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465. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

ajoute Diderot, elle a eu raison ; il vogue, il touche à la plage inconnue. […] J’aime qu’il reproche à La Mettrie de n’avoir pas les premières idées des vrais fondements de la morale, « de cet arbre immense dont la tête touche aux cieux, et dont les racines pénètrent jusqu’aux enfers, où tout est lié, où la pudeur, la décence, la politesse, les vertus les plus légères, s’il en est de telles, sont attachées comme la feuille au rameau, qu’on déshonore en l’en dépouillant. » Ceci me rappelle une querelle qu’il eut un jour sur la vertu avec Helvétius et Saurin ; il en fait à mademoiselle Voland un récit charmant, qui est un miroir en raccourci de l’inconséquence du siècle. […] Sans doute l’idée de morale le préoccupa outre mesure ; il y subordonna le reste, et en général, dans toute son esthétique, il méconnut les limites, les ressources propres et la circonscription des beaux-arts ; il concevait trop le drame en moraliste, la statuaire et la peinture en littérateur ; le style essentiel, l’exécution mystérieuse, la touche sacrée, ce je ne sais quoi d’accompli, d’achevé, qui est à la fois l’indispensable, ce sine qua non de confection dans chaque œuvre d’art pour qu’elle parvienne à l’adresse de la postérité, — sans doute ce coin précieux lui a échappé souvent ; il a tâtonné alentour, et n’y a pas toujours posé le doigt avec justesse ; Falconnet et Sedaine lui ont causé de ces éblouissements d’enthousiasme que nous ne pouvons lui passer que pour Térence, pour Richardson et pour Greuze : voilà les défauts. […] En prononçant le nom de femmes, nous avons touché la source la plus abondante et la plus vive du talent de Diderot comme artiste.

466. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Parmi les auteurs de Mémoires, il faut noter les deux frères Du Bellay, famille d’excellents esprits, vivant dans les grandes affaires de la première moitié du siècle et, qui les racontent, l’un dans de simples Mémoires, à la façon des chroniqueurs ses devanciers155, l’autre dans des histoires un peu fastueusement taillées sur le patron de Tite-Live, avec une certaine ambition pédantesque qui dans ce temps-là n’était pas d’un mauvais exemple156 : le Loyal serviteur, un inconnu, peut-être un des secrétaires de Bayard dont il a raconté la vie dans une chronique pleine de grâce, de facilité et de naturel, où l’admiration, au lieu d’être banale, comme dans Froissart, est toujours sentie et justifiée ; petit ouvrage charmant, du même caractère que les écrits de Marguerite de Valois, un fruit de l’esprit français touché par le premier souffle de la Renaissance157. […] Avant ce siècle, ainsi qu’il résulte des livres tant savants qu’écrits en langue vulgaire, l’idée de l’humanité est à peine touchée ; et, dans cette universelle préoccupation du présent, elle ne paraît guère qu’un souvenir involontaire qui se glisse parmi les pensées données aux choses contemporaines. […] Le livre de la Sagesse, malgré les réserves les plus explicites et les plus sincères en ce qui touche la foi, s’y substituait à l’insu de l’auteur, en réglant par la morale générale certains points que la religion seule avait réglés jusque-là. […] il touche à toutes les circonstances de la vie, il connaît tout, il dit tout, ou, comme il s’en rend le témoignage à la fin d’un chapitre sur l’honnêteté du lit nuptial, « il fait entendre sans le dire ce qu’il ne voulait pas dire172. » En tout ce qui regarde les actes de la vie secrète, il y a une grande différence entre Charron et lui.

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