Toutefois, pour montrer à l’auteur qu’il ne s’exagérait pas sa faute en la confessant, comme il fit, dans la première préface du Génie du christianisme, il eût suffi de lui faire repasser sous les yeux cette profession de foi d’incrédulité, écrite et signée par lui en confirmation des pages de l’Essai, cette double et triple négation directe de Dieu, de l’immortalité de l’âme, du christianisme, toutes apostasies formelles que j’indique bien suffisamment et dont je supprime d’ailleurs les preuves de détail trop choquantes14. […] Qu’il nous suffise d’avoir reconnu et, en quelque sorte, surpris sa sincérité, là seulement où nous avons droit de l’interroger et de l’atteindre, — sa sincérité, je ne dis pas de fidèle (cet ordre supérieur et intime nous échappe), mais sa sincérité d’artiste et d’écrivain.
Nous n’avons pas à entrer ici dans les détails de cette polémique ; il nous suffira de marquer en traits généraux les caractères de la controverse et du christianisme de Charron. […] Tout ce qu’il dit contre l’esprit d’opiniâtreté et de nouveauté qui fait les sectes est encore excellent à lire ; il disait, par exemple : Je voudrais que tous ces remueurs de ménage et troubleurs de l’ancienne religion, qui se disent chrétiens et tenir leur religion du ciel, considérassent bien ce que dit Plutarque de la religion de son temps, vaine et humaine : Ceux, dit-il, qui mettent en doute les opinions de la religion me semblent toucher une grande, hardie et dangereuse question ; car l’ancienne et continuelle foi et créance qui nous est témoignée par nos ancêtres nous devrait suffire, étant cette tradition le fondement et base de toute religion ; et si la fermeté de la créance venue de main en main vient à être ébranlée ou remuée en un seul point, elle devient suspecte et douteuse en tous les autres