Quinze ans plus tard, son âme se soulevait encore au souvenir de cet orage. […] En vain mon enfance et ses poétiques impressions, ma jeunesse et ses religieux souvenirs, la majesté, l’antiquité, l’autorité de cette foi qu’on m’avait enseignée, toute ma mémoire, toute mon imagination, toute mon âme s’étaient soulevées et révoltées contre cette invasion d’une incrédulité qui les blessait profondément ; mon cœur n’avait pu défendre ma raison… Je n’oublierai jamais la soirée de décembre où le voile qui me dérobait à moi-même ma propre incrédulité fut déchiré. […] En vain je m’attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire ; en vain, épouvanté du vide inconnu dans lequel j’allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois avec elles vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m’était cher et sacré ; l’inflexible courant de ma pensée était plus fort : parents, famille, souvenirs, croyances, il m’obligeait à tout laisser ; l’examen se poursuivait, plus obstiné et plus sévère à mesure qu’il approchait du terme, et il ne s’arrêta que quand il l’eut atteint. […] Il avait beau retenir son cœur, il y était mené de force ; s’il empruntait à sa méthode et à ses preuves des raisons de croire, sa croyance venait de ses souvenirs et de ses aspirations.
Je me souviens de cette matinée comme si c’était hier. […] la Bovary, il m’en souviendra ! […] Legouvé, Soixante ans de souvenirs, t. […] Legouvé, Soixante ans de souvenirs, IV, 252-253. […] Daudet, Souvenirs d’un homme de lettres, p. 51-55.