Molé avait déjà dit autrefois à M. de Tocqueville entrant dans la vie publique, il a paru croire que l’expérience seule avait manqué à ce dernier, pour le rendre plus équitable et plus indulgent envers le pouvoir, et que M. de Tocqueville, après en avoir tâté lui-même, après en avoir senti le poids, aurait été moins rigide pour ceux qu’un abîme ne séparait pas de lui. […] Mais il n’est jamais donné aux hommes de recommencer ainsi exactement leur vie ; le jeu serait trop aisé, la partie serait trop belle. […] Mais cette expérience toujours à propos et toujours renouvelée, que je demande ici, je vois que très peu d’hommes la possèdent, et beaucoup de ceux même qui passent pour sages sont tout prêts, en avançant dans la vie, à commettre et à recommencer, dans un ordre un peu transposé, précisément les mêmes fautes.
Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] « 12 juin 1832. » Tout l’avenir d’un homme marquant est contenu à l’avance dans chaque moment de sa vie : il ne s’agirait que de le dégager. […] Et maintenant, si de ces hauteurs nous descendons à de menus détails littéraires, à ces petites choses auxquelles pour ma part j’attache de l’importance, j’ai besoin de rectifier sur quelques points le passage, très-bienveillant d’ailleurs et tout favorable, qui m’est accordé dans le livre de biographie domestique intitulé : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie ; on y lit (t.