Des lettrés, enfin, se réclamant de leur sincérité et de leur ingénuité de nature, affirment que tout être humain a le droit de dire ce qu’il a vu, de décrire tous les milieux qui ont façonné son moi et toutes les influences qu’il a subies, — eût-il assisté aux pires débauches, eût-il vécu dans une atmosphère irrespirable de pourriture, eût-il enduré des contacts inavouables. — Si l’un d’eux est un écrivain de génie, il peut lui arriver alors de créer des livres dont l’émouvante et exécrable ardeur énerve et révolte. […] Histoire vécue plutôt que roman, c’est comme le journal de la guerre de 1870, tenu minutieusement à jour, racontant par le détail tous les événements, expliquant le retentissement et le contrecoup qu’ils eurent, sur l’heure même, dans l’intelligence, dans l’âme et dans le cœur de ceux qui en ont été les acteurs et les victimes, et unissant à une dramatique précision une chaleur et une émotion communicatives. […] Il s’est plongé dans le passé lui aussi ; il a exploré ce sol de la Savoie où sa famille a vécu longtemps. […] Henry Bordeaux ne s’intéresse qu’aux figures vraies et vivantes : il aime la vie, il comprend la passion de vivre. […] Mais cette vie ardente que l’auteur de la Peur de vivre aime à décrire, c’est la vie du devoir et non la vie éparpillée et trépidante de l’agitation dissipée.
» — On sait ce qui reste du poème rêvé par André Chénier sur la nature vue à travers la science moderne : un amas de notes où se marque le plan qui va toujours grandissant dans la tôle du poète, où l’on sent partout, à travers une prodigieuse variété de lectures, de citations, de souvenirs, un souffle irrésistible qui les anime et les soulève, et sous ce souffle impérieux et fécond des germes qui ne demandent qu’à éclore, et parmi ces semences pressées de l’ouvrage futur, quelques-unes qui lèvent déjà, qui éclatent avant le temps, par une sorte d’impatience, produisant des fragments admirables, ou des vers d’une vitalité prématurée, de ces vers qui vivent, bien qu’isolés, d’une vie propre et qui entrent d’emblée dans la mémoire des hommes, où ils ne meurent plus. […] Et déjà là commence en même temps l’implacable loi de vivre aux dépens des autres, la concurrence vitale qui conclut à l’immolation des faibles. Tout vivant n’a qu’un but : persévérer à vivre ; Même à travers ses maux, il y trouve plaisir ; Esclave de ce but qu’il n’eut point à choisir, Il voue entièrement sa force à le poursuivre. […] La Beauté n’a d’importance que parce que c’est à elle qu’a été confiée l’intégrité du moule de la race. — L’amour maternel n’est qu’un instinct de la chair et du sang dont la Nature a besoin pour faire vivre l’enfant, trop faible pour se nourrir lui-même. […] Mais il n’a pas réussi suffisamment à faire vivre son sujet ; l’abstraction l’a attiré dans ses abîmes ; il en a eu le vertige.