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627. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

« Voltaire l’avait, les anciens ne l’avaient pas. » Le style de son temps, du xviiie  siècle, ne lui paraît pas l’unique dans la vraie beauté française : « Aujourd’hui le style a plus de fermeté, mais il a moins de grâce ; on s’exprime plus nettement et moins agréablement ; on articule trop distinctement, pour ainsi dire. » Il se souvient du xvie , du xviie  siècle et de la Grèce ; il ajoute avec un sentiment attique des idiotismes : « Il y a, dans la langue française, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. » Ce Gil Blas, que Fontanes lui citait, n’était son fait qu’à demi : « On peut dire des romans de Le Sage, qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la comédie. » Il disait de La Harpe : « La facilité et l’abondance avec lesquelles La Harpe parle le langage de la critique lui donnent l’air habile, mais il l’est peu. » Il disait d’Anacharsis  : « Anacharsis donne l’idée d’un beau livre et ne l’est pas. » Maintenant on voit, ce me semble, apparaître, se dresser dans sa hauteur et son peu d’alignement cette rare et originale nature. […] J’en connais, je crois, encore un ou deux, mais je n’ai pas le temps de m’en souvenir. […] La plupart mettent leurs soins à écrire de telle sorte, qu’on les lise sans obstacle et sans difficulté, et qu’on ne puisse en aucune manière se souvenir de ce qu’ils ont dit ; leurs phrases amusent la voix, l’oreille, l’attention même, et ne laissent rien après elles ; elles flattent, elles passent comme un son qui sort d’un papier qu’on a feuilleté. » Ceci s’adresse en arrière à l’école de La Harpe, au Voltaire délayé, et, en général, le péril n’est pas aujourd’hui de tomber dans ce coulant. […] Je n’aurais pas fini de sitôt, si j’extrayais tout ce qui, chez lui, s’attache au souvenir et vous suit.

628. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Elle ne se serait pas si bien souvenue après coup de tant de circonstances flatteuses dans Valérie, si elle n’y avait fait attention au moment même. […] Eynard ; je le vis plusieurs fois et toujours s’attendrissant au souvenir de Mme de Krüdner. […] Je vais continuer de lui paraître bien léger en telle matière ; mais je suis persuadé que Mme de Krüdner, déjà convertie, eût été choquée elle-même, au milieu de tous ses repentirs, qu’on vînt dire que l’homme qu’elle avait un jour aimé pût être humilié à ce souvenir. […] « Les âmes froides n’ont que de la mémoire ; les âmes tendres ont des souvenirs, et le passé pour elles n’est point mort, il n’est qu’absent.

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