C’est, du reste, un des diagnostics de l’état spirituel de notre siècle que les arts aspirent, sinon à se suppléer l’un l’autre, du moins à se prêter réciproquement des forces nouvelles. […] Nous voyons d’ailleurs que telle faculté est plus ou moins estimée selon le siècle, et qu’il y a dans le cours des âges place pour de splendides revanches. […] Nous nous entretînmes également de la grande fatuité du siècle et de la folie du progrès. […] Il est en nombreuse et illustre compagnie ; car le vent du siècle est à la folie ; le baromètre de la raison moderne marque tempête. […] Il n’est pas plus permis que possible à l’homme, même à l’homme de génie, de reculer ainsi les siècles artificiellement.
Tout cela est fait à la française ; mais aussi longtemps que nos auteurs dramatiques ne sauront pas peindre les mœurs des personnages qu’ils mettent sur la scène, ni l’esprit des peuples et des siècles dont ils empruntent leurs sujets, je regarderai leurs pièces comme des ouvrages faits pour amuser ou épouvanter des enfants ; mais jamais je ne les croirai dignes de servir d’instruction et de leçon aux souverains et aux nations ; c’est pourtant là le véritable but de la tragédie. » Il nous est impossible aujourd’hui, — à moi du moins, — de nous former une idée nette de ces pièces, surtout des tragédies d’alors, ni d’y saisir quelque différence à la lecture ; elles me semblent à peu près toutes pareillement insipides et d’un ennui uniforme. […] Duclos dénonçait, vers 1750, un mouvement nouveau dans le siècle, « une certaine fermentation de raison universelle » qui devenait partout sensible, et qui promettait de belles suites si on ne la laissait se dissiper : qui donc avait plus contribué à ce progrès et à ce mouvement que Voltaire ? […] Dans une de ces lettres, du 7 août 1766, il donne, à sa manière, tout un résumé pittoresque de l’histoire littéraire du siècle et de l’invasion voltairienne. […] Le goût a passé de Paris à Londres… « L’anglomanie est ici une maladie épidémique contractée exprès pour avilir les chefs-d’œuvre de l’autre siècle et se couronner à peu de frais de la nation rivale de Rome et d’Athènes. […] La vérité, c’est que Piron avait passé son moment et n’était plus de l’époque ; toute cettegénération d’académiciens de la première moitié du siècle qui l’admiraient sincèrement et qui, si on l’avait souffert, l’auraient nommé à l’unanimité en 1753, avait disparu.