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1154. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Si l’exercice même d’un seul bataillon ne vous transporte pas, si vous ne sentez pas la volonté de vous trouver partout, si vous y êtes distrait, si vous ne tremblez pas que la pluie n’empêche votre régiment de manœuvrer, donnez-y votre place à un jeune homme tel que je le veux : c’est celui qui sera fou de l’art des Maurice, et qui sera persuadé qu’il faut faire trois fois plus que son devoir pour le faire passablement. […] Si l’on allait plus au fond, même sans prétendre au technique, on trouverait les caractères des divers généraux vivement dessinés d’après leurs actions mêmes : le maréchal Daun, prudent, circonspect, méthodique, à qui il arrive un jour de galoper pour la première et la dernière fois de sa vie, et qui, après la victoire de Hochkirch, se met à écrire à Marie-Thérèse pour sa fête de sainte Thérèse la relation de la victoire, au lieu de donner les derniers ordres pour la poursuivre ; il s’appuie sur une pierre pour écrire : « Cette pierre-là fut notre pierre d’achoppement », dit le prince de Ligne qui aimait les jeux de mots, surtout si dans ces gaietés sur le mot il y avait de l’imagination. […] Dans les entretiens qu’il eut avec Frédéric au camp de Neustadt (1770), la conversation étant venue à tomber sur la religion, le roi se mit à en parler librement et peu décemment, comme il faisait avec les La Mettrie et les d’Argens : « Je trouvai, dit le prince de Ligne, qu’il mettait un peu trop de prix à sa damnation et s’en vantait trop… C’était de mauvais goût au moins de se montrer ainsi… Je ne répondis plus toutes les fois qu’il en parla. » Avec Voltaire, autre souverain, chez qui il va faire un séjour à Ferney, et dont il nous rend la conversation, les gestes, les incongruités même dans tout leur déshabillé et leur pétulance, il a plus d’un propos sérieux : « Il aimait alors, dit-il de Voltaire, la Constitution anglaise. […] On a fait un pas depuis dans le culte de la nature ; je ne dis pas qu’on aime beaucoup plus à être seul qu’autrefois, mais on a moins peur de l’être, et on trouverait moins d’amateurs des jardins qui diraient avec le prince de Ligne : « J’ai toujours tant aimé la société quelconque, que je me suis défait, il y a quelque temps, presque pour rien, d’un Salvator Rosa, parce qu’il n’a que des déserts, et que les déserts ont l’air de l’anéantissement. […] L’habitude de ce genre de beautés renouvelait ses jouissances au lieu de les diminuer, ce qui est le grand signe en toutes choses qu’on aime : « Je m’aperçois tous les jours de plus en plus, disait-il, qu’on ne se lasse pas du beau spectacle de la nature. » Pour conclure avec lui sur les jardins, sa morale pratique en ce genre est qu’il faut « en chercher et n’en pas faire », reconnaître et trouver les points de vue existants, les mouvements de terrain naturels, se contenter de les dégager, et non vouloir les créer à toute force ni les construire.

1155. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Au xviie  siècle, Claude Ménard crut avoir trouvé un bon manuscrit et s’appliqua à le publier plus fidèlement (1617) ; ce n’était pourtant qu’un texte encore inexact et fort rajeuni, ou plutôt privé en partie de sa jeunesse. […] Il a de ces notions particulières sur beaucoup de choses ; mais, quant aux faits véritables, on ne saurait trouver plus naïf témoin. […] Joinville, en y débarquant, trouve encore à s’émerveiller quand il voit les grandes provisions, tant de vins que d’orge et de froment que le roi y a amassées ; il a des images pittoresques pour nous les faire voir en passant. […] Meyer, l’œil de lynx le plus perçant, la plume la plus exigeante d’exactitude et qui ne laisse rien passer, et j’y trouve quantité de remarques et nombre de leçons meilleures proposées pour l’avenir. […] [NdA] Dans le premier chant de Childe-Harold, Byron ou le héros-poète en qui il se personnifie a trouvé moyen de quitter sa terre natale d’une manière poétique et toute à lui.

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