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410. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Ces vérités dominent l’art tout entier. […] En quoi consistera la beauté de leur art, sinon dans l’expression parfaite et définitive de cette vérité ? […] Cet idéal de l’éloquence, considérée comme l’art de persuader la vérité, le conduisait à Cicéron. […] L’influence de Descartes fut celle d’un homme de génie qui avait appris à chacun sa véritable nature, et, avec l’art de reconnaître et de posséder son esprit, l’art d’en faire le meilleur emploi. […] Racine en avait recueilli et comme respiré la tradition vivante dans son commerce avec Port-Royal ; et si ses personnages raisonnent moins et pensent plus que ceux de Corneille, j’y vois un fruit de cette doctrine qui avait changé la définition de la logique, et remplacé l’art de raisonner par l’art de penser.

411. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Confondre l’art dans les lettres avec la méthode dans les sciences, attribuer à l’un et à l’autre la même vertu, c’est une illusion plus ancienne que Perrault et qui lui a survécu. […] » Quand on raisonne si légèrement sur l’art et la littérature, il n’est pas étonnant qu’on soit mauvais juge de l’antiquité classique. […] Mais plus de mesure dans l’attaque, l’art de s’y faire des auxiliaires, plus de vérités de détail parmi les mêmes erreurs, des idées justes sur les arts écrites dans une prose aisée, l’honneur d’avoir travaillé sous Colbert aux merveilles de Versailles, des contes où le précieux même n’est pas sans grâce, tout cela, sans rendre la cause meilleure, diminue le ridicule de l’avocat. […] L’esprit d’analyse appliqué aux lettres et aux arts produit, au lieu du vrai, quelque chose qui en usurpe pour un temps le crédit, je veux dire le spécieux. […] Il avait trente ans quand il écrivait ce livre ; il devait penser dès lors à l’art d’en vivre cent.

412. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Ces cœurs français, italiens, russes, que l’art échauffe, fraternisent. […] existe-t-il encore des gens assez emperruqués pour aimer, après Wagner, l’art de Mozart, de Weber, de Rossini et de Beethoven ? Ce serait à ne pas le croire, la Revue wagnérienne nous apprenant que « l’art wagnérien doit recréer la vie humaine ». […] Mais l’auteur a-t-il créé ce chef-d’œuvre en déduction directe de ses théories et de ses vues sur l’art ? […] La musique, le plus vague des arts, ne peut, en fait de mouvements de l’âme ou du cœur, exprimer que des généralités.

413. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Je montrerais aisément que notre Fletcher si admiré n’entendait ni l’art de bien nouer une intrigue, ni ce qu’on appelle les bienséances du théâtre. […] Il y a des maximes vigoureusement ramassées dans l’enceinte d’un vers unique, des distinctions, des développements, et tout l’art des bonnes plaidoiries. […] L’art de flatter est le premier dans un âge monarchique. […] C’est pourquoi la matière manque à l’art d’écrire. […] Dans cette stérilité, l’art se réduit bientôt à revêtir des pensées étrangères, et l’écrivain se fait antiquaire ou traducteur.

414. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Dans l’acception la plus générale et qui n’est pas inexacte, la qualification de romantique s’étend à tous ceux qui, parmi nous, ont essayé, soit par la doctrine, soit dans la pratique, de renouveler l’art et de l’affranchir de certaines règles convenues. […] Ils ont un grand point de ralliement d’ailleurs, le culte de l’art compris selon l’inspiration moderne rajeunie en ce siècle. […] , un sentiment sincère, profond, passionné, qui, pour s’appliquer aux seules choses de l’art, n’en avait que plus de désintéressement et de hauteur, et n’en était que plus sacré. […] Je ne prétends garantir ni adopter toutes les applications qu’il a faites de son talent ; mais il est un procédé, un art général, non seulement une main-d’œuvre, mais un feu sincère qui se fait reconnaître dans tout l’ensemble et qui m’inspire de l’estime. […] Il affectionne l’art grec, la sculpture, et nous en rend dans ses rythmes des copies et parfois presque des moulages.

415. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Là où M. de Musset excelle, et là où nous le retrouvons avec tout son charme et son avantage, c’est dans le récit légèrement dramatique, coupé avec art, svelte d’allure, brillant de couleur et animé de passion. […] Ici, rien ne choque ; tout ce qui sortait du domaine de l’art littéraire, pour entrer, à proprement parler, dans le domaine de l’art médical, a disparu ; nulle altération organique maladive, nulle odeur impure : « Bientôt, dit Octave, je fus connu des pauvres ; le dirai-je ? […] La manière dont Octave effeuille dans l’âme de Brigitte et dans la sienne cette fleur tout à l’heure si belle, son art cruel d’en offenser chaque tendre racine est à merveille exprimé ; mais si la façon particulière appartient à Octave, cette défaite successive de l’amour, après le triomphe enivrant, n’est-elle pas à peu près l’histoire de tous les cœurs ? […] Ces pages sont vraies en ce sens qu’elles rendent des scènes qui ont pu se passer entre deux personnages pareils78, et qu’elles trahissent la confusion des pensées qui ont pu s’agiter dans leur cerveau ; mais l’art qui choisit, qui dispose, qui cherche un sommet et un fondement à ce qu’il retrace, avait-il affaire de s’engager dans cette région variable d’accidents et de caprices, où rien n’aboutit ? […] Je le répète, on est dans la région des phénomènes, où l’art, cet ennemi de tout chaos, ne doit pas rester.

416. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Shakespeare commence une littérature nouvelle ; il est empreint, sans doute, de l’esprit et de la couleur générale des poésies du Nord : mais c’est lui qui a donné à la littérature des Anglais son impulsion, et à leur art dramatique son caractère. […] comme elles savent que ce n’est pas dans la flatterie que consiste l’art tout-puissant des hommes pour se faire aimer d’elles ! […] Ils n’ont aucun rapport avec les sublimes effets que Shakespeare sait tirer des mots simples, des circonstances vulgaires placées avec art, et qu’à tort nous n’oserions pas admettre sur notre théâtre. […] L’art lui manque pour se soutenir, c’est-à-dire, pour être aussi naturel dans les scènes de transition, que dans les beaux mouvements de l’âme. […] Blair donnait des leçons à ses écoliers sur l’art de l’éloquence, et indiquait tous les exemples anciens et modernes qui pouvaient appuyer ses préceptes.

417. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Que de sagesse dans ce rire, que de raison dans cette démence, et sous ces grimaces, quel masque douloureux et sévère de l’art et de la pensée indignée ! […] [L’Art romantique (1868).] […] — Le poète des Exilés et des Odes funambulesques a sauvé le Parnasse du possible ridicule où son allure guindée l’eût entraîné, et, sachant que la mélancolie n’est pas le dernier but de l’Art, lui a ouvert le chemin vers cette aurore où tout se rajeunira : la Joie. […] Théodore de Banville a été ébloui et séduit par la splendeur de la ligne dans l’art grec, dans la statuaire comme dans la pensée. […] L’art poétique, universel, idéal, qu’il grava sur les tables de marbre de son temple à Théophile Gautier, peut être considéré comme une manifestation essentielle du génie de Banville.

418. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Sur l’art dramatique d’aujourd’hui, il n’y a qu’un cri : le théâtre français est en décadence53. […] Tout le monde est d’accord, le drame romantique est sans pouvoir sur le public et ses derniers bourreaux, à quelques exceptions près, ne savent même plus l’art des beaux vers inutiles. […] D’autre part c’est aux Symbolistes (au théâtre d’Art de M.  […] Rivollet, adaptateur qui sait avec art réduire les belles œuvres : dans un ordre quelque peu différent, mais parallèle, voici MM.  […] Revue d’Art Dramatique, janvier, février, mars 1898.

419. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

C’est encore par de nouvelles modifications de plus en plus spirituelles, et traitées de main de maître, avec un art consommé, qu’il a ramené ces motifs dans le Scherzo, consacré à la peinture du caractère de Méphistophélès. […] Beethoven a tenu dans l’Art un rôle très net. […] A l’art furent donnés quelques maîtres admirables, qui créèrent sagement, par les procédés spéciaux de leurs temps et de leurs arts, une réelle vie bienheureuse : Platon, et le Vinci, et Rubens, et Bach, et Racine, et Stendhal, et Franz Hals qui sut comprendre le secret de la sensation. […] VII Le romantisme, amené dans tous les arts par les mêmes causes eut, dans tous les arts, les mêmes caractères. […] Le troisième et dernier article sur l’art wagnérien concerne cette fois la musique.

420. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

On insiste, et l’on dit encore d’après les anciens, que la poësie est un art, et que tout art a nécessairement une fin utile. […] Qui peut nier, par exemple, que la musique ne soit un art ; et qui cependant, s’il ne veut subtiliser, pourroit y trouver d’autre utilité que le plaisir ? […] Je ne cherche à faire honneur à mon art, qu’en l’employant à mettre en jour la vérité et la vertu. […] Dans ce sens, il faut convenir que le désordre est un effet de l’art : mais aussi il faut prendre garde de donner trop d’étendue à ce terme. […] Nous avons d’un des maîtres de l’art une ode pindarique, où il n’a pas mis un autre désordre que celui que je reconnois ici pour une beauté.

421. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

On le met à part : l’idée de disputer à La Fontaine le prix de son art, ou même de se faire compter après lui, n’est venue à personne, pas même aux gens d’esprit qui se sont crus fabulistes. […] Il y a des plus grands noms que celui de La Fontaine : ce sont les noms de fondateurs qui ont créé à la fois un art et une langue. Homère, Dante, Shakspeare, Corneille, ces pères de l’art antique et de l’art moderne, sont de plus grands hommes. […] L’art de développer un sujet ou un genre par son propre fonds leur était inconnu. […] Il s’est vu des délicats, Fénelon, par exemple, à qui l’art du Misanthrope et du Tartufe a laissé des scrupules.

422. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

En littérature et en art l’intrusion de l’insolite a une autre portée. […] C’est en art que, d’abord, l’essai d’une école dite réaliste fut tenté. […] Enfin l’art et en même temps les lettres, car les deux sont régis par la même loi, allaient sortir de l’ornière classique. […] La nature est bien vieille quoique toujours jeune, et l’art date de loin. […] L’art, la littérature se traîneraient, par choix, dans l’ornière des vices et des débauches.

423. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Le sens de l’art antique n’existe ni dans les salons ni chez les écrivains : pour trouver des modèles littéraires, on ne va pas au-delà du xviie  siècle. […] De là la décadence des formes d’art et la faiblesse de la pure littérature. […] De ces conditions, pourtant, le xviiie  siècle saura tirer un art, un art bien à lui et bien français, intellectuel et mondain, fait d’esprit et d’élégance : art paradoxal en son essence puisqu’il aspire à se passer d’éléments sensibles. […] Dans la première s’affirme l’insensibilité esthétique de l’esprit « philosophique, mais s’épanouit en même temps cet art spécial, unique, qui trouve en Marivaux sa perfection.

424. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 147

Le goût du Public qui accueille si bénignement de semblables miseres, n’est-il pas propre à opérer la dégradation des Arts, après avoir prouvé celle des mœurs ? […] L’abus regne, l’art tombe, & la raison s’enfuit. Qui veut écrire avec décence, Avec art, avec goût, n’en recueille aucun fruit ; Il vit dans le mépris, & meurt dans l’indigence.

425. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Par-tout on voit une force, une vivacité de coloris, qui annonce l’art & le génie. […] Il entremêle avec art, dans le troisiéme & le quatriéme Chant l’histoire du Portugal. […] Les aventures se succédent les unes aux autres, & l’auteur n’a d’autre art que celui de les bien conter. […] Le goût, la naïveté, l’art de narrer, celui de bien entremêler les aventures, celui de ne rien prodiguer valent bien mieux que l’esprit. […] Mais, comme jamais l’art & les écrits de l’antiquité ne furent l’objet de ses études, il a aussi tous les vices de l’ignorance & du mauvais goût.

426. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Victoire, en effet, du grand Art sur le métier, des Poètes sur les faiseurs ! […] Barbey d’Aurevilly que, si la poésie ne consiste pas précisément dans cet art d’échiquier-là, cet art d’échiquier-là est la base même de la poésie… et de l’orthographe, absolument comme l’échiquier est la base de l’art… des échecs. […] Or, ce que l’on vient de lire est de la vie dans l’art à la troisième puissance, j’espère ; et si M.  […] L’amour de la vie dans l’art n’a-t-il pas fait voir à M.  […] C’est aussi sous la dictée de l’amour de la vie dans l’art que M. 

427. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Il se demande s’il y a dans la musique, comme dans les autres arts, un point de perfection après lequel on décline ? […] L’auteur de l’Art poétique renverserait lui-même par cette doctrine tous les fondements de l’art ; ce serait autoriser tous les monstres dramatiques : le succès des absurdités ne peut jamais les justifier. […] La disposition des trois premiers actes est un chef-d’œuvre de l’art, propre à servir de modèle à nos jeunes élèves de Melpomène. […] Voltaire, possédé du démon de l’orgueil et de la jalousie, abjure sa propre raison et les règles de l’art qu’il connaît si bien ! […] Faut-il compter pour rien ce naturel, cette vérité si précieuse dans les arts ?

428. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

L’essai informe et grossier d’un art que Ménandre et son école ont élevé à la perfection. […] Mais depuis quand ces considérations prosaïques sont-elles ce qui donne la mesure de l’art véritable et de la poésie ? […] À tout le moins, l’absence de gaieté est l’écueil où va se perdre la foule des comédies, pendant que le poète, qui comprend l’essence de son art, lutte contre le courant qui l’y entraîne. […] Il n’y a point d’art dans la manière dont le vol de la cassette est amené. […] Celui qui a attaché son nom le premier à cette tentative vraiment digne de l’intrépidité de sa logique, est mon maître dans l’art de critiquer.

429. (1864) William Shakespeare « Préface »

À l’occasion de Shakespeare, toutes les questions qui touchent à l’art se sont présentées à son esprit. Traiter ces questions, c’est expliquer la mission de l’art ; traiter ces questions, c’est expliquer le devoir de la pensée humaine envers l’homme. […] Il n’a point hésité à aborder ces questions complexes de l’art et de la civilisation sous leurs faces diverses, multipliant les horizons toutes les fois que la perspective se déplaçait, et acceptant toutes les indications que le sujet, dans sa nécessité rigoureuse, lui offrait.

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