Il sentait lui-même qu’il avait eu tort de se décourager un moment, et dans des lettres d’un accent pénétré, d’une intention élevée et soutenue, il s’attachait bientôt, au contraire, à remonter le moral de son gendre et ami Paul Delaroche. […] Pour mon compte, je viens de subir une rude épreuve contre laquelle je me roidissais depuis bien longtemps ; elle m’a confirmé dans la pensée que rien n’est plus fatal à un artiste que son éloignement de la multitude et du froissement du monde : l’isolement ne laisse prendre aucun repos à sa pensée dominante ; son sommeil même ne lui procure plus le moindre délassement ; une seule idée le domine sans cesse : elle l’use et l’énerve à force d’y songer, et, au bout du compte, il finit par ne plus savoir où il en est, faute d’objet de comparaison d’une part, et de l’autre parce qu’il ne rencontre plus sur sa route cet imprévu qui donne à chacun de nous la connaissance de sa force. » « Je suis convaincu, mon cher ami, que l’affaiblissement dans lequel je suis tombé est prématuré, que si les circonstances déplorables qui depuis une année ont changé mes rapports avec la société32 ne s’étaient pas présentées, je suis persuadé, dis-je, qu’il m’aurait été possible de soutenir plus longtemps le rang que mes travaux m’avaient assigné. […] La salle qu’il occupa et qu’il remplit tout entière à l’Exposition universelle soutint, à sa manière, la concurrence avec la salle d’Ingres et avec les pans de muraille couverts par d’éclatants rivaux.
Pour les détails de sa vie et de ses aventures guerrières, il fallut à son fils beaucoup de soin et d’attention à se les procurer : car ce n’était pas un homme qu’on questionnât, fier, imposant à tous, de près de six pieds, la tête haute et soutenue par un col d’argent qui remplaçait des muscles hachés, « un de ces hommes qui ont le ressort et, pour ainsi dire, l’appétit de l’impossible, et à qui la nature a déféré le commandement. » Dans sa vieillesse, même quand il racontait ses guerres, il ne parlait jamais de lui que pour désigner à l’occasion le jour et le combat où, disait-il, il avait été tué. […] Depuis lors il quitta le service et resta privé de l’usage de son bras droit, la tête soutenue d’un collier d’argent. […] Je sais que c’est une défense peu avantageuse à prendre que celle du Système de la Nature et de cette faction holbachienne ; mais je ne veux soutenir d’Holbach ici que comme un homme d’esprit, éclairé quoique amateur, sachant beaucoup de faits de la science physique d’alors, n’ayant pas si mal lu Hobbes et Spinosa, maltraité de Voltaire qui le trouvait un fort lourd écrivain et un fort ennuyeux métaphysicien, mais estimé de d’Alembert, de Diderot, et dont l’influence fut grande sur Condorcet et M. de Tracy.