Puisqu’on est franc, elle va répondre avec franchise à son tour, et elle raconte sa vie, comment elle fut sacrifiée à dix-sept ans à des arrangements de famille, quels furent les premiers pièges qu’on lui tendit dans une société médisante et rétrécie, quelles fausses amies essayèrent de s’insinuer près d’elle, quels adorateurs elle eut d’abord à évincer. […] M. de Montperreux est un brétailleur qui passe sa vie dans les salles et sait se battre, tout coquin qu’il est. […] Vous avez vingt-six ans, bientôt l’amour ne sera plus l’occupation essentielle de votre vie. […] que ne puis-je vous apprendre à jouir tranquillement du plus délicieux état de la vie ! […] Pendant neuf mois Mirabeau, caché à Amsterdam avec Sophie, mena une vie de labeur, une vie d’homme de lettres à la solde des libraires, et qu’il a appelée à la fois disetteuse et heureuse, la plus heureuse, disait-il, qu’il eût jamais connue.
I Tout le comique et tout le drame de la vie tiennent dans l’intervalle compris entre ces deux lignes figurées, et l’œuvre de Flaubert a mis en relief l’un et l’autre de ces deux aspects du vice intime sur lequel son attention est demeurée fixée. […] Il a tout apprêté dans sa vie en vue de cette éventualité qui ne se réalise pas, et ce faux espoir le dissuade de tenter tout effort pour tirer parti de facultés plus modestes, qu’il renie, dont il est doué, et qui l’eussent mis dans la vie à sa vraie place. […] Acculée à l’aveu, Emma préfère le suicide : elle paye de sa vie cette fauté de critique de s’être conçue autre qu’elle n’était, cette présomption d’idéaliste d’avoir tenté d’asservir le réel à l’imaginaire. […] Il l’a nommée le mal de la Pensée, de « la Pensée qui précède l’expérience au lieu de s’y assujettir »1, « le mal d’avoir connu l’image de la réalité avant la réalité, l’image des sensations et des sentiments avant les sensations et les sentiments… »2 C’est, dit-il à l’occasion des personnages de Flaubert, à cette image anticipée, « à cette idée d’avant la vie que les circonstances d’abord, puis eux-mêmes font banqueroute » 3. […] Or cette manière commune, et que l’on peut appeler raisonnable, de considérer la médiocrité de l’univers, n’est point le signe qu’elle est guérie, c’est le signe que ce qui était en elle le principe de la vie l’abandonne.