Par son admirable talent, Bossuet a fixé l’attention générale sur l’idée d’égalité, et il a de cette manière inoculé la Révolution… » — Mais passons sur ce point de détail. […] C’est pour cela, remarquez-le, car tout est providentiel, que de nos jours il y a moins de génies et plus de talents. […] Quelques-uns s’en tirent par l’autorité personnelle, d’autres à force de vrai talent, le talent se tirant toujours d’affaire ; la plupart ne s’en tirent pas du tout ; les plus grands ne peuvent pas s’empêcher, voulant après tout faire leur métier, qui est de retenir trois cents personnes autour d’une chaire, de donner dans les artifices et les prestiges de la parole, c’est-à-dire d’une part dans le jeu de la carte forcée, de l’autre dans la phrase à effet. — Le jeu de la carte forcée consiste à jeter au public, juste à point et au bon moment, ce qu’il dirait lui-même, la banalité du temps, le mot courant de la semaine, et, comme disait Mme de Sévigné, « l’Évangile du jour. » L’Évangile du jour était par exemple, en 1840, l’éloge de Napoléon Ier, l’élégie de la Pologne, ou l’invective contre Kufin, je veux dire contre Loyola. — La phrase à effet, c’est ce quelque chose que cherchait Figaro, ce « quelque chose de brillant, d’étincelant, qui a l’air d’une pensée », rapprochement ingénieux sans la moindre solidité, généralisation au hasard dont l’air spécieux séduit pour une minute, et cela suffit dans l’espèce, mais qui étonnera par ce qu’elle a de vide sitôt qu’on sera rentré chez soi — Ces jeux sont dangereux par l’habitude qu’ils donnent aux penseurs de se contenter de semblants d’idées, de s’y complaire et d’y rester, surtout quand le penseur était déjà un homme qui n’avait rien de rigoureux dans l’esprit et qui s’était préparé à l’enseignement public par l’élaboration d’Ahasvérus.
Or la tendance naturelle est de croire plus volontiers les écrivains de talent et d’admettre plus facilement une affirmation présentée dans une belle forme. […] Et, par-dessus tout, ils s’appliquent, avec le talent qui leur a été départi, à faire œuvre d’artiste ; s’y appliquant, ceux qui n’ont pas de talent sont ridicules, et le talent de ceux qui en ont est gâté par la préoccupation de l’effet.