Les parnassiens dépersonnalisèrent, objectivèrent l’inspiration ; ils interdirent à la Muse la passion, à leur gré trop tumultueuse pour les beaux plis de sa tunique, et l’enfermèrent, selon une formule depuis lors banalisée, dans la Tour d’Ivoire. […] Mais, bien qu’ils y revinssent toujours comme en leur citadelle inexpugnable, les parnassiens sortirent souvent de la belle tour close où ils adoraient à l’écart l’idole hiératique : témoin Leconte de Lisle, dont la poésie, si impassible qu’elle veuille être, laisse souvent deviner la pensée généreuse et entendre le cœur palpitant ; témoin Sully Prudhomme, si préoccupé de justice et de bonheur, et qui loua André Chénier d’avoir uni Le laurier du poète à la palme du juste ; et Anatole France, dont les Noces corinthiennes ont pu sembler, vingt ans après avoir été écrites, une pièce d’actualité ; et le tendre et nostalgique Dierx, et Catulle Mendès, dont la fantaisie est si moderne, et Coppée, penché sur les humbles, et Heredia enfin, le somptueux conquistador épris des époques reculées et des rivages lointains, qui un jour, se souvenant qu’il était un homme d’aujourd’hui et appartenait à un « peuple libre », consentit à dresser un beau « trophée » en plein Paris, sur le pont Alexandre. […] Ils habitèrent la Tour d’ivoire un étage au-dessus des parnassiens, plus loin encore de la terre. Et la Tour d’Ivoire des parnassiens était du moins, elle, éclatante au soleil ; certains symbolistes amassèrent une nuit presque impénétrable autour de leur demeure, et ce fut souvent la Tour d’Ébène.
Nisard, ait penché à son tour du côté de l’autorité et de la règle en littérature. […] N’a-t-il pas à son tour trop abondé dans son propre sens ? […] La littérature française a ainsi passé à plusieurs reprises par certaines manies qui ont duré un jour, ont enchanté les ruelles ou les salons pendant une saison, et ont disparu chacune à son tour : le précieux, le galant, le grotesque, le pompeux, le pleureur, le voluptueux, le lugubre, l’imitation italienne, espagnole, anglaise, allemande, grecque, tous ces faux goûts ont successivement succombé ; mais à côté de ces fausses beautés il y en avait d’autres vraies, générales, durables, qui ont subsisté. […] L’homme de génie, dites-vous, n’est que l’écho de la foule ; mais cette foule elle-même, je le demande, où a-t-elle pris cette somme générale de vérité et de raison que l’écrivain supérieur viendrait à son tour exprimer ? […] Ce n’est plus la raison toute seule qui juge : c’est la raison unie à une certaine humeur, à une certaine passion, à un certain tour d’esprit, c’est de la critique personnelle.