C’était un autre et plus grand avantage que d’avoir parcouru la province, presque toute la France, d’un bout à l’autre bout, — Nantes, Angoulême, Bordeaux, Agen, Limoges, Toulouse, Lyon, Nîmes, Béziers, Montpellier, Narbonne, Rouen, — dans un siècle où l’on ne voyageait guère ; et que d’avoir vu, de ses yeux vu, que d’avoir pratiqué peut-être la comtesse d’Escarbagnas et M. de Pourceaugnac, l’espèce falote des Sotenville et celle des Dandin41. […] Il veut peindre, lui, d’après nature, et que dans ses portraits « on reconnaisse les gens de son siècle » ; et, de la considération de son art, c’est ainsi qu’insensiblement il passe à l’observation de la société qui l’entoure. […] Qui a su mieux que lui le mystérieux pouvoir du seul éloignement de la distance et du temps, et comment les années qui coulent et les siècles qui passent, sans altérer les caractères des choses, en adoucissent les aspérités, en fondent les couleurs, en harmonisent les contours ? […] « C’est que bien loin d’être ce peintre des mœurs de cour ou cet imitateur des convenances mondaines que l’on s’obstine à nous représenter… Racine… a enfoncé si avant dans la peinture de ce que les passions de l’amour ont de plus tragique et de plus sanglant qu’il en a non seulement effarouché, mais comme littéralement révolté la délicatesse aristocratique de son siècle. […] Voilà l’art moderne, moins pur assurément de formes ou de lignes, mais plus psychologique et plus voisin de nous que l’ancien ; voilà, — pour le dire en passant, — l’explication du succès prodigieux du roman de mœurs dans le siècle où nous sommes ; et voilà pourquoi c’est à la fin du xviie siècle aussi qu’il commence de paraître, avec Courtilz de Sandras, l’auteur des Mémoires de Rochefort et de d’Artagnan ; avec Mlle de La Force, avec Mme de Murat, avec Mme d’Aulnoy ; avec l’auteur du Diable boiteux, de Gil Blas, et aussi de ce Turcaret, — auquel enfin nous arrivons.
Ce sera l’affaire d’un grand nombre de siècles ; après quoi, il sera loisible de créer sur des bases solides une science esthétique. […] Cela est un fait, et il faut bien que je le dise, comme le moine Raoul Glaber notait dans sa chronique les pestes et les famines de son siècle effrayant. […] Leurs premiers fondements datent de deux siècles. […] Trois siècles, cette voie fut honorée par d’illustres et doctes libraires, et maintenant, ruinée et déchue, elle est encore bordée d’étalages de bouquins latins et grecs. […] C’est de Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV.