Si nous ne sentions pas les phénomènes directement, nous ne sentirions rien : notre sensation sert à les constituer tels et non pas seulement à les refléter. […] Au contraire, la grenouille qui a perdu la patte droite et dont on brûle la cuisse droite avec un acide, se servira des moyens qui lui restent pour essuyer l’acide : elle remuera la patte gauche, tandis qu’ordinairement elle se sert de la patte droite pour essuyer la cuisse droite. […] Pour donner un nom à cette conscience fondamentale, pour la mettre artificiellement à part de ses manières d’être et d’agir, qui en sont réellement inséparables, on se sert avec raison du mot volonté.
Cabanis lui-même, dans son grand ouvrage, n’avait guère fait que recueillir et condenser les observations des médecins, des philosophes et des moralistes, en y ajoutant les siennes et en faisant servir le tout à une conclusion beaucoup trop absolue. […] La tentative phrénologique de Gall et de son école eut ceci de scientifique qu’elle avait pour but de substituer à une juste, mais vague affirmation des rapports entre l’homme physique et l’homme moral, une classification des organes cérébraux exactement correspondants aux facultés, aux capacités, aux instincts, aux appétits de l’âme humaine, de manière que cette classification pût servir de base à une véritable théorie des faits psychologiques. […] Jamais on n’avait mieux vu combien tout se tient, se lie, se correspond dans l’homme, et comment l’âme et le corps forment un tout naturel, pour nous servir de l’expression, de Bossuet. […] Nous en sommes encore à comprendre comment cette espèce de déterminisme, si l’on veut absolument se servir du mot, serait incompatible avec la notion de liberté, telle que nous la donne la conscience.