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623. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Cette grande actrice, qui dans la seconde partie de sa carrière, et quand il était déjà tard, avait trouvé tout son talent et le cri vrai de la passion, ne ressemblait guère d’ailleurs aux deux tendres amies qui, jusque dans leur sensibilité la plus épanchée, étaient toute crainte, toute alarme et tout scrupule, toute discrétion et pudeur. […] « (À Mme Duchambge, 7 décembre 1844)… Tu sais, mon autre moi, que les fourmis rendent des services : c’est de moi que sort, non la pièce de M. de Balzac, mais le goût qu’il a pris de la faire, et de la leur donner, et puis de penser à Mme Dorval que j’aime pour son talent, mais surtout pour son malheur et à cause de ton amitié pour elle. […] » Emportée elle-même par son sort, par les nécessités de chaque heure, par la violence de son talent ou de ses passions, qui ne faisaient qu’un, Mme Dorval en son naufrage avait-elle le temps de montrer aux deux discrètes et silencieuses amies les nuances de sentiment qu’il aurait fallu et les grâces du cœur ? […] C’était une nature particulière ; une sensibilité poétique, une volonté poétique, plus forte que sa puissance d’exécution et que son talent. […] Je ne sais pas une âme en rapport avec ce talent dédaigneux et charmant, et il faudrait que ce fût un homme, — C… par exemple, s’il était resté simplement poli avec moi, — car si c’est une femme, lui, M. de Lamartine et d’autres ne manquent pas de dire : « Encore une amoureuse ! 

624. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

assez fâcheusement et abondamment de s’y introduire ; mais on s’y laisse moins prendre qu’ailleurs ; on l’y sent tout aussitôt sous les déguisements et les emprunts qu’il tente ; on le rejette avec dégoût, ou plutôt il va naturellement au fond ; et, tandis que, sous l’écorce de la prose, bien des talents équivoques en qualité surnagent, tandis qu’ils atteignent à une contrefaçon assez difficile à démêler, et qu’avec le travail, l’instruction, l’imitation de ce qu’on lit, la répétition assez bien débitée de ce qu’on entend, avec tous ces mérites surchargés, on parvient souvent à une sorte de compilation de fond ou de style, décente, et qui fait fort honnëte contenance, en poésie la qualité fondamentale se dénote aussitôt, la substance des esprits s’y fait toucher dans le plus fin de l’étoffe ; aussi très-peu suffit pour qu’on ait rang, sinon parmi les grands, du moins entre les délicats, et qu’on soit, comme tel, distingué de la muse, de cette muse intérieure qui console : ce qui, j’en conviens, n’empêche pas d’être parfaitement ignoré du vulgaire, comme disent les poëtes, c’est-à-dire du public. […] Il a peut-être à se plaindre du sort, d’être venu ainsi un peu trop tôt et de n’avoir pas formé son talent selon une seule et même veine. […] C’était dans la poésie comme un talent de femme, le talent ne survivant jamais à l’émotion, le début toujours vrai et parfois puissant, des traits faciles, et bientôt la fatigue, et le vers libre pour se soulager, et pas de conclusion. […] » Arthur, qui n’est pas un ouvrage composé, ni qui sente le talent de profession, Arthur, qui n’est guère peut-être qu’une suite de débris, de soupirs, de souvenirs et d’espérances, mais où le souffle est le même d’un bout à l’autre, et où l’esprit, vrai parfum, unit tout, sera, nous le croyons, une lecture propice et saine, et reposante, à bien des âmes fatiguées, à bien des palais échauffés, un correctif, au moins d’un moment, à tant de talents plus brillants que sincères, à tant d’enthousiasmes dont la flamme est moins au cœur qu’au front ; Arthur, si l’amitié et trop de conformité intime ne nous abusent, Arthur vivra et conservera le nom de son auteur, qui n’a plus à se repentir littérairement de ses écarts, de sa venue hâtive, de ses plaisirs distrayants et de ses faiblesses paresseuses, puisque, de tant d’imperfections éparses, il lui a été donné un jour (ô nature douée avec grâce !)

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