Comme il est probable que le voyage actuel est le dernier que j’entreprendrai, je tente de pomper le plus possible et de ramasser les miettes, afin de n’avoir aucun regret par la suite et d’avoir dans mon sac tout le butin nécessaire pour achever le bout d’existence qui nous reste, dans notre solitude de Versailles, qui s’augmentera tous les jours ; car, à nos âges, les jeunes se séparent de vous, et les vieux disparaissent dans le grand trou où chacun de nous va se faire oublier… » Il vient une heure, un moment où, bon gré mal gré tout s’obscurcit en nous et autour de nous. […] Quand je serai vieux, pourquoi me respecterait-il moins qu’un invalide ? […] Nommé colonel de la garde nationale de Versailles, il fit son devoir en parfait grognard, et ceux qui l’ont vu à cette époque, qui l’ont rencontré à Paris dans les journées de juin 1848 au poste de l’Institut qu’il était chargé de garder, savent à quel point il était dans son rôle de citoyen en armes ou plutôt de vieille moustache, strict et ferré sur la discipline. […] J’ai promis quelques tableaux, je vais les faire. » « La montre marche toujours, mais les aiguilles ne marquent plus rien : autrement dit, ma vieille toiture33 est encore là, mais le cadran n’indique plus ce que je voudrais faire comprendre. » Nous savons des existences heureuses et qui le sont jusqu’au dernier jour de l’âge même le plus avancé ; ce sont là d’insolents et aussi de trop frivoles bonheurs.
En revanche, les Mélanges du prince de Ligne, arrangés et publiés par Mme de Staël, « une vraie crème fouettée », obtiennent un succès fou ; ils ont jusqu’à trois et quatre éditions de suite dans la même année (1809) : « Et toute cette gloire, remarque Sismondi, a un peu consolé le vieux général des malheurs de sa patrie. » C’était l’année de Wagram en effet, et ce succès disproportionné qu’on faisait à un livre léger s’explique très-bien par la générosité française, j’aime à le croire, et aussi par ce goût d’opposition naturel de tout temps à certains salons. […] Je suis encore en relation avec Mme de Tessé, la plus aimable et la plus éclairée des vieilles que j’ai trouvées ici ; avec M. […] Il était, en effet, de retour à Paris dès janvier de cette année 1815 ; il y vit de près les fautes des Bourbons, leur appel ou leur assentiment aux vieilles passions et aux préjugés réactionnaires : le cercueil de Mlle Raucourt repoussé de Saint-Roch ; la pompe funèbre de Louis XVI allant remuer les haines de la Révolution ; la faiblesse surtout et la débilité sénile au début d’un régime et d’un règne. […] Lui-même, il poussait la charité dans l’habitude de la vie jusqu’à donner la préférence, pour le labour de son champ, au journalier le plus lent et le plus vieux ; pour les réparations de sa maison, à l’ouvrier le moins en vogue.