En prenant pour sujet l’histoire de Venise, il se donnait une ample et neuve matière dans laquelle trouveraient place naturellement toutes les observations de sa vie publique et les fruits de son expérience sur les gouvernements et sur les hommes. […] On aurait voulu dans l’Histoire de Bretagne plus de couleur et d’imagination populaire, plus de souffle poétique et de vie, — cette vie dont on a depuis tant abusé. […] Lui-même il a résumé, mieux que je ne pourrais le faire, toute sa vie considérée selon cet ordre littéraire continu, et dans laquelle la politique, vue en arrière, ne lui paraissait presque plus avoir été qu’un accident : J’ai trouvé, disait-il, dans l’étude des lettres, au bout d’une vie déjà longue et traversée par bien des événements, un grand charme, une grande utilité, souvent de grandes consolations. […] Enfin, les revers, les chagrins sont venus ; peu de vies en sont exemptes : j’ai dû alors au goût et à l’habitude du travail les seuls remèdes que l’on puisse opposer soit au vide de l’âme qui suit souvent la perte du pouvoir, soit aux épreuves qui vous frappent dans la vie de ceux que l’on aime. […] On sentait l’homme qui, en tout, allait au fait, qui savait le prix d’un instant, qui dans sa vie avait beaucoup ordonné et beaucoup obéi : la bonté qui s’y mêlait dans les relations habituelles en avait plus de valeur.
Jetons un regard sur nous-mêmes, et demandons-nous si dans notre vie, dans notre cœur, depuis l’âge de la jeunesse jusqu’à celui des dernières années, il n’y a pas de ces distances infinies, de ces abîmes secrets, de ces ruines morales peut-être, qui, pour être plus cachées, n’en sont pas moins réelles et profondes. […] Il a parlé quelque part de Fontenelle, celui de tous les êtres qui lui ressemblait le moins assurément, le plus patient des hommes, le plus disposé à prendre les autres comme ils sont, et qui, dans une vie de quatre-vingt-dix-neuf ans, ne s’était jamais mis une seule fois en colère. […] J’aurais traîné, dans ce désert moral, une vie inutile, me consumant d’ennui et de chagrin. […] M’est-il permis de dire, sur ce moment décisif de sa vie, quelque chose que je sais bien ? […] Un homme qu’il combattit toute sa vie et qui ne le rencontra jamais en face (tant Lamennais était toujours en deçà ou au-delà), M.