L’innovation de Massillon, venant après Bourdaloue, fut d’introduire le pathétique et un sentiment plus vif et plus présent des passions humaines dans l’économie du discours religieux, et d’attendrir légèrement la parole sacrée sans l’amollir encore. […] Il ne tonnait pas dans la chaire, il n’épouvantait pas l’auditoire par la force de ses mouvements et l’éclat de sa voix ; non : mais, par sa douce persuasion, il versait en eux, comme naturellement, ces sentiments qui attendrissent et qui se manifestent par les larmes et le silence. […] « On peut quelquefois, dit Voltaire, entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. » Et il cite un exemple de Massillon ; il aurait pu aussi bien citer celui qu’on va lire : Souvenez-vous d’où vous êtes tombé ; … remontez à la première origine de vos désordres, vous la trouverez dans les infidélités les plus légères : un sentiment de plaisir négligemment rejeté ; une occasion de péril trop fréquentée ; une liberté douteuse trop souvent prise ; des pratiques de piété omises : la source en est presque imperceptible ; le fleuve, qui en est sorti, a inondé toute la terre de votre cœur : ce fut d’abord ce petit nuage que vit Élie, et qui depuis a couvert tout le ciel de votre âme : ce fut cette pierre légère que Daniel vit descendre de la montagne, et qui, devenue ensuite une masse énorme, a renversé et brisé l’image de Dieu en vous : c’était un petit grain de sénevé, qui depuis a crû comme un grand arbre, et poussé tant de fruits de mort : ce fut un peu de levain, etc.
. — Ce sentiment, ajoutait-il, est né avec moi ; je l’ai eu dès mon enfance, et à peine en étais-je sorti, que je secouai le joug de la domination paternelle aux dépens de tout ce qui m’en pouvait arriver ; et, pendant plusieurs années, je me réveillais la nuit avec un mouvement de joie que me donnait la pensée de ne plus dépendre de personne. […] Il la perdit après peu d’années de mariage, et tomba dans un abattement et un désespoir qu’il crut éternel ; on lui doit cette justice qu’il fit tout son effort pour conserver et consacrer cette disposition d’âme, et il eût volontiers écrit alors à M. de Tréville, ou à tel autre de ses amis avancé dans la pénitence, cette belle parole qui résume toute la piété d’un deuil vertueux : « Priez Dieu d’accroître mon courage et de me laisser ma douleur. » On a dans plusieurs lettres de lui, et dans des réflexions écrites en ce temps-là, l’expression très naturelle et très vive de ses sentiments ; il s’écriait : Dieu a rompu la seule chaîne qui m’attachait au monde ; je n’ai plus rien à y faire qu’à mourir ; je regarde la mort comme un moment heureux… Que je me trouve jeune ! […] La maîtresse en était absente, et, en la remerciant de l’hospitalité donnée en son nom, il lui écrivait avec un vif sentiment de la nature italienne : Vous ne m’aviez point dit assez de bien de Bagnaia, madame ; c’est le plus aimable lieu du monde que j’aie jamais vu ; on y trouve en même temps une belle vue, de grands arbres aussi verts qu’en France et qu’il ne faut point aller chercher, et des quantités de fontaines qui vont quand les maîtres n’y sont point : jamais ordre n’a été plus inutile que celui que vous aviez donné au jardinier de les faire toutes aller ; elles n’attendent pas vos ordres pour jeter des torrents de la plus belle eau du monde.