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645. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On m’a dernièrement reproché (et ce reproche m’est venu d’un critique très spirituel, mais qui cherche avant tout dans chaque sujet son propre plaisir et sa gaieté personnelle) d’avoir dit du bien du journal du duc de Luynes, comme si j’en avais exagéré l’utilité par rapport à ces premières années du règne de Louis XV ; je ne crois pas être allé trop loin dans ce que j’en ai dit. […] Après un exercice de six années, il acheta un office d’argentier du roi, puis fut trésorier de l’extraordinaire des guerres, puis trésorier des parties casuelles : il avait parfois des traverses ; les gens de finance étaient sujets alors à suspicion et à des accusations fréquentes, trop souvent justifiées ; il en rencontra sur sa route et en triompha par son bonheur et par sa probité. […] Toutefois, il pouvait y avoir quelque difficulté, ayant été lui-même si longtemps comptable et sujet à la Chambre des comptes : cette compagnie le voudrait-elle bien pour un de ses présidents ? […] Le troisième d’Ormesson, le plus célèbre, et dont le Journal fournit sur ce sujet tant de lumières, était maître des requêtes, et ne fut que cela : car c’est à ce titre qu’il alla quelques années comme intendant en Picardie et dans le Soissonnais. « Les maîtres des requêtes étaient rapporteurs au Conseil d’État, juges souverains des officiers de la Maison du roi ou, comme on disait alors, des requêtes de l’hôtel ; ils siégeaient au Parlement immédiatement après les présidents, et étaient envoyés dans les provinces comme intendants de justice, police et finances. » C’étaient des magistrats dans la main du roi, et tout prêts à être des administrateurs, qui avaient un pied dans le Parlement, une robe de palais quand il le fallait, et qui touchaient au besoin à l’épée ; très essentiels et des plus utiles dans cette œuvre de la centralisation si avancée par Richelieu et consommée par Louis XIV. […] Ceux qui, comme moi, se sont occcupés de Port-Royal et de son premier éclat, y trouvent des détails curieux et précis, d’une impartialité incontestable, sur le bruit que fit le livre d’Arnauld, De la fréquente communion, sur les prédications auxquelles il donna sujet dans les chaires de Paris, sur les sentiments de messieurs du Parlement à l’égard d’Arnauld. — Un de nos jeunes maîtres qui s’occupe, je le sais, d’une histoire de l’éloquence de la chaire dans la première moitié du xviie  siècle et avant Bossuet, y trouvera le compte rendu ou la mention au moins de plus d’un sermon qui fut éloquent à son heure ; et en particulier d’Ormesson, bon témoin, mais nullement prophète, dira de l’un des premiers sermons du coadjuteur (Retz) : « L’après-dînée (du jeudi 4 décembre 1643), M. le coadjuteur prêcha à Saint-Jean où était la reine, avec toute la suffisance et éloquence possibles, dont chacun espérait beaucoup de fruit lorsqu’il sera archevêque de Paris.

646. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

 » Je ne m’inquiète pas du fond de la pensée ni de savoir s’il est exact de supposer à ce vieux cœur breton de telles tendresses, mais on a peine à comprendre, quand on a vu M. de Lamennais, que l’idée de Clorinde ait pu venir à personne à son sujet. — D’autres fois, c’est la parfaite justesse qui manque aux idées de Mme Swetchine. […] Elle veut porter la vue chrétienne la plus rigoureuse dans l’examen et la considération de la vieillesse ; elle n’ira point la prendre de biais, pour ainsi dire, et en essayant d’insinuer par-ci par-là des consolations tremblantes ; elle entend aborder son sujet de front et le pénétrer d’une lumière directe et certaine : ce ne sont pas des palliatifs qu’elle offre, c’est une régénération. […]  » Voici le début du traité : « On s’est souvent occupé de la vieillesse ; les moralistes, en donnant à cet objet de leurs méditations plus ou moins de développement et d’étendue, n’ont presque jamais omis d’y toucher ; plusieurs ont consacré des ouvrages uniquement à ce sujet. […] Je connais de bien sages vieillards qui, affligés de surdité et sujets à l’insomnie, ont peine à se payer de ces consolations-là. […] Et sans sortir de mon sujet, je me contenterai de dire avec Mme de Lambert : « Il vient un temps dans la vie qui est consacré à la vérité, qui est destiné à connaître les choses selon leur juste valeur. » Or, ce n’est pas apprécier les choses à leur juste valeur que de se grossir démesurément le soleil couchant.

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