignons récents, s’il se reportait en esprit à ses anciennes infortunes et à cette horrible captivité en Alger, Cervantes avait la ressource de se dire comme Ulysse : « Courage, mon cœur, tu en as vu de pires, le jour où l’infâme Cyclope te dévorait tous tes braves compagnons, et où, la prudence et l’audace aidant, tu l’échappas belle… » J’ai connu des cœurs philosophes auxquels le souvenir des maux et des périls passés ne laissait pas d’être une consolation dans les ennuis du présent. […] Le traducteur avait tâché, comme il disait, d’accommoder son texte au génie et au goût de notre nation, sans trop s’éloigner du sujet, et de telle sorte que quelques endroits sentissent encore l’espagnol ; car, remarquait-il naïvement, « j’ai cru qu’une traduction doit toujours conserver quelque odeur de son original, et que c’est trop entreprendre que de s’écarter entièrement du caractère de son auteur. » Cette traduction de Filleau de Saint-Martin, qui est des meilleures dans le goût du xviie  siècle, et des plus belles comme on disait alors, fut aussi attribuée à M. 

2201. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Il n’avait pas toujours réussi dans cette petite Cour dont il est aujourd’hui la plus belle gloire. […] Fournier, qui lui-même tâche beaucoup et renchérit sur chaque détail, et qui ne laisse rien passer sans en exprimer avec effort un sens caché, je faisais cette réflexion : Des esprits élégants, sans beaucoup de précision, régnaient autrefois dans la littérature ; d’autres leur ont succédé, qui ont essayé d’atteindre à l’exactitude et à la précision, même au prix de quelque élégance ; mais les derniers venus portent ce zèle, cette démangeaison continuelle de la précision ou de ce qu’ils considèrent comme tel à un point de subtilité et de minutie qui, s’il était poussé à un degré de plus, irait jusqu’à déformer les plus beaux sujets littéraires et à n’y rien laisser subsister de naturel. […] XI), aussi beaux que n’importe quel passage dans Homère ou dans Virgile. […] Fougères, officier de la maison de Condé depuis plus de trente ans, disait que M. de La Bruyère n’était pas un homme de conversation, et qu’il lui prenait des saillies de danser et de chanter, mais fort désagréablement. » On a beau vouloir en rabattre, il en reste quelque chose qui semblait alors un défaut, un inconvénient.

2202. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

peux-tu bien Tirer d’une si belle chose Un si cruel mal que le mien ? Fontenelle, dans son Recueil des plus belles pièces… (1692), a su faire un choix assez agréable de Théophile. […] Il y a un beau mot de M. de Bonald : « Une vie déréglée aiguise l’esprit et fausse le jugement. » Je ne pousserai pas M. […] et ces autres encore : Ils s’en vont ces rois de ma vie, Ces yeux, ces beaux yeux, etc., etc Il y a déjà du grand Corneille dans ce lyrique-là.

2203. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Cette société offrait donc plutôt dans son ensemble, et malgré ses gloires récentes, un beau et dernier ressouvenir, un des reflets qui accompagnaient les espérances subsistantes de la Restauration, une lueur du couchant qui avait besoin de mille circonstances de nuages et de soleil, et qui ne devait plus se retrouver. […] Mais nous reviendrons tout à l’heure à cette belle partie d’elle-même. […] C’est qu’au fond tout était lutte, souffrance, obstacle et désir dans cette belle âme, ardente comme les climats des tropiques où avait mûri sa jeunesse, orageuse comme les mers sillonnées par Kersaint ; c’est qu’elle était une de celles qui ont des instincts infinis, des essors violents, impétueux, et qui demandent en toute chose à la terre ce qu’elle ne tient pas ; qui, ingénument immodérées qu’elles sont, se portent, comme a dit quelque part l’abbé Prévost, d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure ; en qui chaque douleur trouve une proie facile ; une de ces âmes gênées qui se heurtent sans cesse aux barreaux de la cage dans cette prison de chair. […] Une de ses pensées habituelles était que, pour ceux qui ont subi jeunes la Terreur, le bel âge a été flétri, qu’il n’y a pas eu de jeunesse, et qu’ils porteront jusqu’au tombeau cette mélancolie première.

2204. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse renouveler ces mêmes images ; si ce n’était trop long, il me serait aisé de les signaler presque toutes dans les plus beaux vers de nos poètes contemporains. […] On blâme l’incohérence des métaphores : tout le monde connaît la fameuse phrase : « Le char de l’État navigue sur un volcan. » Corneille a été censuré par l’Académie pour avoir écrit : Malgré des feux si beaux qui rompent ma colère. […] C’est pourquoi il s’est élevé, superbe en sa hauteur, beau en sa verdure, étendu en ses branches, fertile en ses rejetons ; les oiseaux faisaient leurs nids sur ses branches ; les familles de ses domestiques, les peuples se mettaient à couvert sous son ombre. » Ailleurs Bossuet compare l’homme à un édifice ruiné, et ajoute : « Il est tombé en ruine par sa volonté dépravée », ce qui ne peut se dire d’un édifice et déplaît à Condillac. […] Que vous servira d’avoir tant écrit dans ce livre, d’en avoir rempli toutes les pages de beaux caractères, puisque, enfin, une seule rature doit tout effacer : encore une rature laisserait-elle quelque trace, du moins d’elle-même ; au lieu que ce dernier moment, qui effacera d’un seul trait tout notre vie, s’ira perdre lui-même avec tout le reste dans ce grand gouffre du néant… Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ?

2205. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Et la messe était une belle chose ; mais surtout c’était déjà un drame : drame dans sa forme, par les chants alternés avec la récitation, par le dialogue de l’officiant et des clercs ou des fidèles : drame aussi dans son fond, par la commémoration symbolique du sacrifice, de l’acte essentiel qui fonda le dogme. […] Cependant nous connaissons la simplicité de la foi du poète, et sa fervente confiance en Notre-Dame : il en a tiré quelques assez belles inspirations, et un monologue demi-lyrique du clerc repentant, dont le mouvement est en vérité pathétique. […] Imaginez-vous une sorte de revue où défilent sous leur nom, avec leur caractère, en propre personne ou par directe désignation, dix ou vingt bourgeois connus de la ville, où le poète, à côté de son père et de ses voisins, s’introduit, contant son mariage, comment il s’est défroqué pour épouser la belle qui l’a si délicieusement ravi et si vite lassé, comment il veut se démarier, et s’en aller à Paris étudier : écoutez ces propos salés et mordants de compères en belle humeur, qui en disent de dures sur les femmes, et voyez dans un brouhaha de « kermesse », selon le mot si juste de M. 

2206. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Il est nerveux, tendu, sentencieux : il trouve dans ses chœurs des strophes d’une belle et ferme allure. […] Par exemple, pour une pièce perdue de Hardy, le décorateur de la comédie note ainsi la mise en scène : « Il faut au milieu du théâtre un beau palais, et à un des côtés une mer où paraît un vaisseau garni de mâts, où paraît une femme qui se jette dans la mer, et à l’autre côté une belle chambre qui s’ouvre et ferme, où il y ait un lit bien parc avec des draps309 ». […] Mais aussi bien que le Cid de l’histoire, que le Cid toujours barbare du Poème ou de la Chronique Rimée, et que le Cid chevaleresque des romances, Corneille a refusé d’évoquer le Cid de Guillen de Castro, héros national, presque saint, mais beau cavalier et serviteur des dames, hidalgo tueur de Mores et diseur de pointes : il n’a gardé du caractère local de l’action et du héros, que ce qui était indispensable à la réalisation des sentiments généraux.

2207. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Les simples tableaux, les paysages à la plume d’après nature, sont beaux, mais assez rares dans son œuvre. […] Les plus belles pièces sont les plus impersonnelles, les plus largement symboliques876. […] La personnalité du poète ne s’affirme plus que par l’élection de la forme : une forme belle et large, impeccable et précise, aveuglante parfois à force d’éclat, dure aussi à force de fermeté. […] Leconte de Lisle, après ses deux admirables recueils, fut le maître incontesté de la poésie française ; autour de lui se groupèrent un certain nombre de jeunes poètes, qui prirent le nom de Parnassiens, lorsque l’éditeur Lemerre publia leurs vers dans le recueil du Parnasse contemporain Chacun y apporta son tempérament original, sa force de sentiment ou de pensée : le trait commun de l’école fut le respect de l’art, l’amour des formes pleines, expressives, belles.

2208. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Le plan qu’elle imaginait était sérieux et beau, mais l’éducation qu’elle se donna, ou plutôt qu’elle ne dut qu’à la nature et à l’expérience, fit d’elle une personne plus originale et plus à part. […] On la maria, selon le bel usage, à un homme qui ne lui convenait que par la naissance. […] Je vous avoue qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher ; il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle… On peut juger si Mme Du Deffand le plaisante sur cette lune ; elle réduit cet éclair de sentiment à sa juste valeur, et, tout en essayant de lui dire quelques paroles aimables elle livre la clef de sa propre nature au physique et au moral. […] Mais nous, nous ne trouverons pas que c’était une sottise : car c’est le beau côté de Mme Du Deffand, celui qui la relève, qui nous montre que, pour avoir économisé jusque-là sa sensibilité, elle n’en était pas dépourvue, qu’elle était capable de passion même.

2209. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Mme Suard, qui lui avait voulu du bien dans un temps, a dit de lui : « Il avait une belle tête et d’une expression aimable ; mais sa taille était petite et sans aucune élégance. » Certaine inégalité d’épaule semblait même indiquer une vague intention première de la nature de pousser plus loin l’irrégularité ; mais cette velléité primitive s’était arrêtée à temps. […] Voltaire le plus souvent cédait et criait de sa place, en s’apercevant du changement : « Le petit a raison ; c’est mieux comme cela. » Tel il était jeune à Ferney près de Voltaire, tel près de Chateaubriand à la fin de sa carrière, quand il disait à l’auteur du Génie du christianisme : « Enfermez-vous avec moi pendant quelques matinées, et nous ôterons tous ces défauts qui les font crier, pour n’y laisser que les beautés qui les offensent. » Je tiens à bien marquer en La Harpe cette nature essentielle de critique qui, à travers tous ses écarts, est son titre respectable ; qui fait que Voltaire a pu l’appeler à un certain moment « un jeune homme plein de vertu » (ce que les Latins auraient appelé animosus infans), et qui fait aussi que Chateaubriand l’a défini, « somme toute, un esprit droit, éclairé, impartial au milieu de ses passions, capable de sentir le talent, de l’admirer, de pleurer à de beaux vers ou à une belle action ». […] Mais, à mesure qu’il approche des belles époques de la littérature française, ses jugements se firent et s’affermissent ; le xviie  siècle, en quelques-unes de ses parties et de ses œuvres, n’a jamais été mieux analysé.

2210. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Cela est sensible dans les deux premières guerres de Silésie ; cela le sera jusqu’à la fin et au milieu des plus belles combinaisons de la guerre de Sept Ans : « Je ne mérite pas, écrivait-il à Algarotti (4 janvier 1759), toutes les louanges que vous me donnez : nous nous sommes tirés d’affaire par des à-peu-près. » Ainsi en pleine guerre, et si habilement qu’il la fasse, Frédéric n’est pas tout à fait dans son élément. […] Mon Horace, mon bel Horace y passerait, je le jure. […] Dès l’entrée en campagne, le roi a confiance en ses troupes ; il a su les animer de sa passion de gloire : « Mes troupes en ont le cœur enflé, et je te réponds du succès. » Au camp de la Neisse (15 septembre 1741), au moment où il espère encore amener M. de Neipperg à une bataille, le roi écrit : « Nous avons le plus beau camp du monde, et ces deux armées qu’on aperçoit d’un coup d’œil semblent deux furieux lions couchés tranquillement chacun dans leur repaire. » Un jour, trois ou quatre mille hommes de la garnison de Brünn, dans une sortie, attaquent un régiment de quatre cents Prussiens logés dans un village ; le village est brûlé, mais les ennemis sont repoussés et chassés sans avoir gagné le moindre avantage : Truchsess (le colonel), Varenne et quelques officiers, écrit le roi, ont été légèrement blessés ; mais rien ne peut égaler la gloire que cette journée leur vaut. […] Telle était sa disposition sincère après sa première conquête, après ce premier beau morceau d’histoire ; il aspirait à en rester là, et, l’épisode terminé, à rentrer dans ses propres voies, c’est-à-dire une bonne administration, une libre et gaie philosophie, l’amitié et les beaux-arts.

2211. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Un des plus beaux et des plus incontestables endroits de l’Histoire de d’Aubigné en sa dernière partie est la scène de Saint-Cloud et ce qui s’y passe aussitôt après la mort de Henri III (1589). […] Quand on voit ces belles et sérieuses parties dans l’historien, on se demande pourquoi il n’a pas mieux réussi dans sa carrière totale et politique, pourquoi il n’a pas servi avec plus de suite ; et c’est ici qu’il faut en revenir au caractère et à l’humeur de l’homme. […] La postérité qui s’inquiète peu des souffrances des hommes et des traverses qu’ils ont eu à supporter dans leur vie ; qui les prend, quand elle a à s’occuper d’eux, par leur ensemble, et qui aime à les voir sous leurs aspects principaux, a fait à d’Aubigné une belle place et de plus en plus distincte.

2212. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Alexis de Tocqueville donna, pour son début, un bel ouvrage, qui assit du premier jour sa réputation. […] Certes, il est beau, il est satisfaisant pour un délicat orgueil de pouvoir s’écrier à un certain jour, comme M. de Tocqueville écrivant à M.  […] En continuant de parcourir la correspondance de M. de Tocqueville, nous aurons d’ailleurs à y signaler des parties vraiment belles et même tout à fait aimables.

2213. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Il y a joint depuis la plus belle collection littéraire d’éditions originales françaises qui se puissent voir, et des autographes aussi, et des portraits gravés, des épreuves de choix, tout ce qu’une curiosité éclairée peut rassembler de trésors utiles ; car en ce genre il accordait peu à la fantaisie, mais aussi il ne refusait rien à la passion : c’était sa seule et unique munificence. […] « Avec lui s’éteint, je le répète, une des plus belles et des plus vives intelligences qui aient brillé en notre xixe  siècle, un des plus étonnants météores qui aient sillonné pendant cinquante ans notre ciel et notre horizon. » De plus, on lit dans le Constitutionnel du 24 janvier : « M.  […] Quand je suis entré dans le monde littéraire (1824), j’avais pour maîtres quelques-uns de ces premiers amis de Cousin ; c’est par eux que j’ai d’abord appris à le juger, et je dois dire qu’ils étaient déjà à demi détrompés, mais seulement à demi ; et quels beaux restes d’admiration et de respect ils lui vouaient encore !

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