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1214. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Pourquoi un livre qui n’a été écrit qu’en vue d’une nation et dans un dessein tout particulier, tout local, devient-il, presque dès sa naissance, le livre des autres nations voisines et l’enfant adoptif de tout le monde ? […] Boileau, pendant un séjour aux eaux de Bourbon, où il cherchait à se guérir d’une extinction de voix, écrivait à Racine (9 août 1687) : « Je m’efforce de traîner ici ma misérable vie du mieux que je puis, avec un abbé très-honnête homme qui est trésorier d’une sainte chapelle, mon médecin et mon apothicaire : je passe le temps avec eux à peu près comme Don Quichotte le passait en un lugar de la Mancha, avec son curé, son barbier et le bachelier Samson Carrasco ; j’ai aussi une servante : il me manque une nièce ; mais de tous ces gens-là, celui qui joue le mieux son personnage, c’est moi qui suis presque aussi fou que lui… » Les poëtes français du grand siècle, en s’écrivant avec une bonhomie qui a certes bien son prix, n’ont aucune vue critique, aucun de ces aperçus littéraires qu’on serait tenté de leur demander.

1215. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Pope, en attendant, reste un vrai poète et, sous ses défauts physiques, une des plus fines et des plus belles organisations littéraires proprement dites qui se soient encore vues. […] « Le véritable esprit (ou talent), c’est la nature, — la nature mise à son avantage ; ce qui a été souvent pensé, mais ce qui n’avait jamais été encore exprimé si bien ; quelque chose dont la vérité nous trouve convaincus déjà à première vue, qui nous rend une certaine image que nous avions dans l’esprit. » Il est pour le choix, il n’est pas pour le trop, pas même pour le trop d’esprit ou de talent : « Une œuvre peut pécher par le trop d’esprit, comme le corps peut périr par excès de sang23. » Toutes ces vérités délicates sont rendues chez Pope en vers élégants et en bien moins de mots que je n’en mets ici ; car autant que de Malherbe on peut dire de lui : D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir.

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