Dans un article intitulé l’Idolâtrie de l’Antiquité, il s’est attaqué à une traduction qui a été faite, il y a quelques années, de Méléagre, le premier collecteur de l’Anthologie ; il a trouvé fort plaisante l’appréciation favorable qu’on avait donnée de cet élégant poète, à qui pourtant M. de Humboldt, peu sujet de sa nature à idolâtrie, n’a pas dédaigné de faire une place dans son Cosmos et qu’il a nommé avec honneur pour son idylle du Printemps. […] Il est bien vrai que ces poèmes sont le produit d’un état moral et primitif dans lequel, avant tout, il est besoin de se replacer pour bien se rendre compte, sinon de leur charme qui se sent de lui-même, dit moins de leur mérite ; autrement on est sujet à leur prêter, après coup, quantité d’intentions et de beautés réfléchies qui ne sont, à vrai dire, que des reflets de notre propre esprit, des projections de nous-mêmes, de pures illusions de perspective. […] Ménard, qui est peintre et poète, et même chimiste, me dit-on, et aussi un peu polythéiste (c’est évident), a des pages où brillent et respirent la lumière et la flamme qu’il a puisées dans la vive méditation de son sujet. […] Egger pour ses savants Mémoires où, sur quantité de sujets, grands ou moindres, sont rassemblées tant d’utiles et instructives analyses18 ? […] Ce n’est là rien de plus qu’un juste tribut payé à leur renommée ; en d’autres termes, c’est la modestie convenable à tout individu de penser que son jugement inexpérimenté est sujet à se méprendre plutôt que la voix unanime du public.
C’est après tout, pourraient-ils penser, le même tour d’esprit qu’on apporte dans des sujets divers ; l’élévation s’y retrouverait sans doute, mais la négligence aussi dans le détail et dans l’emploi. […] Je concevrais Lucrèce parlant de la sorte ; l’épicurien Hesnault, qui a fait quelque épître sur ce sujet-là, peut marier son scepticisme poétique à tous ses autres scepticismes ; mais M. de Lamartine n’est pas si dépourvu encore de belles illusions qu’on ne puisse lui souhaiter celle-là de plus, d’autant qu’elle tournerait tout aussitôt à notre plaisir. […] On a eu raison de louer le Cantique sur la mort de madame de Broglie ; j’y remarque pourtant des longueurs qui nuisent à l’effet, quelques mots discordants, et surtout un manque de décision dans le sentiment religieux avec lequel il eût fallu aborder cette admirable personne, d’une foi si précise, et dont l’âme présente doit, ce semble, moins que jamais souffrir rien d’évasif à ce sujet. […] Ce singulier sujet, qui ne choquera peut-être que médiocrement, me suggère une réflexion qui doit s’appliquer bien moins à l’auteur qu’à tous les poëtes de ce temps-ci. […] Sujets, style, composition et détail, il a raison peut-être de tout lâcher ainsi au courant de l’onde, satisfait de son flot puissant ; car la génération qui nous jugera n’est pas la génération qui déjà finit : ceux qui auront le dernier mot sur nos œuvres auront appris à lire dans nos fautes ; ils brouilleront un peu tout cela, et nos barbarismes même entreront avec le lait dans le plus tendre de leur langue.