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50. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Eugénie de Guérin efface Mme Swetchine dès qu’on la met à côté, comme un brin de génie effacerait tout un paquet de talent, si le talent pouvait être jamais en paquet. […] Et en effet, qu’on me passe le mot : Eugénie de Guérin est le talent le plus pieds nus de simplicité et d’ignorance que je connaisse, quoique Mme de Blocqueville qui, si elle n’a pas de talent en paquet, a bien des paquets de lecture dans le talent, l’accuse de prétention quelque part. […] cela, pour moi, est bien pis que de n’avoir pas de talent. Mme de Blocqueville, qui fut belle, dit-on, — qui est grandement née, — qui est peut-être aimable dans son salon, — et je suis sûr qu’elle l’est, car il est impossible qu’on y parle comme dans sa Villa des Jasmins ; elle n’y aurait plus personne, — Mme de Blocqueville n’aurait pas du tout de talent littéraire qu’elle aurait dix raisons pour pouvoir très bien s’en passer ; et d’ailleurs, ce n’est pas un si grand malheur que de n’avoir point de talent, quand on sent le talent des autres ! Mais avec ou sans talent, du reste, être un bas-bleu, avoir toutes les affectations du bas-bleu, l’exorbitance insupportable de toutes les prétentions du bas-bleu, l’extravagance de l’orgueil et le pédantisme des connaissances du bas-bleu, entassées, comme des affiquets dans un sac à ouvrage, dans une pauvre mémoire qui en crève ; mais joindre à cet affreux bagage les frivolités de la femme, qui plaisent dans la femme et qui ne sont que des puérilités ridicules dans ce gonflement monstrueux du bas-bleu, voilà le mal !

51. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Le talent de Nicolas Gogol, on ne saurait le nier ; mais la Critique est une mesure et elle n’a fait que la moitié de sa tâche quand elle s’est contentée de dire : « Cet homme a du talent », ou : « Il n’en a pas ». Assurément, l’auteur des Âmes mortes est un talent à sa manière, mais c’est un talent russe, et peut-être le plus russe de tous les talents de son pays. […] Manière de travailler qui, seule, le classerait à un rang presque subalterne ; car l’Inspiration n’a pas pour procédé de tendre la main, quand cette main est celle du talent, ou le chapeau, qui est plus grand que la main, quand cette main est celle du Génie ! […] Il n’a pas la sincérité du talent. […] En somme, Gogol n’était peut-être pas, mais il s’est voulu satirique, et il a tué un joli petit talent plus que dans son germe, sous une grande prétention.

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