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1690. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

C’est peut être la seule traduction dont on ait le droit de déclarer sans flatterie qu’elle est mieux que l’original et qu’elle le supplée avantageusement sans rien lui dérober. […] Au lieu d’attacher le lecteur par la nouveauté des événements, par l’arrangement et la variété des matières et par une narration nette et pressée…, il essaie, comme la plupart des autres sophistes, de le retenir par des descriptions hors d’œuvre ; il l’écarte hors du grand chemin, et pendant qu’il lui fait voir tant de pays…, il consume et use son attention… J’ai traduit avec plaisir ce roman dans mon enfance : aussi est-ce le seul âge où il doit plaire… » J’en supprime encore. […] le premier jugement avait couru et court encore ; c’est le seul qu’on ait réimprimé et qui se lise en tête de toutes les éditions de Bayle qui, dans son Dictionnaire, s’autorise, sans la contrôler, de l’opinion de Huet, ne songe qu’à renchérir, à son tour, sur l’article des mœurs ; non qu’il en prenne la défense et qu’il fasse le rigoriste, mais en érudit qui ne se trouve pas souvent à pareille fête, il badine à sa façon derrière du latin et du grec, il se gaudit des légèretés du roman en y cherchant le graveleux et sans y soupçonner la délicatesse. […] Un merveilleux mythologique assez ridicule vient terminer le seul incident qui sépare les jeunes aidants… » Il n’y a rien précisément de ridicule dans le merveilleux mythologique si ingénieusement imaginé et si bien adapté à l’action. […] Tout cela est de la plus grande beauté… » J’abrège encore ; le noble vieillard resté Grec, et redevenu enfant, se complaisait évidemment, une dernière fois, à se reposer par l’imagination sur des cadres heureux et des fronts ingénus, doués de la seule pureté naturelle.

1691. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Sibylle, qui a en elle de la fée, aime fort à courir seule les bois : la rencontre qu’elle y fait d’un jeune peintre qui a nom Raoul et qu’elle surprend à dessiner un de ses sites favoris, la Roche-Fée, est un des événements de son enfance. […] À son retour, Sibylle se déclare vaincue ; elle avait compris que le vrai Dieu et la vraie foi pouvaient seuls inspirer ces grands et sublimes dévouements. […] Cette moralité, on la trouverait dans la réflexion très-sensée qu’adresse M. de Férias à sa petite-fille en voyant les mobiles extraordinaires auxquels elle obéit dans toute sa conduite : « Ma chérie, vous voulez toujours monter sur le cygne ; vous voulez l’impossible : ce sera, je le crains, l’écueil de votre vie. » Le dernier mot du livre serait alors un conseil d’institutrice : « Mesdemoiselles, plaignez Sibylle et ne l’imitez pas : avec toutes ses belles qualités, une seule, poussée trop loin, a failli la perdre. » Mais ce n’est pas là ce qu’a fait l’auteur, et, dans la suite de l’histoire, il paraît bien, au contraire, vouloir nous présenter Sibylle comme une sorte de type de perfection, un modèle ; et c’est bien ainsi que l’ont prise cette quantité d’admiratrices qui se sont écriées en la voyant : « Voilà comme nous sommes, voilà comme nous voudrions être, et comme nous serions à coup sûr si c’était à recommencer !  […] Sibylle, tout inexpérimentée qu’elle est en pareille matière, donne à la jeune femme, son amie, le seul conseil droit et sage : «  À votre place, ce que je ferais, le voici : je me confierais tout simplement à mon mari. » Blanche suit le conseil et s’en trouve bien. […] Je sais qu’il y a en tout ceci bien du jeu, que l’art est une chose fort différente de la nature, que ce qui s’appelle roman en particulier est fait pour plaire et amuser à tout prix, et le plus souvent moyennant illusion : je ne voudrais pourtant pas qu’on y mentît par trop, qu’on y donnât des idées par trop fausses et chimériques. et j’ai présent à l’esprit en ce moment la boutade d’un moraliste un peu misanthrope, qui écrivait pour lui seul après la lecture de quelqu’un de ces romans à la Sibylle ou à la Scudéry : « Quand je me reporte en idée aux débuts de l’espèce humaine sur cette terre, à cette longue vie sauvage dans les forêts, à ces siècles de misère et de dureté de l’âge de pierre qui précéda l’âge de bronze et l’âge même de fer ; quand je vois, avant l’arrivée même des Celtes, les habitants des Gaules, nos ancêtres les plus anciens, rabougris, affamés et anthropophages à leurs jours de fête le long des fleuves, dans le creux des rochers ou dans les rares clairières ; — puis, quand je me transporte à l’autre extrémité de la civilisation raffinée, dans le salon de l’hôtel de Rambouillet ou des précieuses spiritualistes de nos jours, chez Mme de Longneville ou chez Mme de…, où l’on parle comme si l’on était descendu de la race des anges, je me dis : L’humanité n’est qu’une parvenue qui rougit de ses origines et qui les renie.

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