/ 2192
661. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

La pompe fut digne du peuple romain et du premier des poètes vivants ; le Capitole revit les jours antiques ; le procès-verbal de la cérémonie, que nous avons sous les yeux, porte : « Pétrarque a mérité le titre de grand poète et de grand historien, et, en conséquence, tant par l’autorité du roi Robert de Naples que par celle du sénat et du peuple romain, on lui a décerné le droit de porter la couronne de laurier, de hêtre ou de myrte, à son choix ; enfin on le déclare citoyen romain, en récompense de l’amour qu’il a constamment manifesté pour Rome, le peuple, la république, etc. » Cette gloire officielle ne fit rien à son bonheur et déchaîna contre lui plus d’envie. […] Supplice cruel par lequel un peuple toujours vivant est encadré dans une nationalité, non pas morte, mais ensevelie. […] Nous allons perdre une compagne qui était l’âme de nos plaisirs innocents ; une amie qui nous consolait dans nos chagrins, et dont l’exemple était pour nous une leçon vivante. […] » Écoutez encore : « Si un doux gazouillement d’oiseaux, si un suave froissement de vertes feuilles à la brise d’automne, de l’été, si un sourd murmure d’ondes limpides je viens à entendre sur une rive fraîche et fleurie, « Dans quelque lieu que je me repose pensif d’amour pour écrire d’elle, celle que le ciel nous fit voir et que la terre aujourd’hui nous dérobe, je la vois et je l’entends ; car, encore vivante, de si loin elle répond intérieurement à mes soupirs. […] « Et vivante et belle, et sans voile elle a fait son ascension vers le ciel ; de là elle règne sur moi, et elle régit toutes mes pensées.

662. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Il avait la bienséance de la vérité ; il plaisait, il intéressait, il émouvait ; on sentait dans sa mâle beauté le fils d’une de ces belles Arlésiennes, statues vivantes de la Grèce, qui palpitent dans notre Midi. […] Nul ne sait mieux ce qu’il a voulu dire ; notre français à nous serait un miroir terne de son œuvre : le sien à lui est un miroir vivant. […] Abandonné dans le désert des champs avec les étoiles pour compagnes, là le pauvre adolescent avait passé la nuit, et l’aube humide et claire, en frappant sur ses paupières, lui avait rouvert les yeux et ranimé la vie dans ses veines froides. » Ici le poète, pour peindre le déchirement de cœur de Mireille à l’aspect de son amoureux baigné de sang, invoque toute la pléiade fraternelle des Provençaux vivants, « Roumanille le premier, Aubanel, Anselme, et toi, Tavan, qui confonds ton humble chanson avec celle des grillons bruns qui examinent ton hoyau quand il fend la glèbe ; et toi aussi, Adolphe Dumas, qui trempes ta noble lyre dans l’écume de notre Durance débordée !  […] Bien des génies littéraires morts ou vivants ont évoqué dans leurs œuvres leur âme ou leur imagination devant nos yeux pendant des nuits de pensive insomnie sur leurs livres ; nous avons ressenti, en les lisant, des voluptés inénarrables, bien des fêtes solitaires de l’imagination. Parmi ces grands esprits, morts ou vivants, il y en a dont le génie est aussi élevé que la voûte du ciel, aussi profond que l’abîme du cœur humain, aussi étendu que la pensée humaine ; mais, nous l’avouons hautement, à l’exception d’Homère, nous n’en avons lu aucun qui ait eu pour nous un charme plus inattendu, plus naïf, plus émané de la pure nature, que le poète villageois de Maillane.

/ 2192