Dans l’impossibilité de créer des romans comme Delphine et Corinne, qui sont des études superbes de passion et de société, on se rabat sur l’histoire et sur la critique ; et parce que Mme de Staël a jugé Gœthe et Schiller, et toute l’Allemagne intellectuelle de son époque, en l’inventant, il est vrai, plus qu’en la voyant telle qu’elle fut, l’auteur de Robert Emmet, qui n’a pas une pareille envergure de plume, se croit de la plus pieuse modestie filiale, en condescendant à un sujet moins vaste et moins ambitieux et en nous racontant Lord Byron. […] Lord Byron, à lui seul, l’emporte, en intérêt littéraire et surtout en intérêt de nature humaine, sur tous ces Allemands sans passion ardente et profonde et qui n’ont de nature humaine que dans le cerveau… La vie de ce grand poëte, qui s’est élevé jusqu’au grand homme, est autre chose que celle de ces travailleurs en rêveries dont l’existence ressemble à une table des matières de leurs œuvres, dans laquelle elle tient… Pour tout homme, pour tout être si heureusement et si puissamment organisé qu’il soit, la vie de Byron est un sujet de critique et de biographie de la plus redoutable magnificence ; car Byron fut comme le plexus solaire du xixe siècle, et tous les nerfs de la société moderne, cette terrible nerveuse, aboutissent à lui… Toucher à cet homme central, magnétique et vibrant, qui mit en vibration son époque, c’est toucher à l’époque entière… Jusqu’ici, ceux qui y ont touché s’y sont morfondus. […] Galt a essayé, mais il n’y a dans sa Vie de Byron que le sérieux d’une conscience, en face d’un pareil sujet. […] Avec un sans-façon charmant et une admiration presque impertinente de familiarité, l’auteur de Robert Emmet met sa petite main blanche sur cet effrayant sujet de lord Byron que lui a laissé sa grand’mère, mais sans le lui léguer. « J’ai toujours eu un faible pour lord Byron », dit-elle dans son livre.
Mais, outre que ce n’est pas là une nécessité, il se rencontre parfois en histoire de ces sujets qui ont, comme certaines contrées en géographie politique, des frontières naturelles vers lesquelles on tend malgré soi, pour peu qu’on ait quelque vigueur et quelque courage. […] On a beau s’être voué au culte sévère de l’Histoire et s’efforcer de grandir en soi ce sentiment de l’impartialité qui fait de l’homme plus qu’un homme, on est entraîné par la nature de son esprit vers les sujets qui ont avec cet esprit de mystérieuses analogies. […] Tel est, en peu de mots, le sujet de ce premier volume. […] Préoccupé surtout des résultats généraux, il nous a montré presque exclusivement par les côtés de leur action publique les hommes qui s’y meuvent, et en cela il a obéi aux exigences de son sujet.