La philosophie de Grimm est triste, elle est aride : il est sceptique, et, les jours où il l’est pour son propre compte, il l’est sans sourire : nous y reviendrons. […] La politique de Grimm est triste, sceptique, ou volontiers négative comme sa philosophie. […] Ces tristes idées qu’il avait de tout temps nourries, et où il faisait bon marché de la majorité de l’espèce, durent lui revenir plus habituelles et plus présentes dans les années de sa chagrine vieillesse, après qu’il eut perdu tous ses amis, et quand le monde, bouleversé en apparence, se renouvelait autour de lui d’une façon si étrange.
Tourguénef nous emmène à Bade, dans les salons de l’aristocratie russe, ou qu’il nous fasse entendre les paroles mystiques du nain Caciane, au fond d’une forêt du gouvernement de Kalouga, ou que ce soit la vie infiniment triste et monotone d’un propriétaire végétant seul au milieu des boues de son bien qu’il nous montre, immédiatement, de plain-pied, nous pénétrons dans le cercle de ces existences lointaines ; comme séduits par une incantation, nous prenons notre part à d’autres souffrances et à d’autres passions que les nôtres, jusqu’à ce que le rayon de nos émotions et de notre expérience comprenne toute une époque et toute une terre, où nous emporte une illusion aussi complète et aussi impérieuse qu’un rêve. […] Dans toutes ses investigations, Tourguénef porte une mansuétude sage, une vertu d’observateur triste, des qualités de pénétration et de sympathie. […] En lui l’observateur est indulgent parce qu’il comprend, mais il est triste aussi parce qu’il comprend.