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526. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Flammarion ajoute : « Nous regrettons de dire que l’on sent de temps en temps dans tout Fontenelle des assertions blâmables comme celle-là, qui déparent son récit et en affaiblissent l’autorité. » Entendons-nous bien. […] De même les esprits ordinaires sentent bien la différence d’une simple vraisemblance à une certitude entière, mais il n’y a que les esprits fins qui sentent le plus ou le moins de certitude ou de vraisemblance, et qui en marquent, pour ainsi dire, les minutes par leur sentiment. » C’est délicat, exquis d’expression comme de vérité. […] Non content de conjecturer qu’il y a des êtres vivants dans les planètes, il veut savoir que ce sont des hommes, des espèces d’humanités ; il veut en venir à deviner, à pénétrer le mode de penser et de sentir, sur quelques points essentiels, de ces humanités si diverses et sans doute fort disparates. […] Pour moi, quand je suis seul à contempler ces millions de mondes, cette ordonnance merveilleuse, connue dans de certaines limites et pressentie par-delà ou ignorée, il me semble que je n’ai pas besoin d’amasser tant d’autorités, tant de noms propres ou d’idées accessoires au service de mes rêves ; et tout en concevant qu’il y a autant de manières de sentir, d’être affecté et d’adorer, qu’il y a d’intelligences et de regards, je crois qu’il en est une non moins légitime, et je ne la cherche que dans cette contemplation même et dans ce qu’elle a d’auguste. […] Jeunes, la poésie nous ravit ; les Étoiles de Lamartine, ces fleurs du ciel dont le lis est jaloux , suffisent à peine à symboliser nos imaginations, nos visions d’amour et de tendresse : à l’âge où le sang se refroidit dans les veines, il est doux, d’une douceur sévère, de connaître par leurs noms, d’épeler quelques-uns des astres qui roulent sur nos têtes, de distinguer ceux qui errent véritablement de ceux qui sont fixes par rapport à nous, de s’orienter, de se démêler à travers les cercles brillants ou les traînées lumineuses, de soupçonner dans ces abîmes d’en haut, dans ces profondeurs étincelantes où nous sommes plongés, tout ce qui peut se produire à l’infini d’étranger à nous, de différent de nous ; de ramener nos passions, nos désirs, nos gloires à ce qu’elles sont, de se dire le peu qu’on est, mais de sentir aussi que ce peu a réfléchi un moment, la puissance créatrice universelle, éternelle, — l’infini presque ou du moins l’incommensurable et l’immense24.

527. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

En attendant, l’on sent ce qui manque, et parfois l’on en souffre ; on se reprend, dans certaines heures d’ennui, à quelques parfums du passé, d’un passé d’hier encore, mais qui ne se retrouvera plus ; et voilà comment je me suis remis l’autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j’en parle aujourd’hui. […] Elle s’instruisit par la société, par le monde ; elle s’exerça à voir et à sentir dans un horizon tracé. […] Comme on était mariée au sortir du couvent, par pure convenance, il arrivait que bientôt le besoin du cœur se faisait sentir ; on formait alors avec lenteur un lien de choix, un lien unique et durable ; cela se passait ainsi du moins là où la convenance régnait, et dans cet idéal de dix-huitième siècle, qui n’était pas, il faut le dire, universellement adopté. […] Il y a un bien admirable sentiment entrevu, lorsque étant allée dans le parc respirer l’air frais d’une matinée d’automne, tenant entre ses bras le petit Victor, l’enfant de sa sœur, qui, attaché à son cou, s’approche de son visage pour éviter le froid, elle sent de vagues tendresses de mère passer dans son cœur : et le comte Ladislas la rencontre au même moment. Ce qu’Eugénie a senti palpiter d’obscur, il n’est point donné à des paroles de l’exprimer, ce serait à la mélodie seule de le traduire23.

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