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632. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Ce ne sont pas, chez Hésiode, ces rois pasteurs de peuples que l’on rencontre à chaque pas dans Homère ; il les appelle, au contraire, en tant que juges, « dévorateurs de présents ». […] « Celui qui se fie à la femme se fie aux voleurs », ajoute Hésiode ; il l’appelle enjôleuse et babillarde, et d’un autre mot encore qui revient à dire que, dans son ardeur de se parer, elle se met tout « sur le dos, sur les hanches ». […] Poète des champs, pourquoi se montrer agressif contre ceux que vous appelez de libres penseurs, et dont quelques-uns sont de grands talents ? […] Ce n’est pas tant d’avoir évité de nommer les oiseaux qu’il décrit, d’avoir dit : L’oiseau sur qui Junon sema les yeux d’Argus, pour le paon, ou L’aquatique animal, sauveur du Capitole, pour l’oie ; ce n’est pas tant de n’avoir osé nommer la cage que comme un toit d’osier où pénètre le jour , et de ne s’être point résigné à appeler un chat un chat, mais L’animal traître et doux, des souris destructeur ; ce n’est pas tant de ces travers de détail et de tous ces méfaits de fausse élégance que je le blâme ; c’est surtout d’avoir mal observé et connu son sujet. […] Ce sont celles-là, je le conçois, que l’on prise avant tout, et les seules même que l’on appelle et que l’on commande, quand on est Auguste ou Louis XIV.

633. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Elle cherche, elle rêve, elle appelle je ne sais quoi d’inconnu. […] Bref, Mâtho, toujours poussé par les épaules, après avoir traversé en tremblant des scènes de fantasmagorie bizarre dignes de la franc-maçonnerie, se saisit du voile impossible appelé Zaïmph, que Spendius a osé décrocher le premier et qu’il a jeté à terre. […] Mais elle revient à elle ; elle frappe, et appelle ses suivantes, ses serviteurs, en criant au secours ! […] La bête furieuse l’enveloppait du battement de ses ailes ; il l’étreignait contre sa poitrine, et à mesure qu’elle agonisait, ses rires redoublaient, éclatants et superbes comme des chocs d’épées. » Est-ce donc que le génie d’Hannibal appelle avec lui l’idée d’une si fabuleuse enfance ? […] Il y a ce qu’on appelle l’âme d’une œuvre ; cette âme ne saurait être indifféremment et partout la même, n’importe l’œuvre ; mais surtout elle ne doit pas être toujours et uniquement, par préférence et par choix, le vice malicieux ou la bagatelle.

634. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

faut-il fendre la tête pour découvrir ce que Pascal appelle la pensée de derrière ? […] Oui, tandis qu’il aspirait à continuer Cervantes et à monter en croupe derrière lui sur ses poétiques inventions, il l’appelait, pour tout remercîment, « vieux et manchot. » M. G. de Lavigne a beau vouloir discuter et diminuer l’injure, la mauvaise plaisanterie ou l’allusion (comme il voudra l’appeler), elle a été proférée et elle reste écrite. […] G. de Lavigne, par une sorte d’émulation fâcheuse, il ne craint pas d’appeler ce charmant Cervantes « un esprit léger, frivole et vagabond. […] Cervantes fut frappé de la richesse que lui offrait l’idée d’un enthousiaste héroïque qui se croit appelé à ressusciter l’ancienne chevalerie : C’est là le germe de tout son ouvrage, Il sentit en poëte tout ce qu’on pouvait faire de cette idée… » Un autre critique distingué par son savoir et ses consciencieuses lectures, mais doué aussi d’une ingénuité de jugement parfois excessive, Sismondi, dans son Cours sur les littératures du Midi, professé à Genève devant un auditoire qui riait peu, se chargea de reprendre et de développer la pensée de Bouterwek.

635. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Le recueil de Poésies que j’ai sous les yeux et qui n’est guère qu’une seconde édition revue, corrigée, avec additions et retranchements (le premier recueil de 1854 s’appelait les Vignes du Seigneur), s’ouvre par un portrait de l’auteur en lunettes et par une préface biographique en vers. […] Solar l’appela à Paris quand il fonda l’Époque, cette feuille immense pour le temps. […] Monselet (car ici je l’appellerai monsieur), a donc voulu réhabiliter Fréron ; il n’est pas le premier qui l’ait tenté ; je me rappelle, il y a bien des années, avoir entendu là-dessus, à l’Athénée, une leçon de notre ami Jules Janin qui fit précisément la même tentative. […] C’est un bon vivant, qui a fait de bonnes études et qui a ce qu’on appelle en rhétorique du goût, mais fermé ou indifférent à toute idée de progrès, à toute vue élevée, neuve, et qui sort de la routine. […] L’Almanach des Gourmands, qui a succédé (1862), rapporta à son auteur un si grand nombre de cadeaux, bourriches, pâtés, etc., qu’il lui devint indispensable d’appeler autour de lui un jury dégustateur, composé d’hommes experts, « pour l’aider, disait-il, à se prononcer sur le mérite de ces envois. » Il faut voir comme il en parle.

636. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Modelon sur la vie, les malheurs et les pensées dernières d’un homme auquel il a voué un culte, et je crois pouvoir en effet appeler l’attention sur cette personnalité énergique et orageuse de Veyrat qui n’a fait que traverser autrefois notre monde parisien, qui n’y avait laissé qu’un souvenir vague, peut-être même équivoque, et qui ne s’est révélée entièrement, qui ne s’est expliquée ou justifiée au vrai dans ses conversions et ses repentirs qu’après le retour de l’exil et aux yeux de ses compatriotes. […] Ceux qui ont ressenti quelque étincelle de la même ardeur contre ce qu’on appelait alors le système du 13 mars ne sauraient s’étonner de leur indignation juvénile : le pire est que le talent n’y répond pas. […] … Il appelle Barthélémy un géant, et ce mot de géant revient souvent sous sa plume. […] Et à ce propos de redingote verte, il affectionnait ce genre de couleur qui le faisait appeler le comte Vert, d’un nom cher aux amis de l’antique Savoie. […] Les injures n’avaient pas suffi : on en avait appelé au poignard… Toutes ces folies ne sont pas neuves, et l’ellébore ou le quinquina n’est pas trouvé, qui guérisse ces fièvres de cerveau.

637. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Il n’avait jamais cherché ni faveur ni place, ce qu’on appelle position, sous le régime où ses amis étaient tout ; il ne s’est pas jeté dans l’agitation ni dans les vagues poursuites, depuis qu’il y a eu naufrage. […] Il s’est fait un style qui, dans ses bons jours et quand le soleil rit, est vif, gracieux, enlevé, fait de rien, comme ces étoffes de gaze, transparentes et légères, que les anciens appelaient de l’air tissé. […] Ces femmes-là, sur le trône, s’appellent Élisabeth, Catherine. […] Janin a pris la plupart des noms qui figurent dans son livre ; je dis les noms, car il a donné aux personnages un tout autre caractère, et les a complètement métamorphosés. à partir d’un certain moment, l’institut de l’Enfance étant devenu suspect, la Cour donna ordre de le surveiller étroitement et d’y introduire des espions, ce qu’on appelait dès lors des mouches. […] Ce livre s’appelait Le Cri de l’Innocence opprimée.

638. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Quand nous étions jeunes et que nous entendions ceux qu’on appelait alors les hommes de l’Ancien Régime raisonner de politique, que disaient-ils ? […] L’autre jour, j’entendais causer un homme de grand esprit, un ancien ministre de l’Instruction publique sous Louis-Philippe, et qui a, durant des années, administré, sous un titre ou sous un autre, cette branche importante du pouvoir ; il critiquait les innovations récentes apportées dans l’enseignement ; et, sur quelques observations générales qui lui étaient faites, et qui méritaient au moins d’être écoutées : « Je crois à la vérité absolue, s’écria-t-il en rompant la conversation, je crois au bien. » Il appelait apparemment le bien ce qu’il avait fait ; le mal, c’était ce que faisaient les autres. Nous sommes tous plus ou moins tentés de parler ainsi, si nous nous livrons à la vivacité de notre premier mouvement et si ce que Pascal appelait la pensée de derrière ne nous avertit. […] Avez-vous jamais réfléchi à ce que c’était que ces hommes de la Chambre de 1815, dont en général les montres s’étaient arrêtées subitement au 18 Brumaire, et qui, après quinze ans d’isolement, de colère ou de bouderie à l’écart, se virent un jour appelés à l’exercice d’un gouvernement nouveau et à remettre en vigueur les formes parlementaires et délibératives ? […] Voilà ce qu’on appelle des exemples édifiants.

639. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Les génies français formés par eux appellent du fond de l’Europe les étrangers, qui viennent s’instruire chez nous et qui contribuent à l’abondance de Paris. […] On appelle aussi pièces de poésie certains ouvrages en vers d’une médiocre longueur. […] Il divise les fables, en fables simples et en fables implexes ; il appelle simples, les actions qui, étant continues et unies, finissent sans reconnaissance et sans révolutions ; il appelle implexes, celles qui ont la révolution ou la reconnaissance, ou, mieux encore, toutes les deux. […] La fable, soit tragique, soit comique, est ce qu’on appelle plus ordinairement le roman de la pièce.

640. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Les six nouvelles qui forment les Païens innocents s’appellent : la Gloriette, — le Curé de Minerve, — le Dernier Flagellant, — l’Hercule chrétien, Jean de l’Ours, — l’Histoire de Pierre Azam, — et la Chambre des Belles Saintes, et elles sont, à notre avis, de petits chefs-d’œuvre d’expression, comme doit l’être, de rigueur, cette simple création d’une nouvelle, intaille ou relief d’une seule idée, travaillée avec les caresses de l’Amour. Moraliste aux nuances fines, observateur qui s’attendrit en raillant, peintre gai, mais dont la gaîté touche si joliment à la mélancolie, enfin paysagiste vivant par-dessus tout cela, voilà ce que nous a paru Hippolyte Babou en ces nouvelles, d’une valeur inégale entre elles, mais toutes de cette distinction, recherchée et obtenue, qui appelle non pas les tapages, — abyssus abyssum invocat, — mais la distinction du succès. […] C’est, dans la Chambre des Belles Saintes, dom Bazin et sa sœur Bénigne, ce dom Bazin qui était bénédictin et que l’on n’appelle plus que le Malédictin, par risée, parce qu’il est de ces mauvais qu’on adore, une de ces combinaisons, délicieuses et contrastées, de la bonté du cœur et de la malice de l’esprit. […] Je n’ai pas à défendre ce livre, sur lequel j’ai appelé le premier le bruit et la lumière, pas plus qu’à m’étonner de ce que les hommes qui invoquent le plus l’autorité de Burckhard contre Alexandre VI, et trouvent très bonne l’histoire des vices de ce Pape, trouvent mauvaise l’histoire des vices de Voltaire et abominent Nicolardot pour l’avoir écrite, en les flétrissant. […] Je le lui fais au nom de son talent, qu’il a cessé d’avoir dans cette lettre, de son esprit, toujours si fidèle, qu’il a appelé et qui n’est pas venu !

641. (1925) Portraits et souvenirs

Pourtant, il a ce qu’il appelle des principes, et qui lui font préférer ce qu’il nomme « les méthodes difficiles ». […] Baudelaire, en effet, est loin d’être ce qu’on pourrait appeler un « épistolier ». […] Ailleurs, le sourire ingénieux et enivré de Théodore de Banville m’appelle et me retient. […] Jadis, ce qu’on appelait le bois avait été un parc à l’anglaise. […] Quand il m’appelait, j’accourais au plus vite.

642. (1864) Le roman contemporain

Sainte-Beuve l’avait appelé Amaury, madame Sand Octave, M. Feydeau l’appelle Roger. […] Janin appelle « d’agréables niaiseries » ? […] J’avais soixante ans quand mon pays m’a appelé ; j’ai obéi. […] On l’appela la petite Fantine.

643. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

M. de Lamartine avait appelé l’Italie la terre des morts. […] Bulwer appelle nation de penseurs et de critiques. […] Bulwer appelle la vraie philosophie de la vie. […] Bulwer appelle le Calvaire poétique. […] Bulwer appelle un drame historique.

644. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Renan a eu, certes, ce qu’on appelle une bonne presse. […] Homais l’aurait appelé un homme de foi. […] Henri Lavedan, la Noblesse s’appelle le prince d’Aurec, et l’argent s’appelle le baron de Horn. […]Appelle-moi encore papa, comme quand tu étais petite ! […] Il s’appelle le Père Vignal et c’est le lion du Carême cette année-là.

645. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Mais, encore une fois, des conseils aussi vagues, des préceptes aussi généraux, des espérances si mal justifiées, je n’appelle pas cela avoir eu des idées. […] Il s’appelait Malherbe ; il avait peu produit ; et il avait une cinquantaine d’années : cette considération d’âge n’est pas inutile à une juste appréciation de son œuvre et surtout de son rôle. […] Mais c’est peut-être davantage encore l’étrange confiance que Perrault semble y mettre dans ce que l’on appelait alors le sens individuel. « Est-ce que vous trouvez cela beau ?  […] Comment, en effet, définirait-on mieux ce que nous appelons aujourd’hui l’évolution des genres ? […] C’était le cas de Chateaubriand, c’était celui de l’auteur de la Préface de Cromwell ; — et c’est ce qu’on peut appeler l’excès de l’individualisme en critique.

646. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Cet élément de certitude que nous donne le sentiment s’appelle d’un beau nom. […] Je ne l’ai pas appelé. […] Je ne l’ai pas appelé. […] S’appelle-t-il Balzac ou de Balzac ? Je crois qu’il s’appelait Balzac, mais qu’on doit l’appeler de Balzac, puisqu’il signait ainsi.

647. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Nous appellerons les Espagnols. […] On l’appelait Yeyette. […] Elle s’appelait Germaine Necker, baronne de Staël. […] Au Vaudeville, on admirait un pot-pourri qui s’appelait Piron chez Procope. […] Le candidat s’appelait M. 

648. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Je l’appellerai, faute d’un meilleur terme, le tour d’esprit cosmique. […] Un des conseillers s’était permis d’appeler Bouilhet un élève souvent heureux d’Alfred de Musset. […] Jamais ce que l’on appelait jadis le mal du siècle ne s’est épanché en un flot de spleen plus corrosif et plus âcre. […] Taine l’appelle un fait dominateur. […] Tout enfant, ses camarades l’appelaient à la tour », à cause de son ampleur précoce.

649. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Préface »

Aussi convient-il d’encourager tous ceux qui, appelés par leurs fonctions à vivre au contact de populations aussi mal connues de nous que le sont encore les Noirs de l’Afrique Occidentale, ont eu la patience et le talent d’écouter parler les indigènes et de recueillir de leur bouche les contes merveilleux ou légendaires, les fables d’animaux, les apologues satiriques qui constituent le fond de la littérature orale de ces peuplades privées de littérature écrite. Par tout le continent africain, et notamment dans l’immense région qui s’étend entre le Sahara et la forêt équatoriale et que nous appelons communément le Soudan, cette littérature orale fleurit depuis des siècles et elle a acquis, de génération en génération, une richesse et une ampleur d’autant plus considérables que, sauf dans une minorité de musulmans instruits et versés dans la langue arabe, aucune littérature écrite n’est venue lui faire concurrence.

650. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Que l’observateur ne se laisse point éblouir, même par le génie ; qu’il cherche, tout en l’admirant, à en mesurer la hauteur et ne ferme pas les yeux sur ses défauts, il ne se peut rien de plus légitime et de plus digne d’un esprit indépendant et juste : mais qu’on ne voie entre les génies proprement dits et la médiocrité qui les entoure que du plus ou du moins sans démarcation aucune, sans un degré décisif à franchir, je ne saurais appeler cela que myopie et petite vue qui étudie le genre humain comme une mousse et qui n’entend rien aux esprits d’aigle. Il y a un moment où l’invention, la création en tout genre, ce qu’on appelle génie, héroïsme, commence ; les hommes, dans leur instinct, ne s’y trompent pas ; ils s’inclinent, ils s’écrient d’admiration et saluent. Là où la veille il n’y avait rien, le lendemain il y a un monde : que ce monde soit celui de Shakespeare ou d’Homère, de Molière ou d’Aristophane, de Sophocle ou de Corneille, d’Archimède ou de Pascal ; que ce soit, dans l’ordre réel, l’enchaînement des hauts faits d’un héros ou ces autres bienfaits publics émanés d’un législateur et d’un sage, il n’importe : la médiocrité de la foule, en ajoutant petit à petit tout son effort durant des années, n’aurait pu y atteindre ; tous les ingénieux Marivaux en tout genre, tous les distingués et les habiles, tous les grands médiocres (comme Marivaux lui-même les appelle), entasseraient grain sur grain pendant des siècles pour s’élever et se guinder en se concertant jusqu’à cette sphère supérieure, ils n’en sauraient venir à bout : ce sont des facultés distinctes et diversement royales, don de la nature et du ciel, qui destinent et vouent quelques mortels fortunés à ces rôles, tout aisés pour eux, d’enchanteurs de l’humanité, de conducteurs vaillants et de guides. […] Dans un petit écrit intitulé Le Miroir et où il s’agit, en effet, d’une sorte de glace ou de miroir magique dans lequel se voit représenté tout un abrégé de l’âme et de la pensée en général, toutes les façons d’être et de sentir des hommes, tout ce qu’ils sont et ce qu’ils ont été ou ce qu’ils peuvent être, en un mot un raccourci de la nature morale, il a exposé ce que nous appellerions sa philosophie de l’histoire : elle est d’un homme très réfléchi, très éclairé, et dégagé de toute espèce de prévention. […] On appelle le chirurgien qui visite le pied et à qui il faut bien le montrer : c’est là une autre scène de coquetterie, de ruse friponne, où l’analyse de Marivaux triomphe.

651. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

J’appelle bien écouter et bien lire, d’y procéder sans prévention contre l’interlocuteur ou l’auteur du livre. » C’est de la sorte aussi qu’il lisait, ses remarques l’attestent ; il ne rapportait pas tout à lui ; il jouissait en tous sens de son intelligence en s’oubliant : « César disait qu’il n’était jamais moins seul que quand il était seul. […] Quand à son style, il l’a défini lui-même en disant qu’il aime un style qui soit entrant, « comme les marchands de vin appellent un vin entrant celui qui se fait boire de lui-même. » Noble ou non, j’accepte l’image. […] M. de Paulmy, ce noble amateur de livres, dont aucun homme de lettres ne doit parler qu’avec estime et respect, avait des qualités assez différentes de celles de son père : spirituel, sage, discret, insinuant, avec une nuance de douceur que le père, dans sa rudesse, appelait doucereuse. […] Il avait cinq à six connaissances de fermes ou de filles qui lui avaient conservé de l’amitié et lui accordaient ce qu’on appelle en galanterie la petite oie (il me faut, bon gré mal gré, abréger un peu sur ce point le détail des goûts médiocrement platoniques du vieux Damon)… Avec cela, la fréquentation des bons esprits plus que des beaux esprits, d’honnêtes gens surtout ; une imagination assez pittoresque, de la sensibilité sans aucun intérêt personnel, tout en générosité, nulle bigoterie ; il arriva à une longue et saine vieillesse. C’est là le dernier aspect sous lequel nous apparaît cet homme original qui a tant écrit, tant fait de confidences sur lui-même et sur son temps, et qui offre en lui un mélange de vertueux, de cordial, de sensé, de singulier, de naïf et même de grossier, bien fait pour appeler l’étude et les explications de plus d’un moraliste.

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