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433. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

, qui renouvelle, n’a point fait pousser pour nous d’inconnu dans cette vieille connaissance, laquelle nous tend aujourd’hui, de sa main saltimbanque, comme autrefois, ce tambour de basque doctrinaire dans lequel foisonnent et vibrent toujours ces antinomies que nous avons trop entendues… Hélas ! […] Permettez qu’avant d’en venir là il tende son chapeau à l’auditoire et fasse sa toute petite recette. […] Proudhon, au contraire, d’un cœur trop tendre pour rester virginal comme Newton, fut aussi chaste que tendre avec les femmes, — et les femmes, c’est encore trop dire, car il n’en a peut-être aimé que deux : celle qu’il épousa, et la jeune fille qui se réfugia en Suisse (nous dit sa Correspondance) et que les tristes nécessités de sa première jeunesse ne lui permirent pas d’épouser. […] L’ours donne la patte comme il peut la donner… Le grand Sagittaire qui savait tendre l’arc d’Hercule contre le capital, la propriété, la religion et tous les systèmes qui ne sont pas le sien, le détend et joue avec sa corde détendue, non pas gracieusement, — car la grâce n’a pas été plus accordée à Proudhon qu’à Rousseau, ces lourds, — mais avec une bonne humeur charmante, une gaieté gauloise que ne connaissait pas l’aigre Genevois sorti de Calvin.

434. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

« Quand je songe — disait-il, en les voyant paître, — qu’il n’y en a peut-être pas un seul de tendre !  […] Eh bien, je l’avoue, ce livre de MM. de Goncourt, qui est la première marche supérieure de l’escalier menant et descendant à des livres comme ceux de Zola, m’a paru, en comparaison des livres de Zola, une composition d’une mesure, d’un gouverné, d’un équilibre, d’un fini et d’un style qui est, selon moi, le dernier pas qu’on puisse faire — sans tomber — du côté où les romanciers de l’heure présente, les littérateurs progressifs, tendent à se précipiter ! IV Ce côté, c’est le côté du détail cru, du mot vulgaire, de cette langue de Paris qui quelquefois est un argot mêlé à la grande langue française, c’est enfin toute cette réalité d’en bas, qui, sous une autre plume moins distinguée et moins savante que celle des de Goncourt, lesquels ont gardé de l’idéal dans la pensée, tend à devenir chaque jour le plus affreux démocratisme littéraire. […] Il aurait dû y mourir de jalousie, de désespoir, de fureur, — et de reconnaissance aussi pour son tendre et héroïque frère, renonçant à son art pour mieux ressembler au frère qui ne faisait qu’un avec lui, et pour rester ainsi à jamais, tous les deux, les frères Zemganno ! […] … M. de Goncourt, métamorphosé en capucin du Naturalisme, tend la main et demande l’aumône à toute femme et fille qui a la moindre petite piécette d’un document humain à lui donner.

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