Il arrive ainsi qu’on le suit aisément, si haut qu’il aille, et que le moindre cœur tendre monte sans fatigue avec lui. […] Les endroits quelque peu vifs de passion et de tendre amorce sont dominés, traversés et comme assainis par des courants d’une chasteté purifiante ; un sentiment d’ineffable beauté plane toujours et pacifie l’âme pudique qui lit. […] Le tendre William Cowper était le sixième fils d’un Révérend, car les Révérends, d’ordinaire, avaient six ou dix enfants. […] Son œil a-t-il toujours ce tendre et chaud rayon, Dont nos fronts ressentaient la tiède impression ? […] Le bon et tendre curé a existé sans doute, je le crois ; mais ce qui est sûr, c’est que le poëte a fait mainte fois confusion de son âme et de sa propre destinée avec lui.
Remarquons toutefois qu’au xive siècle, du temps de Pétrarque et de Boccace, à cette époque de grande et sérieuse renaissance, lorsqu’il s’agissait tout ensemble de retrouver l’antiquité et de fonder le moderne avenir littéraire, le but des rapprochements était haut, varié, le moyen indispensable, et le résultat heureux, tandis qu’au xvie siècle il n’était plus question que d’une flatteuse récréation du cœur et de l’esprit, propice sans doute encore au développement de certaines imaginations tendres et malades, comme celle du Tasse, mais touchant déjà de bien près aux abus des académies pédantes, à la corruption des Guarini et des Marini. […] Elles consolent, elles soutiennent dans les commencements, et à une certaine saison de la vie des poëtes, contre l’indifférence du dehors ; elles permettent à quelques parties du talent, craintives et tendres, de s’épanouir, avant que le souffle aride les ait séchées. […] Boileau, dans le cours de la touchante et grave amitié qu’il entretint avec Racine, eut sans doute le tort d’effaroucher souvent ce tendre génie. […] Et puis les vers, une fois faits, tendent d’eux-mêmes à se produire ; ce sont des oiseaux longtemps couvés qui prennent des ailes et qui s’envoleront par le monde un matin. […] Heureuses de telles amitiés, quand la fatalité humaine, qui se glisse partout, les respecte jusqu’au terme ; quand la mort seule les délie, et, consumant la plus jeune, la plus dévouée, la plus tendre au sein de la plus antique, l’y ensevelit dans son plus cher tombeau !