Je vivrais mille ans que je n’oublierais pas certaines heures du soir où, m’échappant pendant la récréation des élèves jouant dans la cour, j’entrais par une petite porte secrète dans l’église déjà assombrie par la nuit et à peine éclairée au fond du chœur par la lampe suspendue du sanctuaire ; je me cachais sous l’ombre plus épaisse d’un pilier ; je m’enveloppais tout entier de mon manteau comme dans un linceul ; j’appuyais mon front contre le marbre froid d’une balustrade, et, plongé, pendant des minutes que je ne comptais plus, dans une muette, mais intarissable adoration, je ne sentais plus la terre sous mes genoux ou sous mes pieds, et je m’abîmais en Dieu, comme l’atome flottant dans la chaleur d’un jour d’été s’élève, se noie, se perd dans l’atmosphère, et, devenu transparent comme l’éther, paraît aussi aérien que l’air lui-même et aussi lumineux que la lumière. […] Souvent lorsque des nuits l’ombre, que l’on voit croître, De piliers en piliers s’étend le long du cloître ; Quand, après l’Angélus et le repas du soir, Les lévites épars sur les bancs vont s’asseoir, Et que, chacun cherchant son ami dans le nombre, On épanche son cœur à voix basse et dans l’ombre, Moi, qui n’ai pas encore entre eux trouvé d’ami, Parce qu’un cœur trop plein n’aime rien à demi, Je m’échappe ; et, cherchant ce confident suprême Dont l’amour est toujours égal à ce qu’il aime, Par la porte secrète en son temple introduit, Je répands à ses pieds mon âme dans la nuit. […] quand j’ai franchi le seuil du temple sombre, Dont la seconde nuit m’ensevelit dans l’ombre ; Quand je vois s’élever entre la foule et moi Ces larges murs pétris de siècles et de foi ; Quand j’erre à pas muets dans ce profond asile, Solitude de pierre, immuable, immobile, Image du séjour par Dieu même habité, Où tout est profondeur, mystère, éternité ; Quand les rayons du soir, que l’Occident rappelle, Éteignent aux vitraux leur dernière étincelle, Qu’au fond du sanctuaire un feu flottant qui luit Scintille comme un œil ouvert sur cette nuit ; Que la voix du clocher en sons doux s’évapore ; Que, le front appuyé contre un pilier sonore, Je la sens, tout ému du retentissement, Vibrer comme une clef d’un céleste instrument, Et que du faîte au sol l’immense cathédrale, Avec ses murs, ses tours, sa cave sépulcrale, Tel qu’un être animé, semble, à la voix qui sort, Tressaillir et répondre en un commun transport ; Et quand, portant mes yeux des pavés à la voûte, Je sens que dans ce vide une oreille m’écoute, Qu’un invisible ami, dans la nef répandu, M’attire à lui, me parle un langage entendu, Se communique à moi dans un silence intime, Et dans son vaste sein m’enveloppe et m’abîme ; Alors, mes deux genoux pliés sur le carreau, Ramenant sur mes yeux un pan de mon manteau, Comme un homme surpris par l’orage de l’âme, Les yeux tout éblouis de mille éclairs de flamme, Je m’abrite muet dans le sein du Seigneur, Et l’écoute et l’entends, voix à voix, cœur à cœur. […] Par quelle inconcevable magie ce vieil astre, qui s’endort fatigué et brûlant dans la poudre du soir, est-il dans ce moment même ce jeune astre qui s’éveille humide de rosée, dans les voiles blanchissants de l’aube ? […] Que n’ai-je eu pour jouet et pour seul héritage La barque, l’aviron, la mer creuse, et la plage Où le soir, quand la proue accoste le rivage, Le filet, tout gonflé d’écaille au jour changeant, Tombe lourd sur la grève, avec un son d’argent ?
Vienne la Saint-Pierre au soir, elle aura quatorze ans. — Suzanne et elle (Dieu fasse miséricorde à toutes les âmes chrétiennes !) […] Mais, comme je disais, — à la Saint-Pierre au soir, elle aura quatorze ans. — Elle les aura, ma foi. […] — Le plus tôt que je le pourrai, ma chère, pour l’amour de vous. — Sera-ce ce soir à souper ? — Non, pas ce soir. — Alors demain à dîner ? […] alors, demain soir, ou mardi matin, ou mardi après midi, ou le soir, ou mercredi matin.